Perchée sur des talons vertigineux, le regard félin et la silhouette infiniment élancée dans une tenue de Giambattista Valli, Charlotte Cardin a un magnétisme fou! Et une présence quasi intimidante. Mais aussitôt la dernière photo prise pour notre page couverture, enfin démaquillée et simplement moulée dans un jean et un t-shirt blanc — son uniforme dans la vie de tous les jours —, elle redevient elle- même. Une grande fille toute simple et vraie.

Trois ans après s’être fait connaître à titre de finaliste à la première édition de La Voix, en 2013, Charlotte se révèle doucement, une pièce musicale à la fois. À un certain public qui l’a vue comme la «belle grande fille à la télé» ou comme mannequin, elle propose de se faire redécouvrir en tant qu’auteure-compositrice-interprète. Résultat: à 21 ans, elle nous offre son premier microalbum, intitulé Big Boy. Les quatre pièces qu’elle a lancées dans la dernière année, Big Boy, Les échardes, Like It Doesn’t Hurt et Faufile sont d’ailleurs toutes à son image: uniques, épurées et envoûtantes. Ce sont des chansons mélancoliques, un brin électros, qui traitent d’amours déchues et de relations au bord du précipice. Ce qui étonne, car Charlotte nage dans le bonheur! En effet, à l’aube du lancement de son EP, qui compte six titres, elle parcourt le Québec et la planète — bonjour Paris, Londres, New York! — pour faire découvrir sa musique. Elle cumule aussi les contrats de mannequinat. Elle est amoureuse. Et, par-dessus le marché, elle travaille à son premier album long jeu qui sortira plus tard cette année.

Quelques jours après ma rencontre avec elle pour la séance de photos, elle m’a donné rendez- vous à la terrasse ensoleillée du Dépanneur Café, un café branché du Mile-End, à Montréal, dont elle est une habituée. Elle s’est présentée tout sourire et pile à l’heure, habillée d’un chandail blanc vaporeux et d’un short noir, les cheveux décoiffés juste ce qu’il faut et le visage sans fards. Devant un café au lait glacé, elle s’est livrée en toute candeur, sans détour ni réponses préfabriquées. Extraits choisis d’une conversation avec une jeune artiste qui sait qui elle est. Et qui elle veut devenir.

 

Charlotte Cardin

Crédit: Malina Corpadean

Trouver sa voix

«Ma progression s’est faite à l’envers. À La Voix, à 18 ans, je chantais chaque semaine devant un million de téléspectateurs. Ce n’était pas la vraie vie! Aujourd’hui, si je suis chanceuse, je remplis des salles de… 100 personnes! (rires) Je suis entrée par la grande porte, mais ce n’est que maintenant que je comprends le métier de musicienne. J’aurais pu lancer un disque tout de suite après La Voix, surfer sur ce buzz. J’y ai réfléchi, mais j’ai ressenti le besoin de terminer mon cégep, de voyager, d’expérimenter, de me positionner en tant qu’artiste. J’ai sorti quelques chansons au compte-gouttes pour permettre à mon public — qui me connaissait d’abord et avant tout comme “Charlotte de La Voix” — d’apprivoiser mon identité artistique. J’ai aussi pris de l’assurance sur scène. Et je sens que j’ai réussi à trouver ma place.»

Sans filtre

«Quand j’écris, je ne me censure pas. Je dois ressentir chaque note, chaque parole de mes compositions, parce qu’au final c’est moi qui les chanterai mille fois sur scène. Parfois, ce que j’écris surprend. Dans Like It Doesn’t Hurt, je dis f**k quelques fois. Ç’a engendré beaucoup de réactions, sans doute parce que ça casse un peu mon image de petite fille sage… Le thème des relations amoureuses est assez présent dans mes chansons. Ça prend quand même beaucoup de place dans ma vie… probablement comme dans celle de toutes les filles de 20 ans! (rires) Plusieurs de mes pièces sont inspirées de mes propres expériences, mais j’écris aussi sur la vie des gens qui m’entourent. Il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre! Je compose parfois des chansons d’amour tristes alors que je suis très heureuse en couple. Je chante à la première personne, mais je me mets souvent dans la peau de personnages. J’essaie d’écrire des histoires auxquelles les gens peuvent s’identifier.»

Plus qu’une jolie fille

«Je l’avoue: être mannequin, ça ne me passionne pas. C’est un travail payant, tout au plus. Je ne m’en cache pas: quand on commence dans le milieu de la musique, on ne fait pas beaucoup d’argent. Je sais que je suis chanceuse et qu’être mannequin est un day job très cool! (rires) Je ne veux surtout pas avoir l’air de cracher sur ce métier. Mais la musique passe en premier. C’est ce qui me rend heureuse et qui me permet de m’exprimer. (Elle réfléchit.) Si, un jour, je gagne ma vie en tant que musicienne, je ne serai plus mannequin. Moi, je veux être connue d’abord et avant tout en tant qu’artiste. Pourtant, j’ai encore parfois l’impression que, même lorsque je me présente sur un plateau en tant que “Charlotte la musicienne”, on me traite comme “Charlotte la mannequin”, la belle fille qu’on peut maquiller, coiffer et habiller à sa guise. Maintenant, même si ça me demande un effort, j’essaie de le dire lorsqu’on me propose des trucs qui ne me conviennent pas.»

 

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Crédit: Malina Corpadean

Dans les coulisses

«Sur les réseaux sociaux ou dans les entrevues, je garde bien des choses pour moi. Je n’ai pas de secrets, mais je préfère que ma vie intime reste… intime. J’ai appris par essais et erreurs. Une fois, j’ai parlé de mon copain sur Instagram. Le lendemain, un journal publiait un article du genre: “Charlotte a un chum!” Un peu plus tard, j’ai publié une photo de moi un peu sexy, sur laquelle je porte un veston sans soutien-gorge. Peu après, un site à potins titrait un billet: “Charlotte dévoile une photo les seins découverts”. C’est drôle… mais aussi énervant! Que je le veuille ou non, je suis sous l’œil du public, et je dois être vigilante si je veux préserver mon jardin secret. Je suis honnête avec mes fans, mais je crois que c’est normal de ne pas vouloir tout dévoiler…»

Féministe à 1000%

«Le sexisme est horriblement présent dans l’industrie de la musique et, en tant que féministe, je suis indignée. Parce que je suis jeune et parce que je suis une femme, j’ai parfois de la difficulté à être prise au sérieux. Je sens que je dois prouver que je suis intelligente et que mes opinions ont de la valeur. Je suis convaincue que ce serait différent si j’étais un gars. Et c’est terrible à dire mais, dans ce milieu, quand tu es une fille, tu as plus de chances de percer si tu corresponds aux critères de beauté de la société. On m’a déjà dit que je devrais profiter du fait que je suis “belle” et m’habiller de façon à, disons… mettre mon corps plus en valeur. C’est tellement con! Je ne veux pas réussir à cause de ce que j’ai l’air; je veux être reconnue pour ma détermination et mon talent!»

Dépasser les frontières

«Je sais où je veux aller, mais je ne sais pas si c’est là que je vais aboutir! (rires) J’ai envie de vivre de ma musique et, éventuellement, de faire découvrir mes chansons internationalement. Pour y arriver, je travaille vraiment fort. Je fais toujours mon goddamn best. Et j’ai tellement de fun! Je sais que c’est super quétaine à dire, mais j’ai l’impression de ne pas avoir de limites. J’ai envie de tout essayer, de tout vivre. J’ai énormément d’ambition, et ça en prend une tonne pour réussir dans ce milieu, qui peut être dur… Je joue parfois dans des salles vides. C’est vraiment décourageant. Mais je continue quand même et j’essaie de voir ça comme un défi plutôt que comme une défaite.»