Intérieur jour, un café du Mile-End. Vêtue d’une jolie robe turquoise à manches courtes, casque à la main (sa Vespa est garée sagement au coin de la rue), Magalie Lépine-Blondeau s’assoit devant moi en s’exclamant: «J’ai un œil au beurre noir!» Comme je n’avais rien remarqué, je lui demande: «Lequel?» Ma question la rassure. Le fard de camouflage tient le coup: pas l’ombre d’une paupière tuméfiée en vue! «Avant-hier, durant le tournage d’une scène intime, un coude a abouti dans mon visage», explique-t-elle avec un demi-sourire. Le coude appartient à Louis Morissette, son partenaire dans Plan B, une nouvelle minisérie dramatique de six épisodes qui sera diffusée à Séries+ l’année prochaine.

De son propre aveu, Magalie n’est pas un bourreau de travail et s’estime très désorganisée. C’est dire la discipline de fer qu’elle devra s’imposer pour entrer dans la danse de District 31, la nouvelle série quotidienne d’ICI Radio- Canada Télé, coproduite par Fabienne Larouche! Réglé comme une montre suisse, le cahier des charges implique neuf mois de tournage, à raison de quatre jours par semaine, chacun comptant de 12 à 13 heures de dur labeur. «C’est un grand vertige», reconnaît la comédienne de 33 ans, rencontrée à quelques jours du premier tour de manivelle de cette série, créée par Luc Dionne (Omertà). Elle y jouera une enquêteuse de police ambitieuse et rigide, au caractère bien trempé, appelée à faire équipe avec un partenaire (Vincent-Guillaume Otis) au tempérament opposé. Mais si ce rôle au long cours ne lui fait pas peur, il en va tout autrement de son impact sur son quotidien. «En fait, c’est le reste de ma vie qui me préoccupe: je ne sais pas comment je vais concilier ça avec l’amour, les amis, la famille, l’épicerie…» C’est un beau problème, diraient certains.

Son quotidien, elle le partage avec l’humoriste et animateur Louis-José Houde, son amoureux, dont elle ne mentionnera pas une seule fois le nom au cours de notre entretien. Ensemble, ils forment un couple qui impose le respect, vu sa grande réserve médiatique. Le dévoilement inopportun, par un journaliste, du montant payé pour la nouvelle maison qu’ils habiteront a d’ailleurs eu pour effet de rajouter un verrou sur la porte de leur jardin secret…

 

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Robe et body en laine et soie (Valentino); boucles d’oreilles en résine et métal (Oscar de la Renta) et sandales en cuir (Prada). Feutres (Multifeutre du Québec Ltée) Crédit: Leda & St. Jacques

 

Il reste que le nom de la finissante de l’École nationale de théâtre du Canada, qui roule sa bosse depuis 11 ans, est sur toutes les lèvres par les temps qui courent et que, du coup, on l’invite à s’exposer au regard des autres. Comment offrir de soi-même et préserver son intimité quand on ne souhaite pas s’interposer entre ses personnages et les spectateurs? «Il faut trouver le bon dosage», dit celle qui craint par-dessus tout ce qu’elle appelle avec ironie les «carrières de quiz». Elle prend exemple sur son amoureux. «C’est un modèle de réussite. Sa notoriété, il l’a acquise grâce à son talent et à son travail acharné. Mais vous ne savez rien de lui.» En vérité, on pourrait pratiquement dire la même chose de la comédienne.

Deux ou trois choses qu’on sait d’elle…

Depuis plusieurs années, Magalie fait du doublage, des voix pour la pub et tourne beaucoup pour la télé. On l’a vue dans Tu m’aimes-tu?, Mensonges, Boomerang et 19-2. L’an dernier, elle a brillé au TNM en Roxane dans Cyrano de Bergerac; plus récemment à l’Espace Go en inoubliable Stella dans Un tramway nommé désir. Dans les deux cas, sous la direction de Serge Denoncourt, le «beau monstre» qui l’a révélée à elle-même et lui a offert jusqu’ici sept rendez-vous théâtraux.

Au cinéma, les occasions se sont faites plus rares. Ce mois-ci, elle apparaît néanmoins dans le meilleur segment (signé Micheline Lanctôt) du long métrage collectif 9. Elle y incarne une fille populaire incapable de se souvenir d’une ancienne camarade de classe (Anne-Élisabeth Bossé).

Auparavant, Xavier Dolan (Laurence Anyways), Denys Arcand (Deux nuits) et Carole Laure (Love Projet) lui avaient confié des petits rôles. Mais c’est dans le court métrage Quelqu’un d’extraordinaire, de Monia Chokri (à voir sur tou.tv), qu’elle donne toute la mesure de son talent. Plongée au cœur d’une distribution féminine endimanchée pour un shower de mariée, elle joue la trentenaire en guenilles qui déclenche un jouissif bas-les-masques.

Le film et le rôle renvoient au propre paradoxe de la comédienne, qui est à la fois simple et sophistiquée, tantôt blonde, tantôt brune. Pendant l’infusion de son thé vert, je lui demande si l’une ne cacherait pas l’autre… Nullement surprise par ma question, elle répond: «J’aime beaucoup aborder mes personnages en partant de leurs cheveux. Au départ, je suis une vraie brune. Ça me donne un petit pouvoir qui fait que les gens gardent une certaine distance, et j’haïs pas ça! À l’inverse, la blondeur est associée à une certaine volupté, à la légèreté et à la séduction. Ça attire le regard. Je ne sais pas laquelle cache l’autre, mais je sais d’instinct que le personnage que je viens de jouer dans Plan B n’aurait pas pu être blonde.»

Dans ce thriller psychologique ayant pour toile de fond une histoire d’amour qui s’effrite, elle incarne une violoncelliste qui a sacrifié sa carrière pour son couple. Louis Morissette campe son mari avocat, qui fait appel aux services d’une agence spécialisée capable de corriger un incident du passé et, par conséquent, de modifier le présent. Beau fantasme! A-t-elle déjà rêvé, elle aussi, de réécrire un mauvais souvenir? «Je ne me suis même pas posé la question, dit-elle. J’en conclus que j’ai une très jolie vie! C’est sûr qu’au moment de les vivre, on aimerait pouvoir effacer certaines épreuves, mais nous en sommes aussi le produit, alors je préfère ne rien changer.»

À l’entendre, Magalie Lépine-Blondeau n’est pas une fille de regrets, mais plutôt une fille de choix. «Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont faciles à faire», tranche-t-elle. Par exemple, elle dit «non» bien plus souvent que «oui» aux propositions qu’on lui fait, et elle passe celles-ci au peigne fin pour ne garder que celles qui la mettent en danger, lui donnent le vertige et la rapprochent de son but: l’abandon de soi.

«À cause des réseaux sociaux, tout le monde — et pas juste les acteurs — met en scène sa vie, son visage, et tente de contrôler la perception des autres. Or, pour arriver à livrer des performances impudiques, il faut réussir à mettre tout ça de côté.»

«J’ai beaucoup d’admiration pour les acteurs qui arrivent à s’abandonner, confie-t-elle. C’est mon plus grand défi. Il y a quelque chose de très impudique dans l’abandon, de très généreux aussi. Pour y parvenir, il faut cesser de se regarder. Or, on vit dans un monde où notre apparence est très étudiée. À cause des réseaux sociaux, tout le monde — et pas juste les acteurs — met en scène sa vie, son visage, et tente de contrôler la perception des autres. Or, pour arriver à livrer des performances impudiques, il faut réussir à mettre tout ça de côté.»

 

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Robe en paillettes (Altuzarra), boucles d’oreilles en cristaux et soie (Oscar de la Renta) et étole de fourrure (Michael Kors Collection). Feutres (Multifeutre du Québec Ltée). Crédit: Leda & St. Jacques

 

Chercher la faille

Chacun des personnages qu’elle a joués jusqu’ici possède un dénominateur commun: une faille ou une facette dissimulée. «Ce qui m’intéresse chez l’humain, ce n’est pas ce qu’il dévoile, c’est ce qu’il essaie très fort de ne pas montrer.» Elle évoque la chanson de Leonard Cohen: «There is a crack, a crack in everything / That’s how the light gets in.» («Il y a une fissure, une fissure en tout / C’est par là que pénètre la lumière.»)

Aussi, elle a plein de désirs à assouvir, et elle conjugue au petit bonheur la chance les rôles, les voyages, les envies et les relations. Son regard vert, jamais fuyant, transmet d’ailleurs une provision infinie de curiosité. «Toutes les sphères de ma vie sont des vases communicants. J’ai beaucoup de mal à fermer des tiroirs», avoue-t-elle.

«C’est difficile de rêver à l’avenir quand on sait qu’il y a une date de péremption [à notre monde]»

On le sait peu, mais en grande voyageuse, Magalie Lépine-Blondeau a visité une quarantaine de pays sac au dos ou en talons hauts, parfois les deux en même temps! Car «l’un et l’autre ne sont pas incompatibles», affirme en rigolant celle qui a foulé les trottoirs de Hong Kong, mais a rapporté ses plus précieux souvenirs de Rome. «Tu arrives là-bas avec une paire de talons hauts et tu en repars avec 15!» En sac à dos, sa destination préférée est l’Asie. «Je m’y suis toujours sentie en sécurité», déclare-t-elle. D’ailleurs, pendant une saison, elle a mis sa passion du voyage au service d’une des émissions phares de TV5, Partir autrement. De son parcours sur cinq continents en cinq mois, elle a rapporté mille souvenirs. Et de vives inquiétudes au sujet des changements climatiques, dont elle a partout constaté les dommages. «C’est difficile de rêver à l’avenir quand on sait qu’il y a une date de péremption [à notre monde]», dit-elle. En Afrique, où elle a vu la nature se déployer dans toute sa force et sa splendeur, elle a eu une pensée pour les enfants qu’elle aurait un jour. «J’ai paniqué à l’idée qu’ils pourraient ne pas voir ça, ne pas vivre ça», lance-t-elle.

Sur le plan professionnel, elle rêve de faire le tour de cet art complet qu’est le cinéma. Elle aimerait un jour travailler dans une autre langue que le français. Elle souhaite se rendre au bout d’un projet de série documentaire sur lequel elle planche depuis un an à titre de productrice et qui raconte le monde d’un point de vue féminin. Au théâtre, elle espère les beaux rôles de reine réservés aux actrices d’âge mûr. «Mais je ne sais pas s’ils me seront offerts un jour», laisse-t-elle tomber avec une modestie sincère.

D’ici là, il y aura District 31, qui l’occupera toute l’année et la gardera loin des planches. Et puis, il y aura l’amour, l’amitié, la vie et l’épicerie, tout simplement.

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