Après avoir reçu de rares créations d’Elsa Schiaparelli provenant du Brooklyn Museum, les commissaires du Costume Institute du Metropolitan Museum, à New York, ont eu une idée novatrice. Celle de comparer la couturière légendaire des années 1930 à une autre visionnaire de la mode italienne: Miuccia Prada.

Toutes deux rebelles, intellectuelles et amatrices d’art avant-gardiste, Schiaparelli et Prada ont, chacune à sa manière, révolutionné la mode et la féminité. Dans la société des années 1930, Elsa Schiaparelli imagine des robes à imprimés de rouge à lèvres ou d’animaux, des boutons feuilles et des perruques fantasques. Avec Salvador Dali, elle crée le chapeau chaussure, une sculpture aux formes phalliques et la magnifique robe larmes composée d’appliqués colorés. Excentrique assumée, elle se moque des conventions obscures de la haute société.

Plusieurs décennies plus tard, munie d’un doctorat en sciences politiques, Miuccia Prada repense la compagnie de bagages familiale, qui deviendra sa ligne principale, et lance Miu Miu. Ses collections choquent. On dit qu’elle propose une mode «laide». Radicale, elle refuse de suivre les diktats de la couture et, surtout, de créer des pièces simplement séductrices. Elle remet en question les proportions des vêtements féminins et leurs implications sociopolitiques. Alors que Schiaparelli amplifiait le buste des femmes qui, à son époque, étaient surtout assises dans les cafés, Prada s’intéresse davantage au bas du corps. Selon elle, il s’agit d’une zone sexuelle aussi liée à la terre et à la réalité, donc au pouvoir. Elle le souligne en concevant des jupes bouffantes, en optant pour des imprimés colorés et en choisissant des matières recherchées.

 

Portrait d’Elsa Schiaparelli, 1932
Courtoisie de: The Metropolitan Museum of Art, Hoyningen-Huené/Vogue; © Condé Nast

 

 

Quand les commissaires du Met l’ont contactée, Prada ne considérait pas Schiaparelli comme une source d’inspiration directe. Elle a cependant toujours aimé l’œuvre d’Yves Saint Laurent, qui, lui, admirait beaucoup le travail de Schiaparelli. Ainsi Prada et les commissaires ont lentement découvert une série de similarités formelles et conceptuelles entre ses créations et celles de Schiaparelli.

«L’exposition s’articule autour de deux grandes idées: le chic et le corps vêtu», explique le commissaire Andrew Bolton. Les thèmes – Hard chic, Ugly chic, Naïf chic, Classical body, Exotic body et Surreal body – soulignent les principaux axes du travail des couturières. Tout au long, les voix chantantes des créatrices nous guident dans ces univers loufoques où un chapeau se transforme en côtelette d’agneau, où une jupe se pare de franges de plastique rouge et où des robes se couvrent de broderies lumineuses et d’appliqués ludiques. À travers ces explorations, l’essence de la mode des designers émerge: elles sont «des provocatrices délibérées, explique Bolton. Elles défient les notions de beauté établies.»

En plus des créations des deux couturières, l’exposition nous fait découvrir des projections d’«entretiens» cinématographiques entre Prada et Schiaparelli (interprétée par l’actrice Judy Davis) filmés par Baz Luhrmann (Moulin Rouge). Au fil de leurs débats, on voit émerger les similarités et les différences entre elles et leur travail. «Nous devons refuser la définition du glamour tout en restant glamour», décrète Judy Davis, citant Schiaparelli avec son sourire narquois. Quant à Prada, elle reste grave, réticente même, et clame, contrairement à la couturière assise en face d’elle à une table néobaroque: «Ce que j’aime dans la mode, c’est son accessibilité, son aspect démocratique.»

 

L’exposition Schiaparelli et Prada: conversations impossibles est présentée au Met du 10 mai au 19 août 2012.

 

Photo: Portrait de Miuccia Prada, 1999
Courtoisie de: The Metropolitan Museum of Art, Guido Harari/ Contrasto/ Redux

 

 

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