Elle a lancé son premier disque, Me, Myself & Us, il y a seulement cinq ans, mais déjà la pétillante brunette de 29 ans a l’assurance d’une pro. Sur scène, armée de sa guitare à la bandoulière garnie de plumes, elle enflamme les planches, propulsée par un plaisir évident de jouer. Pourtant, derrière cette assurance frondeuse se cache la fragilité d’une ex-adolescente boutonneuse qui, selon ses dires, a été «un peu toutoune par bouts» et dont le parcours a été teinté par le doute.

Au secondaire, elle se faisait remarquer parce qu’elle était drôle et qu’elle foutait le bordel. «Je n’étais vraiment pas la fille cute de ma gang», dit-elle. Difficile à croire en ce jour d’entrevue, alors qu’elle éclabousse le resto de son charme espiègle, resplendissante avec son visage de gamine qui s’apprête à faire un mauvais coup, ses yeux rieurs, son sourire qui tue: le vilain petit canard a bien changé.

Pascale Picard: la musique dans la peau

Dans son Cap-Rouge natal, puis dans les autres banlieues et quartiers de Québec où elle a habité, Pascale a baigné dans le rock. Ses parents mélomanes, séparés alors qu’elle découvrait à peine le bonheur de vivre sans couche, possédaient tous deux une foisonnante collection de vinyles: Cat Stevens, les Beatles, Gowan, Jethro Tull… Loin des comptines pour enfants, la petite a vite acquis des goûts musicaux singuliers.

D’aussi loin qu’elle se souvienne, Pascale a toujours chanté, dépassant parfois les limites de la tolérance de sa mère. À l’adolescence, elle n’a jamais eu l’impression de trouver sa place à l’école. Son refuge: le rock punk et le hip-hop, entre autres. «Lagwagon, NOFX, Millencolin, Rancid, j’adorais ça. Nine Inch Nails aussi. Je vivais ma crise d’ado très intensément…» Elle a aussi écouté Alanis Morissette et les Cranberries, sans se douter qu’elle allait un jour être comparée à ces artistes.

 Parallèlement aux compositions créées dans le «bordel innommable» de sa chambre, elle a aligné les petits boulots dans les bars et restos, tout en étudiant en arts et lettres d’abord, et en enseignement du français ensuite. À travers tout ça, et sans qu’elle ait jamais suivi de cours de chant ou de guitare, un contrat de chanteuse au resto-bar Les frères Toc, à Charlesbourg, est tombé du ciel. C’est là que tout a déboulé. «Je jouais surtout des reprises. Comme je ne sais pas très bien lire la musique, j’allais sur Internet chercher quelques accords, puis je bricolais autour de ça. J’arrangeais les tounes à ma sauce.» Et sa sauce a pris. Le mot s’est passé: «Il y a une petite fille qui « rocke » aux Frères Toc.» On l’a invitée à se produire dans des fêtes privées, des bars, à des tournois de golf. Puis, elle a été conviée aux auditions des Pourris de talent, à MusiquePlus, une émission consacrée à la relève. Elle ne sait pas du tout comment son démo a bien pu atterrir à la chaîne. «Je capotais! Je n’étais vraiment pas sûre de vouloir y aller. C’étaient les Denis Drolet qui animaient», se souvient-elle en imitant les voix de ces humoristes spécialisés dans l’absurde. «Je me disais: « Coudon, c’est-tu pour rire de moi? »» Le doute, encore.

Mais elle y est allée. Et y a fait un tabac. Peu après, elle a rencontré Mathieu Cantin, avec qui elle a fondé le Pascale Picard Band (Cantin a quitté la formation depuis). Les spectacles se sont enchaînés, et le groupe a lancé son premier album, Me, myself & us, en 2007. Son rock pop teinté de punk et de folk, accessible mais non formaté, a vite plu. Les pièces Smilin’ et Gate 22 sont devenues deux des plus puissants vers d’oreille de l’histoire musicale québécoise. Pendant que beaucoup d’encre coulait à propos du fait que la francophone Pascale chantait en anglais (ce qui chatouille souvent les susceptibilités au Québec), quelque 300 000 exemplaires du disque étaient vendus dans la province, au Canada et en Europe. Mieux encore, le groupe s’offrait les plus grandes scènes d’ici et de l’Hexagone (notamment L’Olympia, à Paris) et remportait deux Félix. Pas mal pour une fille qui se trouvait quétaine et qui chante, sur Sorry, «give me a reason to be less insecure» («donne-moi une raison d’être plus sûre de moi»). Voilà qu’elle en a mille.

Pour l’instant, Pascale observe son dernier bébé grandir (exception faite de la trame sonore, constituée de reprises, qu’elle a signée pour la troisième saison de la télésérie Trauma, au début de 2012). A letter to no one, le second album du groupe, a été lancé en mai 2011. La pochette a intrigué: cheveux longs au vent, épaule dénudée, teint frais, l’ancienne adepte du t-shirt et de la chemise à carreaux assume visiblement davantage sa féminité. «Ce n’est pas vraiment un changement de look; je ne me suis quand même pas fait faire des dreads! Je m’habille selon l’envie du moment. Un jour en talons hauts, le lendemain en jogging et running shoes

Mégasuccès ou pas, Pascale Picard reste intègre et authentique. Ses priorités dans la vie? «Être bien, avoir mes amis tout près ainsi qu’une place à moi, à mon image, où je me sens chez moi. Je suis très près de mes racines. C’est pour ça que je reste à Québec: c’est là que se trouvent tous ceux que j’aime. Ça me fait du bien d’être avec des gens qui n’analysent pas mon nouveau style et qui me parlent des derniers rebondissements de Loft story, même si je n’y comprends rien. Ça me « grounde », ça me déconnecte de ma vie professionnelle. Je suis un paradoxe sur deux pattes: j’ai besoin que ça bouge et que chaque journée soit différente, mais ce que je veux surtout, c’est m’ancrer.»

Loin d’être jet-setteuse, Pascale boude les bars branchés pour cuisiner, voir sa gang, jogger, faire de la planche à neige, lire. Son activité du vendredi soir? Jouer à des jeux de société. «J’adore ça! On se fait un souper chez nous avec des amis, et si à 22h30, on n’a pas commencé à jouer, je m’impatiente. Hé! On n’est pas là pour jaser! Une partie de Cranium, et je suis aux anges!»

Pascale Picard: grandir en sagesse

Tête froide, pieds collés au sol, Pascale compose sainement avec le succès. Mais elle se bat encore contre le syndrome de l’imposteur. «Je me dis souvent qu’à un moment donné, les gens vont se rendre compte que je ne suis pas bonne pantoute», avoue-t-elle de sa voix puissante et rauque.

De l’arbre du succès, elle a récolté les fruits dont elle avait besoin: ceux qui lui ont permis de cultiver sa confiance en elle. «C’est hot de partir d’un manque total d’estime de toi, puis de te réveiller un jour et d’entendre plein de gens te dire: « Wow, c’est malade, Gate 22! Ça me fait pleurer. Je me reconnais dans ta toune! » note-t-elle, soudain songeuse. Je suis chanceuse que ça m’arrive. Je n’ai jamais été carriériste, mais là, je vais profiter de ma chance. Sauf que je suis consciente que tout est temporaire… Le succès dépend de plein de variables; on ne sait pas quand ça peut s’arrêter. Je dois veiller à ne pas me perdre en tant que personne à travers tout ça.» Le doute s’est mué en prudence.

Et sa musique? Elle a gagné en nuances, en richesse, autant sur le plan de l’instrumentation et des arrangements que sur celui de l’interprétation, devenue plus feutrée, plus sentie. «Je me suis rendu compte que je n’avais pas besoin de crier pour me faire comprendre, une habitude qui venait sûrement de mon passé de musicienne de bar.»

Les amours boiteuses sont toujours le sujet de prédilection de la jeune femme, qui en parle de façon plus mature, au fil de jolies métaphores et d’histoires toutes en sensibilité. La filiation avec l’œuvre d’Alanis Morissette s’estompe. La rage qui transpirait du premier album aussi. «Je travaille sur moi. Je ne dépense plus d’énergie sur les trucs qui n’en valent pas la peine. Je veux retirer du positif de toute situation.»

Ce que Pascale Picard souhaite maintenant: être heureuse et prendre les bonnes décisions. «Je ne me pardonne pas facilement quand je me trahis et que je fais des trucs que je n’aime pas.» Avec l’intégrité bien au chaud dans son baluchon, elle ne peut pas vraiment se tromper de chemin.

pascalepicardband.com

Neuf choses à savoir sur Pascale Picard

1. Un talent caché «Je peux mettre mon poing dans ma bouche. Ça compte?»

2. Un vice «La cigarette et les téléséries américaines.»

3. Ses lectures du moment Toute l’histoire du monde de la préhistoire à nos jours, de Jean-Claude Barreau et Guillaume Bigot, m’a donné le goût de lire un roman historique. Je me suis donc plongée dans Les piliers de la terre, de Ken Follett.

4. Ses artistes préférés Dean Martin, Dionne Warwick, Sublime, Bright Eyes, The Cat Empire, Eels, Emmylou Harris, Fleetwood Mac, J.J. Cale, Mother Mother, The Weakerthans, Outkast, Paul Simon, Vampire Weekend, les Beatles, Catch 22, Metric, PJ Harvey, Sia.

5. Une chanson qu’elle aime chanter en voiture La version de Bennie and the Jets, d’Elton John, par les Beastie Boys.

6. Une chanson qu’elle ne peut plus entendre «Quand je jouais dans les bars, certaines tounes m’étaient souvent réclamées. Il y en a quelques-unes que je me suis obstinée à ne jamais apprendre: Smoke on the water, Me and Bobby McGee, La p’tite grenouille

7. Une chanson qu’elle aimerait jouer à la guitare Purgatory, d’Iron Maiden.

8. Ses films fétiches «Napoleon Dynamite, La haine, Brain dead, Spinal tap, Anchorman, Bridget Jones (à regarder un dimanche de pluie). Aussi, mais ce n’est pas un film, le téléthéâtre Les voisins. C’est l’une des choses les plus drôles que j’ai vues de ma vie. Je le connais par cœur.»

9. Son idée du bonheur «Les petites victoires du quotidien: se lever le matin et constater qu’il reste du café ET du lait, arriver juste avant que la boutique ferme… Et puis voir un inconnu s’enfarger (sans se blesser, idéalement) ou être prise d’un fou rire (surtout lorsque c’est déplacé).»

 

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