Une des blagues qui a longtemps circulé à propos de la sixième plus grande ville des États-Unis va comme suit: «Vous savez quelle est la différence entre Phoenix et un yogourt? Le second a de la culture.»

Aujourd’hui, la boutade ne tient plus (même si elle reste drôle). Depuis qu’un métro léger sur rail a été construit en 2008 pour relier Phoenix aux municipalités de Tempe et de Mesa, le centre-ville de la capitale arizonienne est méconnaissable. Pour commencer, on peut s’y promener à pied, une première dans ce paradis des 4 x 4. D’ambitieux nouveaux établissements y ont poussé, comme le complexe CITYSCAPE (cityscapephoenix.com), qui comprend une tour de bureaux, un hôtel-boutique, des restaurants… et une patinoire extérieure en hiver, surréaliste dans ce paysage aride (au mois de décembre, en Arizona, le mercure oscille entre 5 °C et 20 °C). Mais surtout, cette nouvelle circulation piétonnière a entraîné l’apparition d’une foule de commerces indépendants: des cafés, des restos, des galeries, des brasseries artisanales… «Notre ville est en pleine métamorphose», s’enthousiasme Kimber Lanning, directrice de l’initiative Local First Arizona, un regroupement qui soutient le développement local. «Dans les années 1950 et 1960, le centre-ville était plein de vie, ça bougeait, ça prospérait. Puis, au fur et à mesure que des millions de personnes y ont afflué, on a assisté à de l’étalement urbain.» Résultat: des banlieues qui empiétaient toujours plus loin sur le désert, alors que la zone centrale se vidait dès la fermeture des bureaux, le soir…  

Encore aujourd’hui, le centre-ville reste criblé de cratères vacants. Au-delà des gratte-ciels, qui signalent le cœur financier de Phoenix et ses quelques monuments historiques (comme ceux du miniquartier victorien HERITAGE SQUARE, heritagesquarephx.org), on y trouve surtout de vastes ave- nues rectilignes à perte de vue. De part et d’autre se dressent des palmiers clairsemés, des entrepôts bas, des maisonnettes blanches aux toits terracotta, et des lots de terre rouge et sèche, vides. Mais Kimber Lanning a raison, les choses changent. En se promenant dans le coin de Roosevelt Row, on tombe sur des endroits comme ANGELS TRUMPET ALE HOUSE (angelstrumpetalehouse.com), une brasserie artisa- nale qui sert 31 sortes de bières et organise des soirées thématiques comme les «mardis TV dinner» (où on peut déguster une version gourmet des repas traditionnels qui étaient servis dans des plateaux à compartiments dans les années 1950). Juste en face, le FILMBAR (thefilmbarphx.com) projette surtout des films étrangers ou indépendants dans une petite salle de 70 sièges, où on peut également commander un verre de vin ou une bonne pinte de bière.

Quelques pâtés de maisons plus loin, le PHOENIX PUBLIC MARKET (phxpublicmarket.com) apparaît comme un îlot d’énergie et de couleurs surgi d’on ne sait où. Dans le grand CAFÉ (phxpublicmarket.com/cafe) tout en briques et en bois adjacent au marché, des gens bien habillés, dans la trentaine, sirotent leur café au lait sur un patio chauffé par un poêle à bois. Sur les étals extérieurs, des agriculteurs et des artisans locaux ont installé des fruits et légumes de saison, des salsas maison et des objets vintage qu’ils proposent aux passants. C’est un lieu petit, intime, où tout le monde semble se connaître. Le genre d’atmosphère bon enfant qui permet d’aborder sans façon le célèbre chef Chris Bianco, un pionnier de la scène foodie locale, qu’on a croisé au coin d’un présentoir de légumes. «La culture est très jeune, ici», affirme le propriétaire de la PIZZERIA BIANCO (pizzeriabianco.com), un resto si renommé que l’attente avant d’y obtenir une table dure fréquemment… trois heures. «Il faut être capable de voir au-delà de la façade pour vraiment apprécier cette ville, ses gens, sa cuisine, son énergie. C’est un lieu incroyable!»

UN SECTEUR QUI RENAÎT

La meilleure preuve de ce que Chris Bianco avance, ce sont les BENTLEY PROJECTS. De l’extérieur, ces vastes entrepôts en briques rouges, situés dans un coin industriel au sud d’un chemin de fer, ressemblent davantage à une prison qu’à l’adresse d’une prestigieuse galerie d’art. Et pourtant, c’est ici qu’on découvre la BENTLEY GALLERY (bentleygallery.com), un grand centre d’art contemporain qui expose les œuvres d’artistes comme la Québécoise Dominique Blain, le Mexicain Enrique «Sebastián» Carbajal ou l’Américain Jeremy Thomas, dont les monumentales sculptures en tôle tordue et colorée illuminent la cour. «Ce qu’il y a de formidable à Phoenix, ce sont tous les trésors cachés que recèle la ville! Si vous ne connaissez pas le coin, vous pourriez passer tout droit, alors qu’il y a tant d’adresses à découvrir», dit Kimber Lanning, qui milite pour la création de quartiers plus denses, où les immeubles et les terrains abandonnés seraient restaurés et réutilisés. Une idée novatrice, dans cette région où on avait l’habitude de détruire systématiquement avant de reconstruire…

Greg Esser croit lui aussi à la nécessité de revitaliser des zones urbaines déjà existantes. C’est pourquoi cet artiste et galeriste s’est impliqué de près dans la transformation de Roosevelt Row, avec l’aide d’un organisme créé pour soutenir les initiatives artistiques dans ce secteur (roosevelt row.org). «Il y a toujours eu beaucoup d’artistes à Phoenix, mais il leur manquait un lieu de rassemblement, raconte-t-il. Roosevelt Row [familièrement rebaptisé RoRo] est devenu ce pôle, parce que l’immobilier y était abordable. Les ar- tistes se sont mis à y emménager et à acquérir des proprié- tés, qu’ils ont transformées en ateliers ou en espaces d’exposition. Ça a empêché qu’ils soient évincés au fur et à mesure que le quartier s’embourgeoisait, comme ç’a été le cas à SoHo par exemple.» Autrefois gangrené par la violence, RoRo est aujourd’hui constellé de galeries d’art. On y trouve notamment l‘EYE LOUNGE (eyelounge.com), l’espace MONORCHID (monorchid.com), et la galerie FIVE15 ARTS (515arts.com), pour n’en nommer que quelques-unes. RoRo est aussi l’hôte tous les mois des First Friday, un évènement portes ouvertes qui permet à des milliers de personnes de se promener de galerie en galerie (artlinkphoenix. com). Le reste du temps, on y admire, au détour d’une rue, d’immenses murales dessinées par des artistes locaux, ou alors on découvre, posés sur des lots vacants, des conte- neurs convertis en galeries d’art éphémères (c’est le nouveau dada de Greg Esser: occuper les terrains vides en y installant des expos pop-up).

EFFERVESCENCE CULINAIRE

Et il n’y a pas que la culture qui est en ébullition à Phoenix; côté gastronomie aussi, ça bouge! Une poignée de cuistots de talent font le bonheur des amateurs de bonne chère. Longtemps, la ville a été la capitale du «steak-patates», selon Stephen Jones, un jeune chef local. Lorsqu’il était aux fourneaux du BLUE HOUND KITCHEN & COCKTAILS (bluehoundkitchen.com) – il officie aujourd’hui au Bootleggers Modern American Smokehouse -, Jones s’était appliqué à améliorer la cuisine du sud-ouest, populaire dans la région, en imaginant des plats aux influences métissées et en utilisant des poissons frais de première qualité. «Ici, les gens aiment les steakhouses et les restos de sushis», confirme Beau MacMillan, une star de l’émission Iron Chef America, qui dirige le sublime ELEMENTS (sanctuaryoncamelback.com), à Scottsdale, en banlieue. Lui aussi s’est donné comme mission de repousser les limites gus- tatives de ses clients, en imaginant une carte américaine aux accents asiatiques (ses short ribs sichouanais servis sur du riz collant sont à se damner!).

Mais celle qui incarne le mieux la fusion des cultures dans l’Arizona d’aujourd’hui, c’est la chef Silvana Salcido Esparza, une passionnée de bouffe de rue mexicaine, qui est à la tête d’un petit empire: elle possède le BARRIO CAFÉ (barriocafe.com), le BARRIO AVION à l’aéroport de Phoenix (skyharbor.com), et maintenant aussi le BARRIO URBANO (barriourbanophx.com). «Phoenix a toujours été une ville de passage, une porte d’entrée en Amérique pour les immigrants mexicains, dit-elle. Or, pendant longtemps, on ne pouvait pas trouver d’authentiques ingrédients mexicains ici, ce qui a donné naissance à une cuisine mexicaine diluée.» Pour cette femme engagée, passionnément opposée aux lois de l’Arizona sur l’immigration, trop répressives (c’est l’État le plus dur du pays pour ce qui est de la chasse aux immigrants clandestins), la nourriture a un caractère social. «Je veux faire une cuisine qui rende hommage à ma culture – américaine – autant qu’à celle de mes parents mexicains. Une cuisine qui nourrit l’âme.

Et j’ai trouvé le terrain de jeu parfait pour la créer, parce que l’Arizona, pour moi, c’est une terre où tout est possible. Vraiment tout.» On ne saurait mieux dire.  

À DÉCOUVRIR:
Voyage; en mode vip à Los cabos
République tchèque: voyage à prague, la surprenante
Saint-Vincent et les Grenadines: destination authentique et jetset