Pas une, pas deux, pas même cinq baleines. Ce jour-là, sept cachalots – sept ! – m’ont salué de leur nageoire postérieure, dressée bien haut hors de l’eau tandis qu’ils s’apprêtaient à plonger dans les profondeurs dominiquaises. Dix fois plutôt qu’une, les immenses cétacés sont revenus à la charge pour exhiber leurs attributs, pendant les deux heures de mon excursion au large de la Dominique. Chanceux, le touriste? Pas tant que ça, quand on sait qu’aucune autre île des Caraïbes n’est visitée par autant de grands mammifères marins, et qu’aucun autre endroit du globe n’est fréquenté par les cachalots à longueur d’année. Raison de cet engouement: un garde-manger aquatique où foisonne le calmar, leur mets préféré.

Si les sept mastodontes ont autant batifolé en surface, c’est aussi parce que leur territoire n’est pas envahi par les paparazzis. «À part nous, deux entreprises offrent des croisières d’observation de baleines à la Dominique», indique Francis Perpell, guide animalier au Anchorage Dive Center (anchoragehotel.dm). Car bien que cette île édénique soit située à quelques encâblures de la Martinique et de la Guadeloupe, peu de touristes y débarquent chaque année. «Chez nous, il y a du soleil à profusion, mais il y a surtout peu de plages dignes de ce nom; en outre, nos liaisons aériennes sont médiocres et tout le monde nous confond avec la République dominicaine!», m’expliquera plus tard Jenner Robinson, organisateur de visites guidées, avec son bel accent british teinté de créolité.

Pour toutes ces raisons, la Dominique n’a été ni scarifiée ni sacrifiée sur l’autel du tourisme de masse. Dans ce micropays indépendant depuis 1978, aucune chaîne hôtelière n’a pignon sur plage, nul complexe de villégiature ne défigure les lieux et, malgré la proximité des États-Unis, aucune entreprise touristique américaine n’est présente, sauf les compagnies de croisières et leurs 300 000 passagers annuels. Résultat: une île à l’âme inaltérée qui fleure bon l’authenticité. Pas surprenant que le magazine National Geographic Traveler l’ait inscrite sur sa liste des 20 endroits à voir en 2011, en cette Année internationale des forêts, et qu’on y ait tourné en partie les trois premiers volets des Pirates des Caraïbes.

 

Photo: istockphoto.com

 
L’île bien-être

Couché près de la fenêtre du spa du Jungle Bay Resort, je sens une brise glisser sur mon dos, tandis qu’une vigoureuse masseuse redonne vie à mes mollets, au rythme des vagues qui meurent en contrebas. Le jour même, je me suis offert six heures de randonnée époustouflante mais éreintante, et je ne tiens plus debout. Tandis que ses doigts extirpent la douleur qui taraude mes muscles, je savoure les innombrables gazouillis et les odeurs capiteuses qui ont nourri et empli ma journée, alors que j’arpentais la forêt pluviale du Parc national de Morne Trois Pitons, qui figure sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. Foisonnant jardin d’Éden, ce parc concentre à lui seul toute la richesse végétale et la biodiversité de la Dominique. Il ne fait pas 50 km de longueur mais forme néanmoins «un gigantesque laboratoire de plantes inchangé depuis 10 000 ans», selon le Smithsonian Institute. Cette île est toutefois aussi en perpétuelle ébullition: la vive activité géothermique nous rappelle que, sous sa chape de verdure, son coeur bat intensément.

Ainsi, dans la Vallée de la désolation, des bassins d’eau glougloutent, d’épaisses fumerolles émanent du sol et de longs jets de vapeur s’échappent au milieu d’un décor fantasmagorique où alternent l’ocre rouge, le jaune soufre et le gris métallique. Non loin de là, les eaux du Boiling Lake forment même d’immenses bouillons, alimentés par une fournaise de lave souterraine qui élève leur température jusqu’à… 120 °C. «De quoi faire cuire aisément quelque tonnes de nouilles!» lance mon guide, Aldrin.

En dehors du parc national, la nature vaut tout autant le coup d’oeil: elle offre de verdoyants mornes (montagnes), de gigantesques gommiers (sortes d’eucalyptus), des orgies de fleurs tropicales, mais aussi 170 espèces d’oiseaux, des contingents de tortues pondeuses, 30 cascades, 365 rivières (une par jour!) et d’innombrables sources d’eaux sulfureuses, dont les Screw’s Sulphur Springs. «S’y baigner souvent adoucit la peau, améliore la santé et préserve la jeunesse: tu vois, nous avons toutes les deux plus de 50 ans», me disent à la blague deux jeunes naïades en train d’y faire trempette lors de mon passage. Elles ont beau badiner, il reste qu’on compte bien deux douzaines de centenaires sur les 70 000 habitants, ce qui fait de la Dominique un des pays ayant la plus haute longévité dans le monde. Mais peut-être que l’alimentation y est pour beaucoup.

 

Photo: Gary Lawrence

Une capitale colorée

Dans ce foisonnant jardin des Caraïbes, la culture bio a la cote, preuve d’une réelle proximité avec la nature, mais aussi de l’influence du régime ital, cher aux rastafaris jamaïcains: on ne mange que ce qui est naturel, sans additifs ni conservateurs. Pas étonnant que les Dominiquais soient presque tous minces et qu’on ne trouve qu’une poignée de PFK et de Pizza Hut dans l’île: il suffit d’arpenter le marché du vieux Quartier français de Roseau, la mignonne et colorée capitale, pour voir qu’ici, ital is vital, comme disent les rastas.

Roseau demeure le meilleur endroit pour tâter de la gastronomie locale: calaloo soup (soupe de feuilles de dachine), chatou water (pieuvres en bouillon), ragoût d’agouti (petit mammifère sauvage), crab’s back (crabe de terre farci), titiri accras (de minuscules poissons frits) et sancoche (morue cuite dans du lait de coco) se dégustent arrosés d’une bière Kubuli.

C’est cependant au bord de la route qu’on peut goûter un des plus anciens mets dominiquais: la cassave, une galette à base de manioc, qu’on trouve surtout dans la Réserve des Kalinagos. Jadis appelés Karibs ou Indiens caraïbes, les farouches guerriers Kalinagos ont tenu tête aux colons français et anglais pendant près de deux siècles, contrairement aux autochtones des autres îles des environs. Aujourd’hui, la Dominique demeure le seul endroit du monde où les membres de cette «première nation » caraïbe vivent en grand nombre (environ 3000 âmes…) et en communauté. Et leur village modèle, Kalinago Barana Autê, vise autant à faire connaître leur culture qu’à la préserver de l’assimilation.

La veille de mon départ, ce n’est ni aux baleines ni aux plages de sable noir que j’ai livré mes dernières pensées, mais bien aux Kalinagos. Perché dans les hauteurs de mon bungalow sur pilotis, je me suis bercé dans mon hamac au son du ressac, avec comme seul oreiller de duveteux nuages éclairés par la lumière lunaire. Et quand je me suis assoupi, j’étais seul au monde sur mon île. Comme l’étaient les Kalinagos, au temps jadis.

 

Photo: Gary Lawrence

Carnet de bord de la Dominique

Ou Entre la Martinique et la Guadeloupe.

Comment Idéalement via Antigua ou La Barbade (vols directs avec Air Canada puis avec LIAT, liatairline.com), le même jour. Sinon, avec American Airlines, il faut transiter par Miami et Porto Rico et y passer une nuit. Depuis la Martinique et la Guadeloupe, voyager par bateau grâce à l’Express des îles (express-des-iles.com).

Dormir dans un des bungalows sur pilotis du très écoresponsable Jungle Bay Resort & Spa (junglebaydominica.com); entouré de fleurs au Papillote Wilderness Retreat (papillote.dm); dans le luxe et près de la plage au Rosalie Bay Resort (rosaliebay.com); au coeur de l’action de Roseau, au Fort Young Hotel (fortyounghotel.com); au tout nouveau Pagua Bay House (paguabayhouse.com), près de l’aéroport; à l’opulent Biltmore, en cas de transit par Miami (biltmorehotel.com).

Manger créole au Calaloo Restaurant (66, King George V St.), au Cartwheel Café (Dame Eugenia Charles Blvd.) et à De Same Spot (dans Castle St.), à Roseau.

Organiser des périples de toutes sortes avec Jenner Robinson, (jenna23dm@ yahoo.com) et se faire guider sur la Indian River par le rigolo James «Bond» Henry, 767 617-6996.

Rapporter de l’huile essentielle de bois d’Inde (bay leaves), un tonifiant pour les cheveux.

Lire la section Dominique des Rough Guide et Lonely Planet sur les Caraïbes, et surtout le Bradt Travel Guide consacré à la Dominique (bradt-travelguides.com).

S’informer sur discoverdominica.com et kalinagobaranaaute.com.

Photo: Gary Lawrence

 

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