Claude Legault arrive le premier dans la suite de l’hôtel où nous lui avons donné rendez-vous. Ses joues sont rougies par le froid. Il porte un parka noir, un pantalon cargo et un t-shirt de Radio-Canada, dont il vient justement de quitter les studios. Comme il est en pleine promotion de la télésérie policière 19-2, il accorde des entrevues à un rythme effarant en ce moment. «Je suis brûlé, nous dit-il d’emblée. J’ai juste dormi quatre heures la nuit passée!» Il s’étend, ventre contre terre, et nous offre une reconstitution dramatique de son réveil brutal survenu plus tôt: le visage renfrogné et les membres contorsionnés dans une position improbable, il pousse une plainte déchirante: «Noooon! Non, non, noooooon!» C’est l’hilarité générale.

Céline Bonnier arrive à son tour, magnifique, à peine maquillée, sa chevelure blonde tombant doucement sur ses épaules. Claude se précipite sur sa délicate amie. «Salut la grosse! T’as donc ben un beau casque de poil!» dit-il en l’enlaçant affectueusement.

Dur de croire que les deux acteurs ne se connaissaient pas avant le tournage de French Kiss. À les voir s’entendre comme larrons en foire, on jurerait qu’ils ont fait les 400 coups ensemble. Les grands enfants de 45 ans (Céline) et 47 ans (Claude) plaisantent copieusement quand vient le temps de prendre la pose dans le lit: «Ça va nous prendre du Photoshop!» déclare Céline en riant à gorge déployée. Et les deux de multiplier sans vergogne les crocs-en-jambe et les coups d’oreillers.

 

 

L’idée de réunir les deux vedettes dans une comédie romantique était plus que chouette. (Avouez que, comme nous, vous avez affiché un sourire béat en découvrant la bande-annonce prometteuse de French Kiss.) L’histoire? Fred, un mec abonné aux rencontres sans lendemain, tombe soudainement fou amoureux de Juliette, une bibliothécaire solitaire. Celle-ci croit qu’il s’agit d’un ancien camarade de classe, et le pauvre n’ose pas lui avouer qu’il y a erreur sur la personne. S’ensuit alors une histoire sentimentale compliquée où plane le vilain spectre du mensonge, lequel sera escorté de joyeux quiproquos. «Juliette et Fred sont très différents, et c’est un peu pour cette raison qu’ils sont attirés l’un par l’autre, explique le réalisateur Sylvain Archambault (Piché: entre ciel et terre). Ils sont complémentaires. On peut dire la même chose du duo Bonnier-Legault: Céline est très douce et discrète, tandis que Claude a un côté social exacerbé. Ils se complètent à merveille!»

S’il est vrai que Claude est volubile et Céline plus réservée, ils ne pensent vraiment qu’à rigoler quand ils sont ensemble. La preuve.

Votre film s’intitule French Kiss… Peut-on en conclure que vous vous êtes beaucoup embrassés sur le plateau?

CLAUDE LEGAULT Mets-en! C’est fou comme on a «frenché»!

Parlez-nous de votre premier baiser…

CLAUDE Oh, je pense que ça s’est passé au cours d’une scène en voiture. À l’origine, nos personnages ne devaient pas s’embrasser: Fred devait simplement raccompagner Juliette chez elle. Mais une fois qu’on a eu terminé la séquence telle qu’elle avait été écrite, Sylvain a continué de nous filmer et nous a demandé d’improviser une scène d’amour.

CÉLINE BONNIER Puis comme la caméra tournait encore, ben on l’a fait!

CLAUDE Sylvain nous balançait plein de directives: «Lâche le volant! Embrasse-la! Déshabille-toi! Vite, enlève sa blouse!» (rires) Ç’a été ça, notre premier french! (À Céline, qui rigole en se rappelant ce moment:) On a ri en tabarouette, hein?

Diriez-vous que, dans une comédie romantique, la chimie entre les deux acteurs est essentielle?

CLAUDE On aurait pu simplement être professionnels et faire la job. Mais ça n’aurait pas été aussi agréable. Sans chimie, tu te prives d’un bon 30 % de bonheur et d’efficacité sur un plateau. C’est du gaspillage! (À Céline, qui croque à ce moment-là dans une pomme:) Voyons, tu fais donc ben du bruit! (rires)

 

Comment vous êtes-vous préparés à jouer vos scènes d’amour?

CLAUDE Avant le début du tournage, je me suis brossé les dents pendant deux jours! Soie dentaire. Gargarisme. Toute la patente!

CÉLINE Mais après quelques jours, on s’est calmés. À la place, on s’est juste mis à manger les mêmes affaires. C’était plus simple. Le midi, on se demandait: «Toi, prends-tu des oignons?» (rires)

CLAUDE On niaise, mais il faut faire attention à ces choses-là…

CÉLINE Ben là, pas tant que ça!

CLAUDE Un peu, quand même! J’ai déjà eu une partenaire qui n’était pas agréable à embrasser. C’était assez ordinaire, mettons.

Dans le film, il y a des séquences intimes au lit. Comment vous sentiez-vous avant de les jouer?

CLAUDE Moi, j’avais assez peur que mes 12 maîtresses capotent et débarquent sur le plateau! (rires)

CÉLINE Ahhhhhh! réponds donc sérieusement! (rires) Pour moi, ce n’est pas plus stressant que de jouer une scène dans un autre genre de film. En fait, je dirais même que c’est plus agréable de prendre part à une comédie que d’être plongée dans la noirceur 24 heures sur 24! J’ai déjà joué des scènes heavy durant 36 jours. C’était dur!

CLAUDE Disons que, quand tu sais que tu vas être nu aux côtés de quelqu’un pendant des heures et que tu vas être observé sous tous les angles par une équipe technique, il faut trouver le moyen d’en rire. C’est ce qu’on a fait.

Avez-vous visionné des comédies romantiques pour vous inspirer?

CLAUDE Oui. J’adore brailler en regardant des comédies de fifilles! Ça me détend. Quand c’est bien fait, que le scénario est bon et que le couple est crédible, c’est impeccable. J’aime beaucoup Hugh Grant et Andie MacDowell dans Four Weddings and a Funeral. C’est un film chaste et beau. Et aussi Adam Sandler et Drew Barrymore dans 50 First Dates.

CÉLINE Moi, j’aime beaucoup It’s Complicated, avec Alec Baldwin et Meryl Streep. L’histoire est très moderne.

CLAUDE C’est vrai. Les personnages, qui sont dans la cinquantaine et qui ont déjà formé un couple, ne restent pas ensemble à la fin, même s’ils partagent une grande complicité sexuelle. Dans la vie, deux personnes doivent parfois se séparer, même si ça clique sur le plan sexuel. À cause de tout le reste. (Céline opine du chef.)

Les amoureux de French Kiss sont dans la quarantaine. C’est rafraîchissant de voir ça dans un long métrage de ce genre, non?

CÉLINE Oui. On dirait qu’au grand écran, c’est impossible de connaître l’amour après 30 ans. Pourtant, il n’y a pas d’âge pour tomber amoureux! J’ai été emballée quand on m’a offert le rôle de Juliette. J’ai d’abord été surprise, mais ça m’a charmée. Ça va à l’encontre de tout ce qu’on voit au cinéma. On peine beaucoup pour créer des personnages féminins de plus de 35 ans, et je trouve ça dommage. En prenant part à un film comme French Kiss, j’ai l’impression de contribuer un petit peu à faire changer les choses.

Selon certaines études, les comédies romantiques créent des attentes irréalistes dans l’esprit des gens, parce que l’amour ne peut jamais être aussi beau dans la réalité. Qu’en pensez-vous?

CÉLINE Je pense que c’est précisément parce qu’on veut croire que l’amour est aussi beau qu’au cinéma qu’on continue de produire et de «consommer» des comédies romantiques. C’est comme la pornographie: on aurait envie. (Elle s’arrête un moment.) Attends, il faut que je fasse attention à ce que je dis!

CLAUDE Non, je suis d’accord avec toi: on aurait envie de croire que la pornographie, ça se peut aussi dans la vie! (rires)

CÉLINE La pornographie, ce n’est pas réaliste non plus!

CLAUDE Ouin, un ménage à trois, des fois, c’est mieux dans notre tête…

CÉLINE Et des fois, l’amour, c’est mieux quand la lumière est éteinte… Mais il me semble qu’au cours des dernières années, la comédie romantique a cherché à sortir des sentiers battus. L’amour est moins idéalisé que par le passé, on goûte un peu plus à son amertume.

Ce genre cinématographique a été peu exploré au Québec jusqu’à maintenant. Pourquoi, selon vous?

CLAUDE C’est dur à dire, car Dieu sait qu’on fait beaucoup de comédies ici. Mais ce n’est pas facile d’y greffer une histoire d’amour qui se tient. Peut-être a-t-on peur que ça fasse cucul…

CÉLINE On sent peut-être qu’on ne peut pas s’approprier ce genre-là.

CLAUDE C’est vrai que ce sont surtout les Américains qui dominent dans ce créneau. Ils en sortent combien par année, des comédies romantiques: une quarantaine? Au Québec, on ne produit pas beaucoup de longs métrages, donc le nombre de comédies romantiques est forcément plus petit. Et puis ces films-là peuvent faire peur aux gars. Or, ici, il faut attirer l’auditoire le plus large possible. On ne peut pas se permettre de perdre la moitié du public en partant.

Justement, croyez-vous que les hommes aimeront French Kiss?

CÉLINE Je pense que oui, c’est vraiment drôle!

CLAUDE Et c’est sexy, kinky. Nos personnages se désirent énormément tout au long de l’histoire. Ça, c’est aussi intéressant pour les gars que pour les filles.

Vous avez tous deux la cote auprès de vos fans de sexe opposé. Diriez-vous que vous aimez l’image que le miroir vous renvoie?

CÉLINE J’ai mes moments. Quand j’avais 20 ans, je trouvais que mon visage n’avait pas assez de caractère, que mes traits n’étaient pas assez définis. Et aujourd’hui, je peste contre mes rides quand je me vois au grand écran. On n’est jamais contentes, hein?

CLAUDE Je ne me trouve pas laid, mais je ne me considère pas comme beau non plus. J’ai mes complexes. D’ailleurs, c’est la première fois aujourd’hui que je pose torse nu. On me l’a souvent demandé dans le passé, et chaque fois j’ai refusé. Ça m’intimide. C’est quelque chose que j’ai bien de la difficulté à assumer.

Quel est, selon vous, le plus bel atout physique de votre covedette?

CÉLINE Regardez-le! C’est un beau gars, Claude! Toutes les filles tripent sur lui! Et, en plus, il a une belle personnalité. Pour moi, c’est une question d’ensemble. Il y a des gars qui ont une jolie gueule, mais qui tapent sur les nerfs, qui n’ont pas d’humour ou qui sont stupides. Ceux-là, je ne pourrais jamais dire que je les trouve beaux.

CLAUDE Céline est magnifique. En plus, elle est brillante ET drôle. C’est rare. Et ça peut faire peur à certains hommes qui manquent de confiance en eux. Moi, j’admire ça. Je ne pourrais jamais être avec une fille qui n’a pas d’humour. En couple, c’est important de triper sur l’esprit de l’autre, pas juste sur son corps. Sinon, la relation ne tient pas à grand-chose.

Vous êtes tous les deux très en demande sur le plan professionnel. Comment entrevoyez-vous les prochains mois?

CÉLINE Je participe à nouveau à la série Les rescapés au printemps. Je prépare aussi différentes pièces: une avec Brigitte Haentjens et une autre qui sera montée au théâtre La Chapelle l’automne prochain. Et puis, je suis en train de concevoir un spectacle avec la troupe Momentum, qui sera présenté à Espace Libre en 2012. C’est ma création à moi; je travaille avec des collaborateurs que j’aime et ça m’emballe!

CLAUDE Il y aura peut-être une deuxième saison de 19-2. Puis j’étudie des propositions de films. Je pense aussi à créer mon propre one man show d’humour, parce que la scène me manque terriblement. Bref, ma vie est comme un puzzle non résolu en ce moment: il y a beaucoup de projets sur la table. Rien n’est fixé, mais c’est correct: je ne veux pas brusquer les choses. Je n’ai pas toujours pensé à moi en prenant des décisions, et les résultats n’ont pas toujours été heureux. Je veux apprendre à dire non. Ça risque de déplaire, je le sais, mais j’en ai parlé à mes agents, à ma psy (rires), aux gens qui comptent autour de moi. Maintenant je ne dis plus oui qu’à moi-même. Et puis, je vais essayer de manger moins de junk!

 

Nous remercions l’hôtel Le Germain, à Montréal (germainmontreal.com), de sa précieuse collaboration.

 

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