L’autre jour, je me promenais en auto avec ma fille de 9 ans lorsqu’elle me demande de faire jouer un de ses CD. «C’est quoi?» lui dis-je, un peu déprimé à l’idée de devoir me taper Pou-Pou le bouffon pour la sixième fois.

«Je ne sais pas, c’est mon amie qui me l’a prêté», répond-elle. Je glisse donc le disque dans le lecteur de l’auto et appuie sur play. Tout de suite, le doux vent de la poésie souffle dans mes cheveux: «Hey, yo bitch! Fuck this, fuck that! Take my lollipop in your mouth! Eat my candy! Yo, motherfucker!» Ou quelque chose du genre… Bref, ce n’était ni Pou-Pou le bouffon ni Julie Spaghetti, l’amie des papas. C’était 50 Cent, le nouveau roi de la musique pop.

Je sais, je sais, il n’y a rien de pire qu’un ex-bougalou grisonnant qui peste contre la «maudite musique de jeune» en revenant d’acheter une bonne bouteille de rouge à la SAQ. Après tout, des rockeurs incendiaires, il y en a toujours eu, de Jerry Lee Lewis, qui avait marié sa cousine mineure, à Alice Cooper, qui décapitait des mannequins de femmes sur scène, sans oublier le punk Sid Vicious, qui a poignardé sa petite amie avant de mourir d’une surdose d’héro. Alors un 50 Cent de plus ou de moins, ça ne changera pas grand-chose…

J’aimerais bien vous dire que 50 Cent, Puff Daddy, Snoop Dogg et autres stars du même acabit ne m’énervent pas le poil des jambes. Ça me ferait un plaisir immense, j’aurais l’air super cool malgré mes 44 ans, mais que voulez-vous, je ne peux pas. L’esthétique de gangster, ça me donne des boutons.Il y a quelques mois, j’ai rencontré un militant des Black Panthers qui a passé quelques années en prison. (Pour ceux qui l’ignorent, les Black Panthers étaient un groupe qui luttait pour faire avancer les droits des Noirs dans les années 60.) Or, quand le gars est sorti de taule, il est littéralement tombé sur le cul. «Je n’en croyais pas mes yeux, m’a-t-il confié. Pendant des années, j’ai lutté pour que les Blancs cessent de véhiculer toutes sortes de préjugés négatifs sur les Noirs, et là, qu’est-ce que je voyais? Des jeunes Noirs qui se déguisaient en pimps, qui brandissaient des armes à feu et qui s’appelaient niggers! Je me suis dit: tout ça pour ça. Toutes ces années de lutte et d’emprisonnement pour en arriver là… Ça m’a foutu le cafard.»

Ce militant antiraciste n’est pas seul dans son coin. Moi aussi, ça me fout le cafard de voir de jeunes Noirs se comporter comme les personnages d’une bédé créée par le Ku Klux Klan. Je trouve ça horriblement humiliant. Pour eux, comme pour mes filles.

Vous me direz que je ressemble à une féministe de 55 ans qui pourfend le «matérialisme éhonté» de Sex and the City et qui s’ennuie du bon vieux temps où les femmes portaient des jupes en terre cuite et se laissaient pousser le poil des jambes. Permettez-moi de ne pas être d’accord.

En avouant haut et fort leur amour des chaussures et des sacs à main, les filles d’aujourd’hui ne perdent rien; au contraire, elles ajoutent une corde à leur arc. Elles disent qu’elles peuvent à la fois être féministes et féminines. Mais ils gagnent quoi, les fanas de gangsta rap, quand ils brandissent une AK-47? Le respect? Non, la peur. Ça impose le même silence, mais ce n’est pas du tout la même chose.

Get Rich or Die Tryin’, chante 50 Cent. Maudite belle morale… Cela dit, il ne l’a pas inventée. Les Hells aussi, qui sont Blancs comme coke, endossent le même principe. L’argent n’a pas d’odeur. La connerie non plus.

Article publié originalement dans le numéro de mars 2006 du magazine ELLE QUÉBEC