Au dernier étage de la plus haute tour d’Amérique, j’ai les jambes en coton et les bras qui frémissent. Face à la ville qui s’étend à mes pieds, je me résigne à m’avancer dans l’ouverture béante devant moi. Je fais un pas dans le vide… et me voilà suspendu dans les airs, au-dessus d’un précipice de 412 mètres. Ouf! J’ai déjà marché sur des surfaces translucides en haute altitude, à Toronto et à Shanghai, mais elles n’arrivent pas à la cheville de THE LEDGE, situé au 103e étage de la WILLIS TOWER (anciennement appelée la Sears Tower): tant le plancher que le plafond et les murs de cet espace sont vitrés. Résultat: mollets en guenilles et émotions fortes garantis!

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The Ledge n’a pas été ma seule source de frissons au cours de ce séjour à Chicago. D’aussi loin que je me souvienne, l’aficionado d’architecture en moi a caressé le rêve d’arpenter cette métropole le nez en l’air et les yeux écarquillés: la ville forme une véritable pépinière de gratte-ciels célèbres, et j’étais prêt pour une moisson surabondante.

Du séculaire SULLIVAN CENTER à la fantasmagorique TRIBUNE TOWER et ses gargouilles néogothiques, des vagues brindezingues de l’hôtel RADISSON BLU AQUA aux épis de maïs en béton des tours MARINA CITY, Chicago compte son lot de constructions de renom. En quatre jours, je me suis plu à les admirer en me promenant dans les rues, en naviguant sur les canaux, en joggant dans les parcs ou en empruntant le Loop, cette voie de métro aérienne, baptisée «the sexiest railway in the world» par le réalisateur Danny Boyle (Trainspotting). C’est aussi à Chicago qu’est né celui que plusieurs considèrent comme le premier véritable gratte-ciel du monde, le HOME INSURANCE BUILDING (1885), et c’est là aussi que le plus illustre architecte américain, Frank Lloyd Wright, a génialement entamé sa carrière. C’est lui qui a brodé la fine dentelle de fer vitrée de THE ROOKERY et qui a imaginé la longiligne ROBIE HOUSE, un excellent exemple du style Prairie, qui tend à faire corps avec les grandes plaines du Midwest tout proche.

 

Dans cette ville qui évoquait jadis le gangstérisme, les abattoirs et les humeurs gaillardes, un tel foisonnement de grâce architecturale surprend. «Nous avons dû reconstruire vite. Et tant qu’à reconstruire, pourquoi ne pas en profiter pour bien le faire?» m’explique le guide Marlin Keesler. En effet, Chicago, officiellement fondée en 1837, est presque entièrement partie en fumée en 1871, quand son Grand Incendie a détruit près des deux tiers de ses habitations. Mais la «City of the Big Shoulders» était capable d’en prendre: dans les années qui ont suivi, le brasier a fait place aux étincelles de créativité, et la métropole a été réaménagée avec brio, drapée d’une étoffe architecturale unique, mais aussi criblée de verdure.

En plus de longer le lac Michigan et d’être bordée de 24 km de plages, la troisième ville en importance des États-Unis est festonnée de quelque 500 parcs, dont le LINCOLN, qui s’étend sur 10 km. Sa plus grande fierté verte demeure le MILLENIUM PARK, où l’architecte-star Frank Gehry a composé une symphonie de titane et d’acier pour son JAY PRITZKER PAVILION, une scène en plein air qui permet d’écouter les orchestres de musique classique, bien affalé sur la pelouse.

Le principal attrait de ce parc reste CLOUD GATE, of course. Cette sculpture insensée d’Anish Kapoor, pareille à une gigantesque goutte de mercure, est un chef-d’oeuvre de simplicité et de pureté métallique, dans laquelle les curieux, les nuages et les gratte-ciels se mirent sous tous leurs angles. En contrebas, les gamins courent pieds nus comme sur une photo de Doisneau, dans les jeux d’eau de l’ahurissante CROWN FOUNTAIN, piquée de deux tours de verre où apparaissent alternativement à l’écran les visages de 1000 Chicagoans. Bref, la Ville des vents a la jeunesse qui exulte, l’art urbain qui exalte et… bien de l’exubérance. Y compris à table.

Chicago la foodie

Dans cette cité connue pour ses pizzas trapues, ses hotdogs au boeuf et ses bronto-biftecks, je ne m’attendais pas à me régaler à chaque repas. Et pourtant. «Chicago est en voie de devenir une véritable mecque pour les foodies», m’assure Melissa McCarville, de l’organisme promotionnel Choose Chicago. «Elle est même en train de rafler certains des meilleurs chefs de New York!» Il est vrai qu’elle figurait à la deuxième place du palmarès America’s Best Restaurant Cities du magazine Esquire en 2010, et que 19 de ses tables ont des étoiles au firmament des guides Michelin.

J’ai commencé à comprendre pourquoi lorsque je me suis régalé d’une énorme assiette de céviche, de corail d’oursins et d’autres délicats fruits de mer au RM CHAMPAGNE SALON, le nouveau «bar à bulles» du quartier branché de West Loop – là où se trouvaient jadis les studios d’Oprah. Puis, j’ai été conquis par les raviolinis de cuisses de grenouille et leur bouillon à l’ail noir, le ris de veau aux abricots marinés et les autres succulentes bouchées fusion du NELLCÔTE, qui est situé sur la rue Randolph, pimentée de bonnes tables. «C’est LA rue des foodies, par les temps qui courent», assure Melissa McCarville.

Ma satisfaction s’est poursuivie le lendemain, quand le chauffeur du PENINSULA, l’hôtel ultrachic où ma douce et moi sommes descendus, nous a déposés avec sa Mini Cooper de service (l’établissement offre un service de navette lorsqu’on y réserve une suite) devant une peinture murale représentant un cachalot, dans le quartier WICKER PARK. C’est là que réside, derrière une porte dérobée, le très feutré VIOLET HOUR, un lounge à martinis où les «mixologistes» officient avec le souci de doctorants en alchimie. «Encore un Never Surrender, monsieur?» Non merci, je ne voudrais pas clopiner jusqu’au BEDFORD, le gastropub où j’ai réservé une table. Lorsque je pénètre dans ce resto aménagé dans la chambre forte d’une ancienne banque, j’y découvre, époustouflé, une colossale porte de coffre-fort et des coffrets de couleur bronze, tous d’origine. Je ne tarde pas à y enfourner un jarret de porc juteux qui s’effiloche rien qu’à le regarder. Même s’il est plus roboratif que raffiné, je l’apprécie, car il amalgame en quelque sorte un peu de l’ancien et du nouveau Chicago.

Dans le Grand Chicago – près de 10 millions d’âmes -, pas de place pour le snobisme: à la fois berceau de la house, haut lieu des vieux clubs de jazz et de blues patinés par les décennies, et épicentre festif depuis des lustres, la métropole de l’Illinois baigne dans une ambiance décontractée et informelle. Plus le temps passe, plus elle raffine son art de vivre… et moins elle se sent obligée de rivaliser avec la Grosse Pomme, devant qui elle a longtemps souffert d’un complexe d’infériorité. Après tout, n’est-elle pas le chef-lieu d’adoption du président le plus cool de l’histoire du pays?

Capitale financière, mégapole verte et cité magnifique à la silhouette architecturale inégalée, Chicago peut bien se permettre de voir loin, depuis le sommet de ses tours qui grattent de très haut le ciel.

Carnet de bord de Chicago

À 1 heure 30 de vol de Montréal.

QUAND Toute l’année, mais idéalement de mai à octobre.

VOIR la ville au pas de course avec Chicago Running Tours ou avec un greeter (guide local bénévole); le meilleur de l’architecture en croisière sur les canaux (cruisechicago.com/architecture_tours); de surprenantes oeuvres d’art contemporain au Art Institute, dont la nouvelle aile est signée Renzo Piano (artic.edu).

DORMIR chic et charme au Peninsula; hip au Lincoln; à petit prix au Hotel 71.

GOÛTER à la mousse de foie de chèvre de Girl and the Goat; au tartare de canard de Henri; à la salade pêche et saumon de Fred’s at Barneys; à une part de divin à l’Alinea, trois étoiles Michelin.

BOIRE une sangria pression au Black Bull; entre ciel et terre au ROOF on theWit.

ÉCOUTER des groupes de jazz chez Andy’s ou des riffs de blues au Buddy Guys’ Legends, où la star elle-même se produit souvent.

SE PROCURER la Chicago CityPASS, qui permet de visiter cinq sites pour 84$.

LIRE le guide Time Out Chicago, ultrabranché.

S’INFORMER sur choosechicago.com.

 

 

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