Oubliez la princesse de la pop gracile au déhanchement ravageur. Oubliez l’amoureuse de Johnny Depp. (soupir) Oubliez l’icône boboglam de Chanel et la petite bourgeoise arrogante du film à succès L’arnacoeur. C’est une Vanessa au visage cerné, cruellement nu, à la chevelure châtain triste et au pas lourd qui apparaît ce dans Café de Flore, le dernier film de Jean-Marc Vallée (C.R.A.Z.Y.). «Ce rôle de femme abandonnée, pauvre et mère d’un fils trisomique dans le Montmartre des années 1960, il était pour moi!» me confie de sa voix sucrée Vanessa Paradis, au cours de notre entretien téléphonique Los Angeles-Montréal. Un rôle inattendu, improbable, qui confirme le retour en grâce de la star française au cinéma.

Propulsée au sommet des palmarès à 14 ans, grâce au mégatube Joe le taxi, Vanessa Paradis connaît un succès instantané, mais aussi le mépris et l’humiliation: elle est parfois huée sur scène et, en pleine rue, on lui crache au visage! Profondément blessée, l’adolescente trouve toutefois le courage d’enregistrer M&J, son premier album, en 1988. Un an plus tard, elle tient le rôle d’une lolita rebelle dans Noce blanche, qui lui vaut le César du meilleur espoir féminin.

En 1990, elle lance Variations sur le même t’aime, fruit de sa prodigieuse rencontre avec Serge Gainsbourg, avant de devenir l’égérie de Chanel No5 pour la célèbre maison française – qu’elle représente encore aujourd’hui. Deux ans plus tard, sa relation passionnelle avec Lenny Kravitz donne naissance à un album en anglais, enregistré à New York. De retour à Paris, elle joue aux côtés de Gérard Depardieu dans Élisa, succès populaire, puis fait des choix de films discutables (Un amour de sorcière, Une chance sur deux, La fille sur le pont) mais qui, comme elle l’avoue candidement, sont «toujours sincères».

 

Après le lancement de l’album Bliss en 2000, elle joue dans plusieurs longs métrages qui n’ont pas le succès escompté, avant de revenir à la chanson en 2007, avec Divinidylle, couronné par deux victoires de la musique. C’est l’an dernier qu’elle fait un retour fulgurant au grand écran dans la délicieuse comédie L’arnacoeur, où elle forme un tandem pétillant avec Romain Duris. Côté coeur, elle tombe amoureuse de Johnny Depp en 1998. Ensemble, ils forment un couple uni, qui met en émoi tant le public que la presse internationale. Ils ont deux enfants, Lily-Rose Melody (12 ans) et Jack John Christopher III (9 ans), qu’ils tiennent soigneusement à l’abri des flashs. La petite famille partage son temps entre Paris, la Provence, Los Angeles et son île dans les Caraïbes.

Délicieusement volubile au sujet de son métier, qui lui «laisse la liberté de ne pas avoir à choisir entre musique et cinéma», et de son nouveau film, Café de Flore, qui raconte «une histoire à couper le souffle», Vanessa Paradis reste infiniment discrète quand on aborde sa vie privée. Si bien que, tout au long de notre entretien, elle pèse chaque syllabe, multiplie les points de suspension et esquive la moindre question touchant son couple et sa famille. Jamais elle ne mentionnera le nom de son amoureux ni celui de leurs deux enfants, préférant adopter un «nous» plus pudique, ce qui rend ses propos encore plus précieux.

Que vous reste-t-il de la lolita de vos débuts?
C’est étrange, car elle semble très proche et en même temps à des annéeslumière de moi. Un jour, l’adolescente prend plus de place et, le lendemain, un peu moins. C’est selon mon humeur et l’espace que je lui laisse dans ma tête, dans mon corps. Mais elle fait toujours partie de moi.

Que ressentez-vous au sujet des années qui passent?
Vous vous demandez comment je me sens à 38 ans? Je préfère ma vie d’aujourd’hui à celle d’avant. Ah oui! Même si les états d’âme, ça va, ça vient. Il y a des gens qui n’aiment pas regarder derrière et d’autres qui n’osent pas regarder devant. Ils sont toujours dans l’instant présent. Je les admire. Moi, à part quand je suis sur scène ou que je fais quelque chose d’important, je n’arrive pas à rester dans le moment présent. J’ai toujours l’esprit qui vagabonde…

Dites-moi, si j’essayais de vous imaginer là, maintenant…
Vous voulez savoir dans quelle pièce de la maison je me trouve? Comment je suis habillée?

Oui, ce que vous portez, comment vous êtes… On dirait un mauvais appel érotique, vous ne trouvez pas?
On dirait, oui! (rires) Voilà, je suis dans mon bureau, pieds nus, je porte un jean très ample, avec un chemisier vintage. Ça va comme ça?

Bien sûr! Et autour de vous?
Euh… Il y a des guitares, des livres, des chiens. Et des enfants qui courent partout dans la maison.

Cela correspond exactement à la vie de bohème qu’on vous prête à vous et à votre compagnon, Johnny Depp…
Dans le sens où nous voyageons beaucoup, nous sommes des bohémiens, mais de luxe, hein? (sourire dans la voix) Nous sommes tout à fait conscients de nos privilèges. Nous avons la possibilité de nous balader d’une maison à une autre, de participer à des tournages un peu partout dans le monde. Bouger, être dans le mouvement, ça me plaît beaucoup. Même si nous ne voyageons pas «léger» avec nos 30 valises…

Depuis que vous vivez en Californie, vous arrive-t-il de vous sentir américaine?
Ah non! Le fait que… (Elle s’arrête pour mieux continuer sur une autre lancée.) Nous ne nous sommes pas transformés l’un l’autre. J’ai amélioré mon anglais, et lui, son français. Nous discutons de nos goûts et de nos cultures respectives. C’est un mélange formidable. Mais nos identités profondes sont restées intactes.

Sur le plateau français de Tout le monde en parle, vous avez déjà dit de votre compagnon de vie: «Il est parfait. C’est un type bien et un père formidable. Bien sûr, il a des défauts, mais je les aime. Il a un petit peu un tempérament de feu, et ce n’est pas toujours facile. Mais moi, ça me plaît bien.» C’est toujours vrai, aujourd’hui?
(Silence persistant)

Parlons de Café de Flore, si vous le voulez bien… Qu’est-ce que l’histoire imaginée par le réalisateur Jean-Marc Vallée a éveillé en vous?
Ah! Lorsque j’ai eu fini de lire le scénario, j’étais à bout de souffle, vraiment! Et chaque fois que je le relisais, ça me donnait la même sensation extrême. Le récit commence: une femme a le coeur brisé, son mari est parti et l’a laissée seule et sans le sou avec un enfant trisomique à la fin des années 1960. Son existence difficile lui fait perdre la tête… C’est bouleversant!

Après votre pétillante incarnation d’une bourgeoise arrogante dans la comédie L’arnacoeur, ce rôle de femme bourrue et démunie surprend beaucoup…
Oui, mais c’est là tout le plaisir de jouer: on se libère de soi. Ou alors on devient terriblement soi. C’est confus et c’est très bien. Pour incarner Jacqueline [son personnage], il fallait trouver son humanité et adopter le bon ton afin que le public arrive à se dire: «Oui, cette femme est dure. Oui, elle commet une grosse bêtise. Mais je la comprends et je l’aime quand même.» Un peu comme dans la vie: on prend les gens tels qu’ils sont, même s’ils sont difficiles. On les aime parce qu’on les comprend, voilà.

Comment êtes-vous parvenue à trouver ce ton?
En discutant énormément avec Jean-Marc. Nous avons constaté tous les deux que cette mère de famille monoparentale était à la fois le père et la mère de son bambin. Nous avons donc choisi de lui donner un ton plutôt masculin. Avant le tournage, Jean-Marc me disait les répliques pour me faire entendre comment un homme parlerait à son enfant, pour me transmettre une sorte d’instinct paternel. C’est ce qui m’a fait trouver l’âme de Jacqueline, une mère qui aime mal.

En tant que maman, quel regard posez-vous sur Jacqueline?
On ne peut pas se permettre de la juger – ni qui que ce soit d’ailleurs – tant qu’on n’a pas été elle, à cette époque-là, avec aussi peu de moyens qu’elle. Aime-t-elle mal son fils? Oui, forcément, puisque ça se termine mal, cette histoire. Les gens font parfois des choses pas bien. Ils ne réfléchissent pas toujours comme il faut. Ils font des erreurs, dont certaines sont plus graves que d’autres. Mais il faut chercher à les comprendre.

À l’évidence, vous avez de la compassion pour cette mère mal aimante…
Si je l’avais rencontrée, je me serais permis de la réconforter, de la rassurer. On a tous besoin de se faire dire que ce qu’on fait, c’est bien. Ça donne des ailes, surtout lorsqu’on se sent seule et sans ressources. Ça aide aussi à faire moins de conneries. On a tous besoin d’encouragement. Du moins dans une certaine mesure, car trop d’encouragement tue l’encouragement

De quelle façon avez-vous travaillé avec Marin Gerrier, le jeune comédien trisomique?
Eh bien, nous nous sommes regardés et nous avons appris à nous connaître. C’était un peu comme jouer avec un autre enfant, mais il fallait savoir comment s’y prendre avec lui. Jean- Marc et moi avons beaucoup lu sur la trisomie avant le tournage. Après, nous avons collaboré étroitement avec les parents de Marin, qui nous ont montré les choses qui marchent et les choses qui ne marchent pas avec lui. Nous sommes tous très vite devenus amoureux fous de Marin. Il a une telle repartie, une telle beauté d’âme!

Cette expérience avec des trisomiques a-t-elle changé votre regard sur vos propres enfants?
Non, pas du tout. Mais ce sujet risque de nous amener à aborder des choses beaucoup trop personnelles dont je n’ai pas envie de parler.

D’accord. Comment s’est passée votre collaboration avec Jean-Marc Vallée?
De son côté, il la qualifie de «coup de foudre professionnel». Moi, j’admire sa façon de travailler. Il a une vision très précise de ce qu’il veut, tout en restant – et c’est le plus épatant! – complètement ouvert au changement. Jean-Marc a le don incroyable de pouvoir s’investir autant dans l’émotion que dans la technique, jour après jour, sans s’essouffler. Si jamais il veut tourner trois films de suite avec moi pendant un an, je lui dis oui tout de suite!

Ce tournage rendra-t-il le choix de votre prochain long métrage encore plus difficile?
Mais je suis toujours difficile! (rires) Je ne veux pas avoir l’air d’une enfant gâtée qui dit qu’elle n’a pas besoin de jouer, mais je ne choisis que des films qui me passionnent, comme Café de Flore. Et puis, comme je ne suis pas que comédienne, il me faut aussi garder du temps pour la musique.

À ce propos, quel souvenir gardez-vous de votre concert à la Place des Arts en février dernier à l’occasion du Festival Montréal en lumière?
Oh là, là! C’était assez fabuleux! Terminer notre tournée d’un an, qui a été absolument idyllique, à Montréal… C’était la fête! Nous étions tous vraiment contents d’être là, dans un endroit si sympa et si familier. La musique, c’est un truc très, très fort, qui crée des liens. Ce qu’il y a de beau dans les chansons, c’est que ça vous permet de vous approprier quelque chose en l’exprimant; c’est comme si ce que vous chantiez devenait votre histoire. Combien de morceaux vous font pleurer, rêver, aimer, danser? Rien que d’y penser, ça me donne des frissons…

On l’oublie parfois, mais à vos débuts vous avez été éreintée par la critique qui ne voyait en vous, et je cite, qu’une «lolita écervelée qui avait réussi trop vite». Comment avez-vous surmonté votre envie de quitter le milieu de la musique?
C’est vrai, j’ai connu des moments très difficiles. Après le succès de Joe le taxi, les choses sont allées d’un extrême à l’autre. (longue pause) Comme j’étais très jeune, j’ai puisé ma force auprès de ma famille. Elle m’a donné l’amour et le soutien dont j’avais besoin. Pour moi, chanter n’était pas un truc banal: c’était ce que j’avais le plus envie de faire au monde. Alors, pourquoi aurais-je laissé les autres décider de mon destin? Oui, je peux dire que c’est l’appui de ma famille et mon amour du métier qui m’ont sauvée.

Vous avez remporté votre pari. Aujourd’hui, vous êtes non seulement respectée et adulée, mais véritablement aimée du public.
(Silence pudique) Le fait d’avoir grandi sous les yeux des gens, ça renforce les liens, je pense. Quant au reste (les photos, les films, les pubs pour Chanel), c’est une image. Il y a une part de rêve et d’artifice dans tout ça. Je veux bien jouer les fées, mais voilà, je n’en suis pas vraiment une…

On la verra aussi dans…

D’ici la fin de l’année, Vanessa Paradis prêtera sa voix à un des personnages du film d’animation Un monstre à Paris, d’Éric Bergeron.

Elle jouera aussi dans Dubaï Flamingos, de Delphine Kreuter (57 000 km entre nous), où elle interprétera une fille perdue dans le désert et aura pour partenaire Sergi Lopez.

Vanessa et Johnny Depp se donneront la réplique pour la première fois au cinéma dans le drame romantique My American Lover, de Lasse Hallström (What’s Eating Gilbert Grape, Chocolat). Elle incarnera Simone de Beauvoir, la célèbre auteure féministe, et Depp tiendra le rôle de son amant américain, le romancier Nelson Algren.

Enfin, elle sera une médecin dans Ma révolution, une comédie noire d’Ilan Duran Cohen (La confusion des genres, Le plaisir de chanter), où joueront aussi Marc-André Grondin et Carole Bouquet.

 

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