J’étais la première. La première journaliste que Jean Dujardin rencontrait ce matin-là, au Festival international du film de Toronto, afin de discuter de The Artist (sortie en salle prévue en décembre), du réalisateur Michel Hazanavicius, à qui on doit aussi les deux films OSS 117. L’acteur y incarne George Valentin, une star du cinéma muet qui, lorsque surviennent le krach boursier de 1929 et l’avènement du cinéma parlant, sombre dans une longue déchéance.

L’épique prestation de Dujardin dans ce film muet en noir et blanc lui a valu le prix d’interprétation masculine au dernier Festival de Cannes. Celui qu’on connaît surtout pour avoir joué les bébêtes Brice de Nice et OSS 117 est irréprochable dans ce rôle écrit pour lui, où il exploite à merveille son don pour la comédie physique. Si on en croit les pronostics des critiques et des cinéphiles qui en causent sur la Toile, il pourrait même recevoir une nomination aux prochains Academy Awards. C’est tout dire.

J’étais donc postée devant la porte d’une suite de l’Hôtel InterContinental, où il s’apprêtait à donner une série d’entrevues à des médias d’un peu partout dans le monde. Une rumeur au loin. Je me suis retournée juste à temps pour voir l’acteur apparaître au bout du couloir. J’ai regardé ma montre: il était pile à l’heure, et entouré de relationnistes. Il s’est avancé, souriant, confiant.

Eh ben! C’est bête mais, à force de voir Dujardin faire le pitre au grand écran, j’en avais un peu oublié sa facette «sexe-symbole». Quelle énergie! Quelle prestance! Quelle allure! (Oh là là! Je rougissais déjà.)

Derrière moi, une reporter a exprimé plus ou moins subtilement son contentement à la vue du séducteur, vêtu d’un jean gris foncé et d’un polo noir, une barbe de deux jours au visage et le cheveu encore humide (il sortait visiblement de la douche). Je n’étais manifestement pas la seule à être sensible à son charisme…

«Bonjour!» m’a-t-il lancé en me tendant la main avec aplomb. Il m’a souri poliment. À cet instant, mes yeux étaient fixés sur ses sourcils mythiques, si expressifs, si mobiles qu’ils pourraient sans doute mener leur propre carrière de duo comique. Juste au-dessous, un regard foncé, profond. Sérieux. Inquisiteur. «On y va?» m’a-t-il demandé. J’ai profité de la fraction de seconde suivante pour essayer de me donner une contenance. En vain.

Euh… oui. On y va.

 

Félicitations pour votre prix d’interprétation à Cannes! Que ressent-on quand on reçoit une telle récompense?

Ça fait plaisir! Très plaisir. Cependant, je ne suis pas du genre à croire qu’il y aura, dans mon parcours professionnel, un avant-Cannes et un après-Cannes. Ça me convient, d’ailleurs: je ne tiens pas à ce que les choses changent. En fait, je ne veux rien de plus que ce que j’ai déjà. En demander davantage, ce serait carrément indécent!

The Artist étant un film muet, il diffère énormément de ce que vous avez fait auparavant. Comment vous êtes-vous adapté à ce genre?

Hum… Peut-être en évitant de trop analyser les choses, justement. En me laissant porter par l’histoire que le réalisateur voulait raconter. Et puis, euh… Honnêtement, je n’en ai pas la moindre idée! Je me demande encore comment on peut s’adapter consciemment à ce type de cinéma, qui fait directement appel aux sens. Ç’a été une démarche très… très charnelle.

Une affaire d’instinct?

Oui, exactement!

De toute évidence, ça a fonctionné!

Ouais. (Il rit.) Mais je travaille souvent comme ça. Avec le corps. Ça n’a rien de réfléchi. J’ai compris mon personnage en suivant les directives du réalisateur, en conversant avec ma partenaire, Bérénice Bejo… Par exemple, il y a des scènes où elle et moi, on s’est donné la permission de surjouer pour compenser le minimalisme du genre.

On dit que, pour vous approprier un personnage, vous lui créez d’abord une voix. En avez-vous imaginé une pour George Valentin?

Non. Cette fois, j’avais en quelque sorte les mains liées, et j’ai accepté de travailler autrement. Je me suis accroché à des détails. Tout est dans le costume, l’éclairage, la moustache que je porte. Ces petites choses m’ont rassuré et m’ont aidé à comprendre le rôle.

Pour les besoins de ce film, vous êtes réellement sorti de votre zone de confort. Vous jouez avec un chien, vous faites de la claquette…

Ça, c’était génial! Quand Michel m’a demandé si je voulais apprendre la claquette pour le film, j’ai dit oui tout de suite. Dès qu’on me donne l’occasion d’apprendre quelque chose de nouveau, je suis comblé. Je savais dès le départ que je n’atteindrais pas le niveau technique de Gene Kelly, mais je me suis dit: «Tant pis! S’il y a du bonheur, s’il y a du plaisir, le public le verra.»

À vous écouter parler, on croirait que vous vous êtes plongé dans cette aventure sans la moindre crainte…

Oh non, vous vous trompez! J’ai eu peur, très peur même! Mais c’était pour de mauvaises raisons. Je pensais à mon plan de carrière, je me demandais si le public avait envie de me voir dans ce genre de film et si, au final, ce n’était pas un peu de la frime, tout ça. Cependant, j’ai compris que, malgré sa facture marginale, ce long métrage avait tous les éléments requis pour plaire au plus grand nombre. J’ai réalisé que j’aurais moi-même envie de le voir. Ma conviction, c’est qu’il faut d’abord penser à soi et à son plaisir. Au pire, on se plante, ce qui n’est pas si grave, au fond!

Vous avez touché à toutes sortes de choses: la production, la réalisation, la scénarisation… Y a-t-il encore des choses que vous rêvez d’accomplir?

Oh oui, plein! C’est ce qui est extraordinaire dans ce métier. Il me permet de progresser, d’évoluer. Il y a tellement de marches à gravir! Si j’avais à tenir aujourd’hui un rôle que j’ai joué il y a 10 ans, je ne le ferais plus de la même manière. Et j’ai envie de me surprendre. Jusqu’à tout récemment, je ne m’autorisais pas à travailler à des projets plus profonds, plus personnels, mais j’y songe de plus en plus. Je sais que je ne délaisserai jamais le comique, mais plus ça va, plus j’aspire à la diversité. Je refuse absolument de me cantonner dans un genre.

 

À DÉCOUVRIR: Jacob Tierney, un nouveau souffle