Entièrement féminin, le Rallye Aïcha des Gazelles est une course non pas de vitesse, mais de navigation. Le but? Réussir chaque jour, en équipe de deux et à bord d’un 4×4 ou d’un véhicule tout terrain, à trouver un nombre déterminé de balises cachées dans le Sahara en parcourant le moins de kilomètres possible. Pas de GPS, pas de Google Maps, pas d’arrêt au dépanneur du coin pour retrouver son chemin: les Gazelles sont simplement armées d’une carte et d’une boussole.  

Prête, pas prête…

Chaque année, une poignée de Québécoises prennent part au rallye. En 2017, 14 femmes des quatre coins de la province ont choisi de relever le défi. À quelques jours du voyage, elles sont nerveuses, mais affichent un optimisme inébranlable. Même Stéphanie Pérusse, qui accumule pourtant les mauvaises nouvelles à l’aube de son départ. Sa partenaire ne peut plus participer à cause d’un grave problème de santé, et son 4×4 – qu’elle a fait envoyer par conteneur de l’autre côté de l’Atlantique – n’arrivera peut-être pas à temps pour le début de la course, sa première. «J’essaie de rester positive malgré tout. L’important, pour moi, c’est de parvenir à me rendre à la ligne de départ avec une partenaire et mon camion. Si je réussis juste ça, déjà, je serai comblée!» 

Quelques jours après avoir parlé à Stéphanie, je m’envole vers le Maroc, presque aussi fébrile que les Gazelles, direction l’inconnu. Après 24 heures de voyage et trop peu de sommeil, ma première journée (la deuxième étape pour les Gazelles) s’amorce en plein cœur du désert, au bivouac de Mdouara, le camp nomade où se rassemblent chaque soir les concurrentes. Réveil brutal à 4 h du matin après deux minuscules heures de sommeil, démontage de ma tente, petit déjeuner et brossage de dents en vitesse, puis je monte sans plus de cérémonie à bord d’un 4×4 média (qui, lui, est muni d’un GPS!) dans lequel notre vidéaste, Alejandra Carranza, et un chauffeur espagnol, Juan Carmona, attendent mes instructions. 

Nous décidons de conduire jusqu’à la deuxième balise d’un des parcours (puisque, pour faire simple, il n’y en a pas qu’un) pour attendre les équipes québécoises qui y passeront. Nous arrivons à destination après quelques heures de conduite dans un désert rouge où il semble n’y avoir aucune trace de vie humaine. Puis, Johanne Lecavalier et Louise Bourgeois arrivent à bord de leur bolide. Elles sont fatiguées, un peu désorientées, mais d’une bonne humeur désarmante. «Chaque fois qu’on trouve une balise, c’est comme si c’était Noël! On oublie la fatigue et la frustration et on se saute dans les bras!» s’exclame Louise. Quelques instants plus tard, elles sont déjà reparties à la recherche du prochain drapeau. Nous décidons de les suivre, mais trois secondes suffisent pour les perdre de vue. Que de la terre et des cailloux à l’horizon! C’est ça, le désert. Nous rentrons bredouilles au bivouac et je me dis qu’il me faudra revoir ma stratégie de chasse aux Gazelles si je veux arriver à toutes les attraper… 

Rallye Aïcha des Gazelles

S’extraire d’une trappe de sable n’est pas chose facile, et les équipes doivent s’entraider pour y arriver. Photographe: Alejandra Carranza

Les dunes ou l’étape du «tankage»

À la troisième étape du rallye, tout se gâte. Les participantes doivent affronter les dunes de Merzouga, d’immenses pics de sable chaud dans lesquels les 4×4 s’enlisent constamment. Après de longues minutes en véritables montagnes russes (oubliez les dunes si vous souffrez du mal des transports!), nous croisons Julie Dufour et Geneviève Maceachern, pelles à la main, qui tentent de sortir leur camion d’une gigantesque trappe de sable. «Moi qui pensais me sauver du pelletage en quittant le Québec!» blague Julie. C’est leur premier ensablement de la journée – que les Françaises appellent un «tankage» –et pas le dernier. Elles réussissent habilement à s’en sortir grâce à l’aide d’autres participantes. «On ne pourrait pas passer à travers cette journée si on ne coopérait pas. On doit être plusieurs pour se défaire des trappes de sable. Puis c’est bon pour le moral d’être ensemble», explique Geneviève. D’autres, plus compétitives, refusent l’aide de leurs rivales. C’est le cas de Stéphanie Pérusse (qui s’est finalement bien rendue sur la ligne de départ!) et de sa nouvelle coéquipière, Céline Véga-Roïatti, une Française qui en est à sa deuxième participation au rallye. La sueur au front, elles tentent par tous les moyens de se défaire du sommet d’une dune, dans laquelle elles se sont prises alors qu’elles s’apprêtaient à venir répondre à mes questions (oups!). «On va être capables!» crie Stéphanie aux Gazelles qui essaient de les aider, concentrée à la tâche derrière les roues arrière du camion. 

Cela dit, un bel esprit de camaraderie et de solidarité règne autant sur le parcours qu’au bivouac. Heureusement, parce que le rallye pèse lourd sur le moral comme sur le physique des participantes. Dès le troisième jour, des Gazelles craquent sous la pression: les nuits sont froides et courtes, les journées sont chaudes et longues (les Gazelles peuvent rouler dans le désert pendant plus de 12 heures, voire y passer la nuit toutes seules), les balises sont extrêmement bien cachées, le relief ne cesse de changer et se transforme souvent en terrain dangereux… La fatigue, le stress, la peur et la déception sont des défis de taille à surmonter – et sont parfois plus difficiles à gérer que la navigation à l’ancienne ou la conduite à travers les intimidantes dunes. 

Rallye Aïcha des Gazelles

Ce sont ces drapeaux que doivent trouver les Gazelles. Photographe: Alejandra Carranza

Seules dans le désert 

Au quatrième jour, je me réveille à 4 h tapantes et j’aide Julie à plier sa tente, juste avant le déjeuner et le départ pour l’épreuve marathon: un parcours sur deux jours durant lequel les Gazelles doivent se débrouiller seules, en montant leur camp où bon leur semble. Les dunes ont tiré beaucoup d’énergie à Julie, et son découragement est palpable. «Hier, je pensais qu’on n’allait pas y arriver. J’ai eu un coup de chaleur, j’étais complètement au bout du rouleau. Et disons qu’ici, on n’a pas les nuits les plus réparatrices», dit-elle en pointant du doigt sa tente remplie de sable.  

Douze heures plus tard – à la fin d’une journée un peu folle où notre 4×4 a connu un problème mécanique à des centaines de kilomètres du village le plus proche –, c’est avec bonheur que je retrouve trois équipes de Gazelles québécoises en plein cœur du désert, dont celle de Julie et sa partenaire, tout sourire à la fin de leur première et exténuante journée de marathon. Elles sont fières. L’étape se déroule bien, et elles sont plus avancées dans l’épreuve que la majorité des participantes. Au menu ce soir: champagne! Et pour souper? Quelques rations en conserve de l’armée, un brin moins festives. On célèbre comme on peut, avant de repartir de plus belle pour une autre journée forte en émotions. 

Le cœur grand comme une gazelle 

Les Gazelles viennent à peine de se poser au bivouac d’Oulad Driss pour profiter d’une bonne douche chaude et d’un verre de vin bien mérité qu’elles repartent déjà, au petit matin, vers une deuxième épreuve marathon. Surprise! Ce sont encore des dunes qui les attendent aujourd’hui. Moins impressionnantes que celles de Merzouga, mais tout aussi dangereuses. Dans l’espoir de ménager notre dos (et notre angoisse!), mon équipe et moi décidons de les contourner, et d’aller visiter Cœur de Gazelles, une association caritative en marge du rallye, qui a pour mission de soigner gratuitement les populations éloignées du désert marocain. «Il est difficile pour les habitants des régions rurales de se faire soigner, les hôpitaux étant trop loin, ou les soins trop dispendieux. Cœur de Gazelles, un véritable hôpital itinérant, ne laisse personne en plan, affirme d’emblée sa présidente, Marina Vrillacq. Notre offre est complète, et on tente toujours de trouver une solution à long terme aux problèmes de santé des gens qui nous visitent.» 

Le travail de l’équipe de Cœur de Gazelles, composée de médecins, d’infirmiers, de pharmaciens, d’opticiens et de logisticiens bénévoles, est minutieux et rigoureux. On remplit une fiche détaillée pour chaque villageois qui veut obtenir des soins et on planifie des suivis serrés, d’année en année. «C’est du travail humanitaire sans misérabilisme, affirme Marina. Les suivis annuels constituent un gros défi, mais c’est important. On prend en charge les patients de A à Z, autant financièrement qu’humainement, et ça fait toute la différence. La détresse des malades est amoindrie lorsqu’ils se sentent entourés et guidés.» 

Dans la petite commune de Blida sont rassemblées quelques centaines de villageois en attente de soins, de médicaments ou de dons de toutes sortes (recueillis en partie par les Gazelles et minutieusement triés pour répondre aux besoins de chaque famille). J’entre dans la clinique d’optométrie où une jeune fille très myope essaie des lunettes – neuves et ajustées à sa vision – pour la toute première fois. Lorsqu’elles atterrissent finalement sur le bout de son nez, son visage s’éclaire et elle pouffe de rire. «Tu vois, c’est pour des sourires comme ça qu’on travaille. C’est pour ça qu’on existe», me chuchote Marina. 

Rallye Aïcha des Gazelles

Quelques mamans écoutent attentivement un bénévole, expliquant les bienfaits de l’allaitement. Photographe: Alejandra Carranza

Des sourires, ils en aperçoivent souvent, puisque Cœur de Gazelles soigne 500 personnes… par jour! Depuis plus de 15 ans, l’équipe médicale se promène de village en village à la rencontre des populations locales durant toute la durée du Rallye Aïcha des Gazelles, soit environ 10 jours. En 2017, l’équipe a soigné 3912 personnes, tant en médecine générale qu’en pédiatrie, en gynécologie, en soins dentaires ou en ophtalmologie. L’une des docteures a même aidé une femme à accoucher en plein milieu de la nuit. «C’est notre premier bébé Gazelle!» s’exclame Marina en riant. Elle m’explique qu’en plus d’offrir des soins médicaux en tout genre, en partenariat avec les structures locales existantes, Cœur de Gazelles s’implique également dans les domaines de la réinsertion professionnelle, du développement durable et de la scolarisation. Elle m’emmène jusqu’à la pharmacie. Dans le petit local, une vingtaine de femmes sont réunies pour un cours sur les bienfaits de l’allaitement. Vêtues de leurs longs habits noirs brodés de fils multicolores, bébés au bras, elles écoutent attentivement un bénévole en plein exposé. 

C’est impressionnant de voir l’équipe travailler. Au dîner, qu’on déguste chez l’habitant, les bénévoles semblent épuisés, mais extrêmement fiers du travail accompli. Malgré les 30 degrés au thermomètre et les défis de la journée, la bonne humeur règne. On partage des histoires autour d’un délicieux tajine. L’une d’entre elles me touche particulièrement. «Récemment, un jeune garçon, qu’on avait aidé il y a quelques années à recevoir des traitements de chimiothérapie pour un cancer avancé, est venu nous remercier et… il est en pleine santé! Pour nous, c’est une victoire», me raconte Marina, tout sourire. 

Le temps passe vite et c’est déjà l’heure du départ. Nous devons tenter de retrouver nos Gazelles! Nous rejoignons donc les pistes à vive allure, sans toutefois apercevoir les équipes québécoises. C’est grand, le Sahara! Et essayer de trouver un 4×4, même en connaissant approximativement ses coordonnées géographiques, est aussi facile que de chercher une aiguille dans une botte de foin. Nous croisons cependant quelques équipes françaises, complètement déboussolées, qui nous demandent en riant un petit conseil d’orientation ou deux. Mais les règles sont claires: il est interdit d’aider les participantes! Nous leur offrons un sourire et quelques encouragements, puis nous repartons à ce que nous nous amusons à appeler «la chasse aux Gazelles». Quelques heures de recherche plus tard, toujours bredouilles, nous abdiquons. Le soleil se couche tranquillement sur l’horizon et notre chauffeur, le sympathique Juan, nous réserve une surprise de taille: ce soir, nous dormons dans un camp berbère, entre deux dunes! Bien contente de quitter ma tente le temps d’une nuit, je fais le plein de mets marocains parfumés avant de m’écrouler de sommeil dans ma chambre aux murs de terre recouverts de tapis colorés.

RaLLYE Aicha des Gazelles

 Photographe: Alejandra Carranza

Quand le vent se lève 

Le sixième jour de notre périple, nous reprenons la route aux aurores afin de retrouver les équipes canadiennes. Pas de chance: nous sommes surpris par une tempête de sable qui nous empêche de voir à plus d’une dizaine de mètres. Un peu désorientés (malgré l’aide de notre GPS, outil dont les Gazelles ne disposent pas!) et franchement fatigués, nous nous rendons directement au bivouac de Foum Zeguid, à une centaine de kilomètres. Sur place, nous prenons le temps d’explorer les environs en attendant l’arrivée des Gazelles qui, elles, sont encore en train de chercher leur chemin dans la tempête. Nous dégustons un thé sucré à la verveine, nous effectuons un tour rapide du souk et nous en profitons pour nous remplir la tête de souvenirs de notre passage au Maroc avant notre départ pour Montréal, dans quelques heures. 

De retour au bivouac, l’émotion est palpable. Les Gazelles sont éreintées après ces deux épreuves marathons, mais elles sont aussi exaltées et un brin nostalgiques à l’aube de leur toute dernière journée de rallye. En chemin vers la salle à manger, je rencontre Alexandrine Barbeau-Mathieu et Collette Lapointe, deux Québécoises que j’ai croisées lors de la première épreuve marathon. «On est fatiguées, mais vraiment fières de notre parcours», me dit Collette, un verre de rosé à la main. Il y a de quoi l’être! Non seulement elles se sont rendues jusqu’à ce point de la compétition – un défi en soi –, mais elles m’apprennent aussi qu’elles ont réussi à traverser l’épreuve des dunes de Merzouga dans le parcours expert sans s’enliser une seule fois! Un véritable exploit, considérant que même notre 4×4 média, conduit par un chauffeur d’expérience, s’est ensablé à plus d’une reprise – et a même fait un tonneau! 

Durant le souper, l’heure est au bilan. On s’échange histoires rocambolesques et anecdotes comiques autour d’une bonne bouteille. Demain, c’est la dernière journée de l’aventure et, même si toutes les participantes ont bien hâte de retrouver leur lit douillet, elles avouent qu’elles s’ennuieront de l’immensité du désert, de l’adrénaline des épreuves et des paysages marocains à couper le souffle. Mais, avant de retrouver le confort de leur maison, elles iront faire la fête à Essaouira, au bord de la mer, pour souligner la fin du rallye et célébrer en grande pompe les équipes gagnantes.

Rallye Aicha des Gazelles

Tous les matins, le départ sur les pistes se fait dès les premiers rayons de soleil. Photographe: Alejandra Carranza

Le retour à la maison 

Alors que les femmes repartent aux premières lueurs de l’aube vers les dernières pistes du parcours, il est temps pour Alejandra et moi de partir. Assise dans le taxi (sur une route asphaltée, ça fait changement!), je réfléchis à ces quelques jours passés dans le Sahara en compagnie de femmes toutes plus inspirantes et courageuses les unes que les autres. Rarement un voyage m’aura fait vivre d’aussi intenses émotions: la fébrilité avant le départ vers l’inconnu, la joie partagée avec les Gazelles après qu’elles aient relevé un défi, la peur d’affronter les dunes et le relief accidenté du Sahara, l’émerveillement devant l’incomparable panorama, la gratitude d’avoir été si bien entourée durant les épreuves. 

Quelques semaines après le rallye, je m’entretiens avec certaines des Gazelles québécoises au téléphone. Elles sont unanimes: ç’a été une expérience du tonnerre. Difficile? Oui. Exténuante? Absolument. Mais est-ce qu’elles recommenceraient? Toutes me répondent qu’elles retenteraient cette gratifiante aventure demain matin! Au bout du fil, Stéphanie Pérusse me raconte son périple. Malgré ses mésaventures avant le départ, elle a réussi, avec l’aide de sa coéquipière Céline, à décrocher la troisième place! «Monter sur le podium a été extraordinaire, mais je pense qu’avoir participé à l’aventure est une fierté en soi, qu’on réussisse à se classer parmi les premiers ou pas. Je savoure ma victoire et je me repose… jusqu’à la prochaine fois!» 

Pour en savoir plus sur le Rallye Aïcha des Gazelles ou pour vous y inscrire, rendez-vous au rallyeaichadesgazelles.com.

Un merci particulier à l’agence Maïenga pour l’invitation au rallye et à Lolë pour les vêtements d’aventurières qui nous ont bien servis dans le désert!