En 2016, Unathi Gongxeka, 18 ans, a failli être exclue de ses examens d’école secondaire en Afrique du Sud parce qu’elle portait un afro. En 2017, les sœurs Deanna et Mya Scott, 15 ans, ont été suspendues de leur équipe sportive scolaire à Boston, car elles portaient des tresses créées avec des rallonges. En 2018, le lutteur Andrew Johnson, 16 ans, a été forcé de couper ses dreadlocks en plein milieu d’un tournoi entre écoles secondaires du New Jersey sous peine de devoir déclarer forfait.

Depuis 2019, le cheveu afro est au cœur du débat politique aux États-Unis et ailleurs dans le monde. Plusieurs États américains ont adopté le CROWN Act, une loi qui interdit la discrimination basée sur la coiffure ou sur la nature des cheveux d’un individu. Pourquoi le cheveu afro dérange-t-il autant? «C’est parce qu’on a longtemps associé la beauté à la peau blanche et aux cheveux lisses et droits», explique Cheryl Thompson, professeure à l’Université Ryerson, à Toronto, et autrice de Beauty in a Box: Detangling the Roots of Canada’s Black Beauty Culture, un livre portant sur l’histoire de la beauté noire au Canada.

Célébrer la beauté noire

Quand le roi de la soul, James Brown, a chanté Say It Loud – I’m Black and I’m Proud (« Dis-le haut et fort: je suis noir et je suis fier») en arborant un afro en 1968, il a inspiré une génération entière d’Afro-Américains à assumer fièrement leur identité, leurs racines culturelles et la couleur de leur peau. Le Black Panther Party, organisation politique qui a œuvré pour l’avancement des droits civiques de la communauté afro-américaine, a ensuite popularisé la coupe afro et l’a élevée au rang des symboles politiques de l’époque. «Être noir et fier à la fin des années 1960 signifiait avoir un afro», note Cheryl Thompson. Les paroles de James Brown font écho au mouvement culturel Black Is Beautiful, qui a pris naissance au même moment. «Ce mouvement était directement rattaché à l’amour de soi et à la fierté d’un héritage africain», continue Mme Thompson.

Apprendre à aimer ses cheveux au naturel

Accepter sa chevelure naturelle semble aller de soi pour certains, mais cela nécessite un véritable travail identitaire pour une grande majorité de femmes noires et métissées, longtemps conditionnées à «dompter» leur crinière à coups de produits chimiques et de peignes chauffants pour la défriser.

C’est le cas de la Canado-Haïtienne Nancy Falaise, qui a découvert ses boucles après un long combat contre le cancer du sein. «J’ai toujours eu la hantise de mes propres cheveux», avoue celle qui porte aujourd’hui une magnifique coupe afro aux boucles dorées. Je les ai perdus durant les traitements pour combattre la maladie et, quand ils sont revenus, j’étais tellement contente de les revoir que je me suis dit que j’allais les accepter tels quels.»

Spécialiste des cheveux naturels, elle est aussi propriétaire du salon de coiffure montréalais Nancy Falaise (nancyfalaise.com), qui fait aussi office d’école pour les personnes qui ont les cheveux frisés. Elle y donne des ateliers mères-filles et pères-filles, en plus d’épauler des adolescentes à manipuler et à coiffer leurs chevelures crépues et frisées. L’enseignement va au-delà du simple entretien du cheveu naturel: les jeunes filles y découvrent l’histoire des tresses, discutent de leurs expériences quotidiennes et apprennent à aimer la texture unique de leurs cheveux. «C’est un véritable travail d’amour, confie Nancy Falaise. L’adolescence est le moment opportun pour transmettre la confiance en soi.» Durant ces séances, elles s’entraident et s’exercent à se coiffer entre elles, et Nancy n’hésite pas à leur rappeler que leurs cheveux crépus et frisés ne sont ni «durs», ni «laids», ni «difficiles», soulignant au passage que «les cheveux sont un prolongement de soi: dire des choses positives de ses cheveux, c’est dire des choses positives à propos de soi-même.»

Génération YouTube

Ce travail conscient d’éducation entamé par Nancy Falaise n’est pas très éloigné de ce qui se passe en ligne. La naissance du mouvement nappy (une contraction des mots anglais natural et happy) coïncide avec l’avènement d’Internet au début des années 2000, période où les blogueuses et les youtubeuses aux cheveux afros ont commencé à faire part abondamment de leurs expériences sur la Toile. «Sans Internet, beaucoup de personnes se sentiraient isolées et auraient moins le courage d’assumer leurs cheveux naturels», révèle Rokhaya Diallo, journaliste française et autrice du livre AFRO!, paru en 2015. Réalisé en collaboration avec la photographe Brigitte Sombié, ce bouquin présente une série de portraits de personnes afrodescendantes portant fièrement leurs cheveux au naturel.

Grâce au web, une communauté de femmes et de jeunes filles a pris forme au fil du temps, transcendant les frontières. Des blogueuses comme Fatou N’diaye, du blogue Black Beauty Bag, en France, ou encore Whitney White, de la chaîne YouTube Naptural85, aux États-Unis, sont rapidement devenues des figures de proue de ce retour aux sources capillaire. «Les médias sociaux jouent un rôle primordial d’information sur la nature même des cheveux naturels, sur les soins nécessaires qu’ils requièrent et sur les produits qui existent sur le marché», ajoute Rokhaya Diallo.

Les jumelles TK Wonder et Cipriana Quann

Les jumelles TK Wonder et Cipriana QuannTerry Gates

Dans l’art comme dans la vraie vie

Cet éveil virtuel se transpose également dans l’art. Plusieurs artistes se sont inspirés des réalités du cheveu naturel afro dans leurs œuvres. Solange Knowles a chanté Don’t Touch My Hair («Ne touchez pas à mes cheveux») sur son album A Seat at the Table, Sanaa Lathan s’est rasé les cheveux dans le film Nappily Ever After et l’acteur Chris Rock a parcouru les États-Unis dans son documentaire Good Hair afin de comprendre à quoi correspondait un «bon cheveu» dans les communautés noires. En février 2020, Hair Love, un film écrit et réalisé par Matthew A. Cherry racontant l’histoire d’un père noir qui apprend à coiffer les cheveux de sa petite fille, a remporté l’Oscar du meilleur court métrage d’animation.

Devant la caméra d’Esther Nelsa

Parmi les voix qui se sont élevées sur YouTube, on trouve celle d’Esther Nelsa, une des premières blogueuses à avoir documenté son big chop (ou transition capillaire) au Québec. La jeune femme de maintenant 30 ans s’est fait connaître grâce à son blogue, Racines Crépues, lancé en 2009, juste avant qu’elle décide de couper la partie défrisée de ses cheveux (les produits défrisants modifient de façon irréversible la structure interne du cheveu) en 2010. «À l’époque, il n’y avait pas beaucoup d’information en français sur les chevelures crépues au Québec. J’ai donc décidé de créer une plateforme pour celles qui, comme moi, souhaitaient mieux comprendre leurs cheveux, se remémore-t-elle. Quand j’ai commencé à faire des recherches sur Internet et à voir des femmes adultes porter leurs cheveux naturels, j’ai compris que les défrisants n’étaient pas la seule option.» Cette transition capillaire lui a permis de retrouver une partie de son identité. «J’ai appris à nettoyer mes cheveux et à les valoriser sans avoir recours à des produits chimiques», explique-t-elle.

Esther Nelsa n’a pas hésité à transmettre ses nouvelles connaissances à ses lectrices et abonnées. Son site Internet et sa chaîne YouTube sont rapidement devenus de véritables mines d’or de conseils et d’astuces pour les femmes aux cheveux crépus. Aujourd’hui, bien que le blogue Racines Crépues ne soit plus actif, son contenu reste accessible en ligne et demeure une référence en la matière au Québec et dans le reste de la francophonie.

Se voir à l’écran

Combien de personnages féminins aux cheveux crépus et naturels avez-vous déjà vus au petit écran au Québec? Un ou deux? Trois tout au plus? Pour la scénariste et réalisatrice québécoise Eva Kabuya, parler d’afro, c’est également parler de représentation. «La représentation des femmes noires est inexistante sur nos écrans, affirme-t-elle. Forcément, il est difficile de s’identifier à quelque chose qu’on ne voit pas.»

C’est donc pour pallier ce manque de représentation qu’Eva a fait le choix d’inclure des Noires aux cheveux naturels – mais pas que! – dans ses projets. Sa série web Amours d’occasion, diffusée sur ICI Tou.tv, met en vedette une panoplie diversifiée de personnages tous aussi singuliers les uns que les autres, dont celui de Djamina, interprété par l’actrice Audrey Roger. «J’ai dû me battre pour que Djamina puisse garder ses tresses, avoue Eva Kabuya. Cela peut paraître anodin pour certains, mais pour moi, ce sont plus que des cheveux. C’est important de montrer des femmes à la peau noire portant fièrement leurs cheveux naturels à l’écran.»

Le parcours capillaire d’Eva Kabuya a débuté dès l’âge de six ans, quand elle a vécu son premier défrisage. «Je voulais avoir les cheveux au vent comme les Blancs!» révèle-t-elle en riant. Cette obsession pour les mèches lisses l’a poussée à se défriser les cheveux à répétition, ce qui a causé différents traumatismes capillaires, comme la perte de cheveux et une hypersensibilité du cuir chevelu. «Dès l’apparition de ma repousse crépue, je sentais l’urgence d’appliquer une nouvelle permanente lissante. J’avais honte de mes cheveux naturels.» Aujourd’hui, ce sentiment ne l’habite plus, et elle arbore sa crinière comme bon lui semble, qu’elle soit tressée ou coiffée en afro. «J’ai maintenant une relation beaucoup plus saine avec mes cheveux et mon identité. C’est un processus», conclut-elle.

Ensemble, c’est tout

Lorsqu’on demande aux jumelles Quann de décrire leurs cheveux, le mot qui revient le plus souvent est beautiful (beaux). Bien connues du milieu des arts et de la mode à New York et dans le monde, TK Wonder et Cipriana Quann n’ont jamais eu la langue dans leur poche. Ensemble, elles forment un duo unique. Depuis près de 10 ans, elles prônent la diversité et l’acceptation de soi au sein d’une industrie de la mode qui est loin d’être toujours inclusive.

Dense, longue et imposante, leur chevelure leur a valu de nombreux éloges, mais également bien des critiques. «On m’a répété à maintes reprises que je devais changer la texture de mes cheveux si je voulais un jour percer dans ce milieu commercial», confie Cipriana, qui a été mannequin avant de quitter définitivement le milieu au début des années 2000. TK Wonder, artiste multidisciplinaire, a également été victime de remarques de toutes sortes concernant sa crinière. «J’ai déjà été agressée dans la rue par un homme qui s’est approché derrière moi et qui a enfoncé ses mains dans mes cheveux afin de vérifier s’ils étaient vrais», raconte-t-elle.

C’est en partie à cause de ce ras-le-bol, de cette accumulation d’agressions et de microagressions, qu’est née la plateforme Urban Bush Babes, cofondée en 2011 par Cipriana Quann et une de ses amies, qui évolue autour du cheveu naturel afro, des arts et de la culture. «[Le but était] d’encourager, de soutenir et de mettre de l’avant les femmes de couleur, tout en produisant du contenu qui, à mon avis, manquait dans les médias grand public», explique-t-elle.

Les jumelles Quann sont rapidement devenues des visages clés du mouvement nappy. Elles ont inspiré toute une génération de jeunes filles (y compris moi, à l’époque!) à ne pas cacher la texture naturelle de leur chevelure. «La liberté de nos cheveux est directement liée à notre liberté d’esprit», souligne TK Wonder.

Un look pour toutes

Est-il donc plus facile pour les femmes noires d’assumer leurs cheveux naturels, en 2020? «Pas forcément, car les modèles restent les mêmes», rappelle avec justesse la journaliste Rokhaya Diallo. Le diktat des cheveux lisses est encore bien ancré dans notre société, et la communauté nappy n’y échappe pas. Ce n’est pas un hasard si la plupart des femmes aux cheveux naturels mises de l’avant dans les médias sont généralement métissées, que le teint de leur peau est plus clair et que leurs boucles sont plus malléables. «Ça me paraît toujours très étrange de voir ce look-là revenir sans cesse, alors qu’il existe une variété de femmes noires aux cheveux très frisés et très crépus», ajoute la professeure Cheryl Thompson.

Entre le colorisme, le racisme et l’invisibilité quasi permanente, il reste du chemin à faire avant que notre société ne commence à accepter les femmes noires et métissées pour ce qu’elles sont. Le but n’est pas de culpabiliser celles qui décident de se raidir les cheveux ou qui ont recours à des produits chimiques défrisants, selon Rokhaya Diallo. «Pour moi, la vraie liberté, c’est d’avoir le choix. C’est la capacité à considérer les cheveux crépus comme beaux. Tout simplement.»

3 comptes Instagram inspirants

Ebonee Davis @eboneedavis

Ebonee Davis @eboneedavis@eboneedavis

«Majestueux» est le mot qui décrit le mieux les cheveux de l’activiste et mannequin Ebonee Davis. Son compte Instagram regorge de photos tout aussi époustouflantes les unes que les autres!

Susy Oludele @hairbysusy

Susy Oludele @hairbysusy    @hairbysusy

En manque d’inspiration pour coiffer nos cheveux crépus et frisés? On fait un tour sur la page de la coiffeuse-styliste Susy Oludele. Ce n’est pas pour rien que Beyoncé et Solange Knowles font partie de ses clientes habituelles!

Fatou N’diaye @blackbeautybag

Fatou N’diaye @blackbeautybag@blackbeautybag

On se régale des coupes stylées et des looks sophistiqués que Fatou N’diaye publie régulièrement sur son compte Instagram. Cool et branchée à souhait!