Avant que j’y mette les pieds, Philadelphie n’évoquait pour moi qu’un fromage à tartiner, un tube de Bruce Springsteen (Streets of Philadelphia) et, bien sûr, la naissance des États-Unis: c’est en effet à Philly qu’a été signée la Déclaration d’indépendance du pays en 1776 et qu’on a adopté sa Constitution en 1787.

Si riche et fascinante que soit l’histoire du pays de l’Oncle Sam, je craignais d’atterrir dans une ville homogène dominée par les musées empoussiérés et les figurants accoutrés comme au temps de la révolution américaine. Erreur.

Au-delà de son centre historique, Philadelphie se compose d’une courtepointe de quartiers tissés serré, mais qui ont tous leur personnalité propre: le bobo CEDAR PARK; le trendy NORTHERN LIBERTIES; l’italien-devenu-mexicano-asiatique BELLA VISTA; l’étudiant et coolissime UNIVERSITY CITY; ou l’embourgeoisé CALLOWHILL – alias Eraserhood, parce que le cinéaste David Lynch y a jadis vécu.

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Mieux: dans cette ville où ma seule référence muséale se limitait à cette scène de Rocky où Sylvester Stallone gravit au pas de course les marches du Philadelphia Museum of Art, l’aficionado d’art en moi ne s’attendait vraiment pas à se voir aussi bien servi.

Art urbain

Dès que j’ai commencé à me balader le nez en l’air à Philly, je suis tombé sur d’innombrables peintures murales, souvent surdimensionnées, parfois délurées, toujours dignes d’intérêt. Ici, elles traitent de l’émancipation d’un athlète noir; là, elles encensent le mouvement gai ou la contribution des femmes à la société; là encore, elles enjolivent simplement les lieux. La métropole de la Pennsylvanie se targue, à juste titre, d’être la capitale mondiale des fresques murales.

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Lancé en 1984 pour éradiquer les graffitis qui proliféraient alors dans Philadelphie, le MURAL ARTS PROGRAM a permis la réalisation de plus de 3800 fresques à ce jour. Aujourd’hui, près de 1900 d’entre elles subsistent, embellissant les murs, reprisant un tissu urbain déchiré par tant de stationnements et de terrains vagues, et dévoilant plusieurs pans de l’histoire de cette ville fondée en 1682.

Art muséal

J’aurais bien pu faire un saut au colossal PHILADELPHIA MUSEUM OF ART, où se trouvent 227 000 oeuvres d’art et la plus grande collection mondiale d’oeuvres de Marcel Duchamp, le père du ready-made, mais faute de temps, je lui ai préféré son craquant petit voisin, le MUSÉE RODIN, une icône de la métropole. Depuis 1929, celui-ci abrite la deuxième collection en importance de sculptures du Français Auguste Rodin, dont un des fabuleux bronzes de La porte de l’enfer, une version du Penseur et du célébrissime Baiser.

C’est cependant juste à côté que j’ai été littéralement soufflé, à la BARNES FOUNDATION. Les oeuvres y sont regroupées par thématique plutôt que par époque ou par artiste. Si, par exemple, les teintes d’un Renoir présentent des similitudes avec celles d’un tableau japonais du 9e siècle, il y a de fortes chances que ces oeuvres soient côte à côte: ici, on veut surtout mettre en parallèle les élans créatifs qui se font écho d’une époque ou d’une région du monde à l’autre. Le tout dans un musée flambant neuf où les visites se concluent par des cinq à sept jazzy dans un lumineux hall central. Un must.

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Art mosaïque

C’est à un créateur philadelphien très inspiré, ISAIAH ZAGAR, qu’on doit certaines des oeuvres les plus délurées de la ville. Au cours des 40 dernières années, cette sorte d’Armand Vaillancourt local a recouvert 200 façades du sud de la métropole avec des tessons de porcelaine, de verre, de miroirs et d’autres objets de brocante glanés çà et là dans son pittoresque quartier de Queen Village.

Cet as de la récupération influencé par Gaudi a créé une oeuvre maîtresse: les MAGIC GARDENS. Ces «jardins magiques» sont formés d’une maison entièrement recouverte de mosaïques et d’une cour attenante traversée par des couloirs et des passages tarabiscotés, dans un pétulant espace qui semble en constante évolution.

Mais à Philadelphie, s’il est une mosaïque qui est bel et bien achevée, c’est celle du Curtis Center, réalisée par le maître du verre Louis Comfort Tiffany et par Maxfield Parrish: DREAM GARDEN compte 100 000 morceaux de verre Favrile – du verre soufflé – et se décline en 260 notes délicatement colorées.

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Art de vivre

Admirer des murales monumentales et des mosaïques scintillantes, ça creuse! Que me réservait Philly du côté des arts de la table?

Alors que je franchissais le portail d’un jardin bio communautaire d’EAST PASSYUNK, sorte de Mile End peuplé de hipsters, une jeune femme m’a vite offert de grappiller gratuitement quelques légumes. «C’est gentil, mais je cherche plutôt un resto à cheesesteaks, vous connaissez?»

Paradoxalement, c’est à un coin de rue de ce quartier très enclin au végétalisme que se font face les deux stars de ce roboratif sandwich au rosbif nappé de fromage fondu: PAT’S KING OF STEAKS et GENO’S STEAKS. Passer par Philadelphie sans goûter à cette spécialité locale, aussi symbolique pour les habitants de la ville que l’est la poutine pour nous, aurait été impensable.

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Je me suis donc risqué à passer une commande chez Pat’s, mais je n’ai pas réussi à enfourner la totalité du monstre de malbouffe qu’on m’a servi. C’est que je ne voulais pas obturer mon estomac pour le reste de mon séjour: depuis une dizaine d’années, la scène gastronomique de Philly ne cesse de se développer, et j’avais bien envie de l’honorer.

Au fil de mes pérégrinations urbaines, je me suis ainsi attablé au GARCES TRADING CO. – une brasserie moderne où j’ai savouré d’excellentes charcuteries made in Pennsylvania, aromatisées à l’orange et à la coriandre – et au FORK où je me suis régalé de gnudi décadents, fourrés au fromage parfumé à la lavande.

Au BARBUZZO, dans MIDTOWN VILLAGE – un des quartiers branchés de l’heure -, je me suis frayé un passage pour tâter des tonnarelli nero, pâtes à l’encre de seiche, au chorizo, à la menthe et au sherry, après avoir englouti un cocktail-aquarium à la vodka et au thé vert au GRAFFITI BAR, puis une téquila reposado au très déjanté EL VEZ (elvezrestaurant. com), directement en face.

Dans le quartier de RITTENHOUSE SQUARE, j’ai vu briller l’étoile montante GREG VERNICK, qui jongle avec les saveurs et les textures dans son resto. Les croustilles qui accompagnent son délectable omble chevalier, préparées avec la peau du poisson délicatement frite, m’ont fait chavirer, tout comme son étonnante bolée de caviar d’oursin sur oeufs brouillés.

Pour digérer le tout, j’ai mis le cap sur la très hip DOLPHIN TAVERN, où officient d’excellents D.J., puis sur l’ALMA DE CUBA, un bar cubain peinard et feutré où s’entrechoquent les bouteilles de vieux rhums.

J’ai terminé ma soirée en douceur au TIME, qui présente de suaves prestations de jazz, en sirotant d’authentiques absinthes… élaborées en Pennsylvanie. Manet, Degas, Van Gogh et Picasso, tous amateurs de la fée verte et tous présents, par leurs oeuvres, au Philadelphia Museum of Art, auraient été aux anges s’ils avaient pu m’accompagner…

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