Quand je suis arrivée au Laïka, sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal, la comédienne était déjà assise à une table, sirotant un café, perdue dans ses pensées.

Sophie Desmarais est une fille à part. Une sorte d’extraterrestre dans le show-business québécois. Un être de contradictions, habité de grandes angoisses et, en même temps, de grandes certitudes. Une actrice pour qui la vie va vite, pour qui les projets déboulent, surtout en ce moment.

Le printemps dernier, elle était au Festival de Cannes pour présenter deux films: Sarah préfère la course, de Chloé Robichaud, et Le démantèlement, de Sébastien Pilote. Contre toute attente, le site américain Indiewire, une référence en cinéma, l’a mise sur sa liste sélecte des 10 acteurs à surveiller. Malgré ces grands changements dans son existence, la jeune femme de 27 ans demeure toujours calme et réfléchie. Presque mystique.

À DÉCOUVRIR: Marc-André Grondin: l’incorruptible 

Bien qu’elle soit encore peu connue du grand public, Sophie a déjà une feuille de route digne d’une actrice chevronnée. On l’a vue au cinéma dans Heads in the Clouds, aux côtés de Penélope Cruz et de Charlize Theron, Curling, de Denis Côté, Le grand départ, de Claude Meunier, et Décharge, de Benoît Pilon.

Au théâtre, elle a joué dans Beaucoup de bruit pour rien, sous la direction de René Richard Cyr, et Yukonstyle, de Sarah Berthiaume… Et ça, ce n’est que la pointe de l’iceberg! Cet automne, la belle sera partout, au grand écran comme sur les planches.

Voici l’histoire pas banale de cette mystérieuse chenille devenue papillon…

La genèse

«J’ai grandi à Terrebonne, dans une atmosphère de banlieue. Je suis enfant unique. Mes parents n’évoluent pas dans le milieu artistique; ce sont des gens on ne peut plus normaux. Et de grands amoureux, qui sont toujours ensemble.

«Enfant, j’étais très sportive. Je regardais beaucoup de films comme La championne ou Karaté Kid. En y repensant, je me rends compte que ce n’était pas tant l’aspect sportif qui me fascinait, mais les héros. J’étais plutôt solitaire et j’habitais dans un quartier où il n’y avait que des adultes. Les rencontres marquantes que j’ai faites durant mon enfance ont donc été avec des personnages de films…

«J’aurais tué pour être la cinquième fille du docteur March. J’adorais aussi les films d’époque et les personnages venus de pays lointains. J’observais attentivement les héroïnes qui me plaisaient, j’imitais leurs gestes, leurs attitudes, je m’habillais comme elles, je lisais les mêmes livres… J’étais une éponge. J’avais l’impression de ne pas avoir de personnalité, d’être un amalgame de personnages.

À VOIR: Rencontre avec la mannequin Anaïs Pouliot

«Mes idoles étaient Christina Ricci – je la trouvais bizarre et intrigante! -, Jeanne Moreau et Nicole Kidman dans Moulin Rouge! J’ai été profondément marquée par le film Romeo Juliet, avec Claire Danes et Leonardo DiCaprio. Après l’avoir vu, je n’ai pas mangé ni dormi pendant des jours. Ce film m’a rendue high. Encore aujourd’hui, je cherche ces expériences, ces rencontres qui rendent high.

«Je ne voulais pas être actrice. Ça m’effrayait. J’avais peur que les acteurs deviennent ceux qu’ils incarnent, qu’ils ne puissent plus être eux-mêmes. Je trouvais ce métier dangereux. Je voulais être coiffeuse, puis photographe, et finalement romancière. Des métiers de l’ombre.»

 

Le vilain petit canard

«Au secondaire, je lisais des auteurs profonds, comme Camus ou Kundera, des romans d’adultes. Je traînais un petit carnet partout avec moi; j’y notais tout. Je portais de grosses lunettes avec des verres épais comme des fonds de bouteille, des chandails rayés et des pantalons orange. J’étais un peu moche, mais j’adorais ça. Je me sentais mystique et marginale. J’avais l’impression de m’élever, de me concentrer sur l’essentiel, sur mon âme. Curieusement, j’étais super bien dans ma peau. J’aimais mon statut de petite fille étrange.

À LIRE: Rencontre avec Jessica Paré  

«Mais le jour où j’ai enlevé mes grosses lunettes et mis des verres de contact, ma vie a changé. Soudainement, on me disait que j’étais belle. Ça m’a traumatisée. Du jour au lendemain, j’ai eu envie d’être la plus belle. Je me suis mise à acheter des vêtements plutôt que des livres. Je me suis perdue dans cette envie de plaire. C’est le théâtre qui m’a finalement ramenée à moi.»

 

 


La naissance d’une actrice

«Adolescente, j’allais dans un collège de filles, un peu catho. J’avais une grande fascination pour la dévotion. J’ai gardé cet intérêt envers les ascètes, les gens totalement dédiés à une seule chose.

«C’est au collège, à l’âge de 14 ans, que m’est venue l’envie de devenir actrice. Ma prof de français voulait qu’on monte une pièce de Molière. Personne ne voulait jouer le rôle de Dom Juan… Alors, je me suis proposée. En me travestissant, j’ai eu une révélation. Je me suis sentie à la bonne place, en contrôle. Le théâtre m’a permis de découvrir quelque chose de plus grand que moi. C’était ma façon à moi de toucher Dieu.

À LIRE: La double vie de Caroline Dhavernas

«Ma carrière a démarré rapidement, à 20 ans. Deux mois après ma sortie de l’Option-Théâtre du Collège Lionel- Groulx, j’avais déjà deux contrats, dont le premier rôle dans la pièce Mademoiselle Julie. À l’époque, je me remettais d’une grosse peine d’amour, le genre qui te fait dire: « Je ne veux plus JAMAIS vivre ça! » C’est en étant sur les planches que je me suis guérie.»


Les vertiges de la célébrité

«J’ai eu la chance immense de me rendre au Festival de Cannes, dernièrement, pour y présenter deux films. Ce qui m’a impressionnée là-bas, ce sont les rencontres avec les grands acteurs et les grands cinéastes.

«Pour ce qui est des photos et du tapis rouge, c’était plus un jeu pour moi. Une fois qu’on a compris la mise en scène, il suffit de jouer son rôle, et ça devient facile. Ça m’a fait rire que des photographes crient mon nom pour me prendre en photo… Ils l’avaient probablement appris par coeur et n’avaient aucune idée de qui j’étais et de ce que j’avais fait!

«Ce qui m’a émue, par contre, c’est la montée des marches du Palais, la foule qui a applaudi après le film et la mer en toile de fond…

À VOIR: Tête-à-tête avec Catherine Trudeau

«Le retour s’est avéré difficile. Les gens me reconnaissaient dans la rue et me félicitaient. J’ai eu très peur des attentes que j’avais créées. C’est très dur pour moi de vivre constamment dans le regard de l’autre, même si ça fait partie de mon métier d’actrice. J’ai besoin de prendre mes distances, de m’éloigner pour ne pas me sentir « diluée ».

«L’image de moi qui est véhiculée dans les médias est comme un double. Une jumelle beaucoup plus glam. J’apprends à apprivoiser cet aspect. La dernière chose que je voulais dans la vie, c’était d’être connue. Je n’ai pas choisi ce métier pour être vue. Je rêvais plus de poésie que de célébrité.»

Sa carrière à l’international

«La France m’a toujours attirée. J’ai maintenant un agent là-bas et j’aimerais y travailler. Mais on n’a rien à envier aux Français. Quand on sort du Québec, on se rend compte que c’est vraiment hot ce qui se passe ici sur le plan culturel. En ce moment, dire qu’on vient de Montréal lorsqu’on est à l’étranger, c’est comme dire qu’on vient de Berlin: c’est très bien perçu. Mon désir d’aller travailler en France ou aux États-Unis traduit surtout une envie de découvrir d’autres façons de travailler, de faire de nouvelles rencontres, de jouer dans une autre langue…» 


Son automne au cinéma

«Avant de m’embarquer dans quoi que ce soit en France, j’ai plein de projets à réaliser ici. Cet automne, je serai dans le film Le démantèlement, de Sébastien Pilote, qui a été présenté à Cannes [à l’affiche chez nous dès le 15 novembre]. Sébastien m’a dirigée de façon très instinctive, comme un photographe dans une séance photo. C’est un réalisateur très concentré, qui a une idée très, très précise de ce qu’il veut.

Il y a aussi Chasse au Godard d’Abbittibbi, d’Éric Morin [à l’affiche dès le 1er novembre], un film étrange qu’on a tourné en plein hiver en Abitibi-Témiscamingue. Éric est à l’opposé de Sébastien Pilote dans sa façon de travailler. On s’est connus à l’école. C’est un gars d’équipe, qui laisse une grande place à l’implication de tous. Ç’a été un des plus beaux tournages de ma vie. On était tellement libres, comme sur un grand terrain de jeu. C’était magnifique.»

Le dernier mot

  • Son rôle de rêve, c’est… «un personnage historique, comme une reine intransigeante… J’aimerais jouer la cruauté.»
  • Pour elle, Montréal, c’est… «un village. Un endroit où on peut encore vivre en paix.»
  • Son quartier, c’est… «le Mile End, que j’adore et qui me tape sur les nerfs en même temps.»
  • Sa passion (outre le jeu), c’est… «Je n’en ai pas. Parfois, ça m’inquiète. J’aimerais ça triper sur les baleines, l’origami ou l’Islande. Mais je n’ai pas ce genre de passions-là. C’est peut-être du narcissisme, mais tout ce que j’aime me ramène à moi.»
  • Sa grande peur, c’est… «J’en ai plein, des peurs! Si j’ai à en nommer une, c’est les insectes marins. La mer est une métaphore de toutes les peurs. T’as envie d’y aller, mais crisse que tu sais pas ce qu’il y a en dessous! Attirant et effrayant à la fois.»
  • Son plus grand rêve, c’est… «d’avoir moins peur. Pour être plus libre.»

À LIRE:

Tête-à-tête avec Catherine Trudeau

Les souvenirs de Karine Vanasse