Dix-neuvième au classement des 100 meilleurs restaurants au Canada en 2016 – et quatrième Québécois sur cette liste –, Park jouit d’une place de choix parmi les établissements nippons de Montréal. Et pour cause: en lieu et place des sempiternels rouleaux californiens, ses sushis et sashimis sont confectionnés dans le respect des traditions ancestrales, tout en faisant preuve d’une créativité hors pair. Cette recette gagnante, Antonio Park la dose à la perfection. C’est encore elle qui se cache derrière le succès de Lavanderia, le second restaurant du chef qui met à l’honneur empanadas et ceviche, en souvenir de la cuisine de son enfance passée en Argentine.

Antonio, comment êtes-vous devenu chef?

Quand j’étais petit, mes parents avaient une lavanderia en Argentine, soit une usine qui délavait des jeans pour Lee, Levi’s et Wrangler. Chaque jour, il fallait nourrir les employés, 50 au bas mot, et c’était toujours un festin! J’aidais ma mère à éplucher des oignons, à faire des marinades… C’est ainsi qu’est né mon amour pour la cuisine, et il ne m’a jamais quitté. Aujourd’hui, je suis chef, mais pour moi, c’est un grand mot. Je suis un cuisinier avant tout! Beaucoup de toqués renommés sont rarement derrière les fourneaux; moi, je travaille six jours sur sept, de 8 h à 2 h du matin. C’est un métier qu’il faut vraiment vouloir faire!

 

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Crédit: Instagram @chefantoniopark

Après avoir travaillé en restauration à Montréal, vous avez décidé d’apprendre la cuisine japonaise… au Japon! Pourquoi?

Je considère qu’il est illégal de toucher à une cuisine dont on ne connaît pas la culture. Je suis donc parti étudier dans une école culinaire au Japon. Je ne parlais pas la langue, et, en tant que Coréen, j’ai été victime de racisme. Ç’a été l’une des périodes les plus difficiles de ma vie… Là-bas, l’univers de la restauration est le même qu’en France: il y a beaucoup de harcèlement, et de violences physique et verbale. Pourtant, cette expérience s’est révélée formatrice. Si mes limites n’avaient pas été testées, je suis persuadé que je n’en serais pas là aujourd’hui. Ça ne m’empêche pas pour autant de traiter mes employés comme ma famille.

Avec Park et Lavanderia, vous rendez hommage au Japon et à l’Argentine. Et le Québec, dans tout ça?

Dans ma sauce teriyaki ou dans mon riz à sushi, j’ai remplacé le sucre par du sirop d’érable! (sourire) Ça fait 25 ans que je vis ici, et même si j’ai grandi comme un Latino dans le corps d’un Asiatique, je suis avant tout Québécois. Montréal est ma ville d’adoption. Mon souhait le plus cher est de mettre notre belle métropole sur la carte culinaire.

Quelle philosophie nourrit votre carrière?

Celle de respecter les ingrédients et les producteurs avant tout. Aujourd’hui, les chefs sont en première ligne, mais on ne réalise pas l’énorme travail qui se fait en amont, que ce soit la pêche, la plongée, l’agriculture, etc. C’est aussi pour cette raison que je me préoccupe de la provenance de mes produits. Je suis d’ailleurs le seul cuisinier au Canada à posséder une licence de bœuf de Kobe. Mon but? Mettre Park en concurrence avec les restaurateurs du monde entier.

À votre resto Park, vous changez constamment votre menu de dégustation OMAKASE. Comment élaborez-vous une nouvelle recette?

Je travaille toujours en équipe, avec mon sous-chef et mon chef de cuisine. On pense à de nouveaux plats en fonction de la saison et des arrivages, car on désire avant tout que nos clients savourent la fraîcheur de nos produits. Cela dit, il nous arrive de répéter des recettes. De fait, la pratique mène à l’amélioration!

En plus de Park et de Lavanderia, vous offrez un service de traiteur (Trout Lake) et possédez des parts dans les restaurants Jatoba et Flyjin, tenus par deux anciens collègues. Vous ne vous arrêtez donc jamais?

La famille s’agrandit! J’essaye d’aider mes employés à ouvrir leur propre restaurant. J’ai commencé comme plongeur, donc je sais à quel point il est difficile de gravir les échelons. Encore aujourd’hui, la plupart des chefs vivent dans la pauvreté. Sans parler de l’influence de l’alcool et des drogues… J’essaie à tout prix d’éliminer ça! Par ailleurs, je vais ouvrir deux établissements, un à Toronto et un à Prague, où j’enverrai officier mes sous-chefs. Et je peux désormais vous annoncer que j’ouvre cet automne une pâtisserie française à côté de Park — Café Bazin — avec le barista Jérôme Grenier-Desbiens, et Bertrand Bazin, le pâtissier du club privé 357C; il est, selon moi, le meilleur au monde! Je sais qu’à ce rythme, je ne vivrai sans doute pas très vieux, mais je ne veux pas arrêter la machine.

Le ratio de restaurants par habitant est plus élevé à Montréal qu’à New York. Est-ce difficile de s’y faire connaître en tant que chef?

La restauration est un domaine ardu, où l’ombre de la faillite plane toujours. Mais il n’y a pas de secret: plus on travaille, plus on est créatif et plus on parvient à se faire un nom! Heureusement, les clients montréalais sont friands de nouveautés. Grâce aux réseaux sociaux et à la popularité des émissions culinaires, les gens comprennent de mieux en mieux les différentes cuisines du monde. L’ouverture d’esprit rendra notre société meilleure, j’en suis convaincu.

Un aliment à goûter au moins une fois dans sa vie?

Le bœuf de Kobe.

Le plat de votre enfance?

Le Kkori Gomtang de ma mère, une spécialité coréenne. C’est un bouillon au bœuf qui mijote pendant trois jours!

Votre restaurant préféré?

Pho Lien, pour sa soupe tonkinoise (5703, chemin de la Côte-des-Neiges, à Montréal).

À DÉCOUVRIR:

L’adresse de la semaine: Lavanderia, le restaurant du chef Antonio Park dans Westmount

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