Si vous prenez l’autoroute I-10 en quittant La Nouvelle-Orléans, les balcons ouvragés du Quartier Français, les noceurs de Bourbon Street ainsi que tout le bruit et l’animation de la métropole céderont bientôt la place à un paysage dépouillé. En dépassant Bâton Rouge, la capitale officielle de l’État, vous traverserez un pont scindé en deux, soutenu par d’immenses pylônes en béton, qui surplombe les eaux saumâtres du Bass in d’Atchafalaya, qu’il faut explorer en bateau. Quiconque voit un jour le paysage marécageux et la végétation touffue de cette immense réserve naturelle ne l’oublie apparemment jamais. Si vous continuez votre route, vous pourrez bientôt poser vos valises à Lafayette, une petite localité de quelque 120 000 âmes. Avec son centre-ville microscopique et une seule rue principale digne de ce nom, cette ville fondée en 1823 est située au coeur de la Louisiane francophone. D’ici, vous pourrez emprunter la route des plantations (Great River Road), visiter les bayous et les marais en bateau à moteur, et, surtout, prendre le pouls du pays cajun d’aujourd’hui. Une région férocement attachée à ses traditions – la culture des Acadiens déportés ici en 1755 a résisté à toutes les tentatives d’assimilation -, mais qui n’en est pas moins vibrante, moderne et tournée vers l’avenir. Voici une compilation de tout ce qu’on en a retenu.

La culture cajun va très bien, merci…

«Quand j’étais petite, il nous était interdit de parler le français à l’école, sinon on était punis», nous dit Martha Dupuis – une petite dame frêle du bureau d’accueil de Lafayette – dans la langue de Zachary Richard. Depuis les années 1970, des efforts concrets ont été faits pour préserver le français cajun, mais les jeunes qui le parlent aujourd’hui sont rares. «Les gens de mon âge perpétuent plutôt cet élément du patrimoine à travers la musique et la cuisine», affirme Mark LeBlanc, un jeune homme d’une trentaine d’années qu’on a croisé à la Parish Brewing Co., une chouette brasserie artisanale située dans la localité de Broussard. «Ici, les recettes de plats traditionnels sont transmises des parents aux enfants; la nourriture, c’est ce qui nous unit.»

… Et elle continue d’évoluer

Si le terme «cajun» a longtemps été synonyme d’insulte, il est aujourd’hui revendiqué par une génération ouverte sur le monde, mais attachée à ses racines. «Je suis fier de venir d’ici», affirme Ross Fontenot, 31 ans, propriétaire d’une boutique de vêtements hip à Lafayette. Bougies parfumées, cardigans à grosses mailles pour homme, sacs à dos utilitaires, flasques à whisky design… La sélection d’articles de Genterie Supply Co. est d’une modernité totalement assumée. «Je ne me serais pas imaginé ouvrir cette boutique ailleurs, dit Ross. J’aime l’ambiance vieux jeu qui règne ici. Les valeurs familiales sont encore très fortes chez nous, et notre communauté est tissée serré.»

Quand faire la fête est un art

Pour entretenir ces rapports de voisinage, tous les prétextes sont bons. «Souvent, quelqu’un lance une invitation à l’improviste, et on se retrouve tous chez lui à manger du gombo et à jouer de la musique», raconte Chris Miller, 28 ans, un membre du groupe de musique cajun et zydeco The Revelers. Même le Marché Fermier de Lafayette. ouvert tous les samedis de mai à octobre, se transforme en party improvisé, avec cette propension qu’ont les Louisianais à toujours dégainer un violon ou un accordéon… Le coin est d’ailleurs célèbre pour ses festivals: des foules de gens se déplacent pour participer au Festival International de Louisiane (qui a reçu l’année dernière la visite d’Angélique Kidjo et de Lisa LeBlanc) ou aux Festivals Acadiens et Créoles (une célébration de la musique, de la cuisine et de l’artisanat cajuns).

Le clou de la saison? La fête annuelle de Mardi gras, aussi rurale ici qu’elle est clinquante à La Nouvelle-Orléans. Cet événement a une coutume particulière: des personnages avec costumes et capuchons doivent faire le tour du village pour offrir aux fermiers des danses et des chansons en échange d’ingrédients qui serviront à préparer un grand gombo commun. Plus pastoral que ça, tu meurs!

La Louisiane s’écoute autant qu’elle se goûte

Pour écouter du zydeco live – un proche parent de la musique cajun, mais métissé d’influences créoles -, le Café Des Amis, à Breaux Bridge, est un incontournable. Tous les samedis, on peut y bruncher en écoutant de la musique. À Lafayette aussi, les bonnes soirées se poursuivent jusque tard dans la nuit au Blue Moon Saloon ou au café Artmosphere, où les artistes de passage et les musiciens locaux font pleurer de nostalgie folk leurs violons, guitares et accordéons. «J’adore la musique cajun parce que c’est une tradition vivante, affirme Chris Miller. Elle est en constante évolution, même si on ne renie pas l’héritage des pionniers du genre, comme les Balfa Brothers ou Dennis McGee.» Impossible de ne pas taper du pied en entendant ces sons chaleureux, qui évoquent passé et présent…

Les foodies vont apprécier

En plein centre-ville de Lafayette, des restos modernes ont récemment vu le jour, dirigés par de jeunes chefs dynamiques. C’est le cas de The French Press, où le chef propriétaire Justin Girouard a imaginé une carte aux influences acadiennes, mais aux accents rock: oeufs bénédictine à la cajun (c’est-à-dire servis dans un gombo au poulet et à l’andouille), crabe à carapace molle frit et salade aux agrumes, miniburgers aux boulettes de boudin et au sirop…

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Et, preuve que la région est aussi ouverte sur le monde, on peut commencer la soirée en dégustant des tapas et un old fashioned au Pamplona’s Tapas Bar, dans un décor que n’aurait pas renié Hemingway. «De plus en plus de Cadiens d’origine choisissent de rester ici ou d’y revenir, parce qu’ils veulent investir dans la région. C’est un endroit fantastique pour des gens créatifs qui veulent faire partie d’une communauté en pleine évolution», affirme Denny Culbert, photographe et cocréateur avec son épouse, Katie, du collectif Runaway Dish. Depuis deux ans, leur groupe met sur pied des dîners événements dont les menus sont composés par deux chefs invités. «En organisant ce type de happenings, nous cherchons à revisiter notre patrimoine culturel, nous écrit M. Culbert. Nous sommes intéressés par le passé, mais aussi par l’avenir de notre communauté culinaire.»

Les jeans extensibles sont un must

Soupe macque choux au maïs, poisson-chat à l’étouffée, plateaux d’écrevisses… Oui, on est bien en Louisiane! Pour goûter une version authentique et très riche de cette cuisine, rendez-vous chez Prejean’s, une vraie institution, où un alligator empaillé trône en plein milieu de la salle à manger. Son enchilada aux écrevisses crémeuse et sa tarte aux pacanes et aux patates douces nous ont laissé des souvenirs indélébiles (et un peu coupables). Heureusement qu’il existe aussi des versions plus légères et réactualisées des spécialités régionales, comme chez Jolie’s Louisiana Bistro, où on a goûté à des fruits de mer énormes et juteux, à des shrimp & grits crémeux comme il se doit et à un mac’n’cheese au gouda fumé décadent. Rassurez-vous, on y sert aussi des salades…

Il y a de la magie dans les bayous

Assis dans une petite barque qui nous fait passer entre les bras osseux et arachnéens des grands cyprès, on fend tranquillement les eaux opaques du Lake Martin. On aperçoit un tronc d’arbre couvert de mousse, puis on voit un plan d’eau voilé par un épais tapis d’herbes vertes, si vives qu’on les croirait dessinées avec un crayon Crayola. «Chaque saison apporte quelque chose de nouveau. En ce temps de l’année (on est au mois de janvier), c’est comme un renouveau», affirme notre guide, Gerry Lasseigne (champagnesswamptours.com). Massif, rougeaud et vêtu d’une veste de camouflage, il pourrait ressembler à un personnage de la série Duck Dynasty… si ce n’est qu’il nous parle de SON marais avec une tendresse et une poésie rares. On le comprend, les alligators ont eu beau se cacher profondément sous la surface du lac ce jour-là, on est repartis de la visite du bayou éblouis par la Louisiane sauvage et hors du temps qu’on y a entraperçue. Vrai, il y a quelque chose de magique là-bas!

Les végétaliens vont pleurer

«Hot boudin to-day» annonce une pancarte défraîchie à l’extérieur du Johnson’s Boucanière. Chaque jour, il y a foule devant le comptoir de ce resto-boucherie, reconnu pour ses chaînes de boudin épicé servi fumant et emballé dans du papier sulfurisé. Les gens du pays aiment passionnément ces saucisses à base de riz, du porc et des épices (et non pas, comme leur cousin français, à partir de sang caillé). Il s’en vend partout, tant dans des restos chics que dans des stations-services, mais les habitants du coin vous diront que la vraie façon de les déguster est debout à côté de la voiture, pendant qu’elles sont encore chaudes. C’est ce qu’on a fait un après-midi en s’arrêtant au supermarché NuNu’s, à Broussard, où une petite dame fière de dire que son boudin remportait tous les concours régionaux nous a servi une saucisse bien piquante (le site boudinlink.com répertorie d’autres bonnes adresses dans les environs). Ça y est, on se sentait louisianais dans l’âme!

Y aller préférablement durant un festival et visiter, par la même occasion, la Nouvelle-Orléans.

Dormir au The Juliet Hotel, idéalement situé en plein centre-ville de Lafayette.

Écouter The Revelers, Feufollet, Joel Savoy, Les Malfecteurs, Lost Bayou Ramblers et Soul Creole, pour entendre la musique de la Louisiane d’aujourd’hui.

Goûter aux spécialités du Social Southern Table & Bar et du Bread & Circus Provisions, qui nous ont été chaudement recommandés par tous les gens du coin.

Danser au FeednSeed, ou dans les dance halls de Lakeview Park & Beach ou encore au Angelle’s Whiskey River Landing, si vous voulez pratiquer le quadrille. C

Visiter Avery Island, pour ses Jungle Gardens luxuriants, un lieu de nidification naturel pour des centaines d’espèces d’oiseaux, et le bassin d’Atchafalaya, pour naviguer sur le plus grand marais des États-Unis (on nous a recommandé les services du guide M. Roy Blanchard: Roy Blanchard Boat Tours, 337 229-6961). Info Lafayettetravel.com

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