Elles étaient comme deux soeurs. Le 6 septembre 2008, Maisy Odjick, 16 ans, et Shannon Alexander, 17 ans, sont disparues de la petite ville de Maniwaki, au Québec.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée particulièrement au cas de ces deux jeunes Amérindiennes?
J’étais très attachée au fait de raconter une histoire qui se déroule au Québec. Je trouvais que les Québécois avaient trop tendance à dire: «Tout ça se passe dans l’ouest du Canada, on n’est donc pas concernés.» C’est vrai qu’il y a moins de cas de disparitions et de meurtres de femmes autochtones au Québec, mais pour des raisons purement démographiques: il y a moins d’autochtones ici. Or, la vulnérabilité sociale qui touche les autochtones dans le reste du Canada est aussi à l’oeuvre au Québec. Je voulais dire aux gens: «Ça se passe près de chez vous, mais vous ne le savez pas parce qu’un fossé vous sépare du monde autochtone.»

L’histoire de ces deux adolescentes et la tragédie dont elles ont été victimes recoupent plusieurs autres cas mentionnés dans votre livre. Y a-t-il quelque chose qui les distingue?
Ce qui ressort, c’est qu’une des deux jeunes filles, Maisy, appartenait à la classe moyenne. Ça montre donc que même les classes moyennes – où les familles essaient pourtant de sortir d’un certain carcan social – sont à risque. Quand vous vivez en milieu autochtone, que ce soit dans une réserve ou en dehors, vous vivez dans un milieu à risque pour les adolescentes. C’est la grande différence avec le reste des Canadiens: si vous êtes Amérindienne, vous êtes bien plus vulnérable que si vous êtes Blanche.

Vous rappelez le cafouillage de l’enquête policière concernant ces deux disparitions. Jusqu’à quel point cela témoigne-t-il d’un laxisme dans la conduite des enquêtes sur la disparition de femmes autochtones?
Les familles amérindiennes se plaignent carrément du racisme auquel elles se heurtent souvent quand elles déposent une plainte. On leur dit que leur fille a fugué, qu’elle est partie se souler quelque part ou qu’elle est allée faire une passe, même si elle n’est pas prostituée. Ces stéréotypes courants font en sorte que les enquêtes se mettent en route très lentement. Le problème, c’est que les premiers jours sont déterminants dans les cas de disparitions: c’est à ce moment- là que vous prélevez des indices pertinents et que vous pouvez recueillir les témoignages les plus frais par rapport à l’évènement. Il y a une indifférence très marquée à l’égard des autochtones et une incompréhension, sinon un mépris, face aux difficultés que rencontrent leurs communautés. C’est dû notamment au fait qu’on ignore leur histoire, leur réalité. Ce qui m’apparaît évident, c’est que tant qu’on n’aidera pas socialement les communautés amérindiennes à s’en sortir, les femmes autochtones continueront à disparaître et à mourir. (Lux Éditeur)

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