«Je sais que ça peut avoir l’air nerd, mais personne n’est plus excité que moi à l’idée de jouer dans Mad Men. Je n’arrive toujours pas à y croire!» m’avoue en riant Jessica Paré, jointe par téléphone à L.A., où elle vit depuis neuf ans. Le printemps dernier, l’actrice a mis Hollywood à ses pieds en incarnant Megan, la nouvelle chérie de Don Draper. Son interprétation coquine de la chanson Zou bisou bisou a enflammé la twittosphère et lui a permis de conquérir les 3,5 millions de fans de la série américaine. Plus important encore, la gloire qui lui est tombée dessus à 30 ans l’a fait revivre. Car, contrairement à ce qu’on pourrait croire, Jessica n’a pas connu un succès instantané. Après un début de carrière fulgurant, l’actrice a subi l’épreuve du vide. Ça explique sans doute pourquoi elle affiche l’humilité et la lucidité de celles qui savent que tout peut basculer du jour au lendemain.

Flash-back. Elle se revèle à 18 ans dans le film Stardom (2000), de Denys Arcand, où elle incarne une joueuse de hockey propulsée dans le milieu de la mode. L’année suivante, elle s’attaque au rôle d’une pensionnaire en quête de son identité sexuelle dans Lost and Delirious, de Léa Pool. La Montréalaise devient vite la It Girl à qui tous les espoirs sont permis. Le succès n’est toutefois pas au rendez-vous. Pendant les années qui suivent, la jeune actrice court les auditions; elle n’obtient que des rôles dans des téléséries et des films décevants. Puis, en 2010, contre toute attente, Jessica décroche, après trois auditions, un rôle en or: celui de Megan Draper.

Aujourd’hui, celle qu’on est impatientes de retrouver le 7 avril dans la sixième saison de Mad Men foule les tapis rouges habillée de tenues de Jason Wu et brille au palmarès des femmes les plus belles du monde. Reste que Jessica n’est pas prête à miser sur les artifices de la célébrité. C’est un rôle dans lequel personne ne réussira à l’enfermer… pas même Don Draper.

C’est fou comme Megan Draper et vous avez des affinités! Vous êtes toutes deux Montréalaises, votre langue maternelle est le français, et vous formez un vrai cocktail de candeur et d’ambition… C’est vrai! Megan est pleine de vie. Elle est positive, naïve et authentique. Elle est avide de se réaliser, et moi aussi! Quand je crois en quelque chose, je m’y donne entièrement, ce qui ne m’empêche pas de me moquer de moi-même ou de laisser de la place à autre chose dans ma vie…

Justement, j’ai appris que, dans votre temps libre, vous cuisinez, vous jouez du ukulélé, vous faites du tricot, du crochet, des collages, et vous dessinez. On dirait des activités de célibataire, non? (cascade de rires) Vraiment? (petit silence) Euh… Je n’aime pas parler de ma vie sentimentale. Ça détourne l’attention de mon jeu d’actrice… [Il suffit de quelques recherches pour découvrir qu’elle est divorcée de l’auteur et producteur américain Joseph Smith et qu’elle fréquente aujourd’hui le chanteur montréalais John Kastner, du groupe punk The Asexuals et anciennement des Doughboys.]

J’en conclus que vous collectionnez les passe-temps, alors… En fait, si j’en ai plusieurs, c’est que j’ai besoin de me sentir créative entre les tournages, surtout dans les périodes creuses. Et puis, j’ai du plaisir à jouer du ukulélé: le son est joyeux et, comme il n’y a que trois cordes, c’est facile à apprendre. D’ailleurs, j’aimerais bien faire de la musique rock un jour!

Diriez-vous que ces activités vous ont aidée pendant la traversée du désert que vous avez connue peu après votre arrivée à L.A.? Bien sûr! Pendant quelques années, j’ai passé plein d’auditions sans obtenir de rôles intéressants. Au plus creux de la vague, j’étais sans le sou et je dormais sur le canapé d’une amie, qui m’hébergeait… C’était tellement déprimant que j’étais sur le point de rentrer à Montréal. Un jour, alors que j’épluchais les offres d’emploi sur le site Craigslist, j’ai éclaté en sanglots en constatant que je ne savais rien faire: ni être réceptionniste dans un salon de coiffure ni être serveuse dans un bar. Rien! Je ne savais que jouer. Puis, j’ignore pourquoi, j’ai soudain eu le feeling que ça fonctionnerait pour moi et que je devais faire un essai une fois encore…

Cette tentative de la dernière chance, c’était votre première audition pour Mad Men? Oui, exactement! (rires) Je plaisante parfois en disant que ce métier exige une foi aveugle, mais c’est vrai. Même si on se rend à cinq auditions par mois et qu’on ne décroche pas de contrat, on doit croire qu’un rôle nous attend et que personne ne le jouera mieux que nous.

Votre persévérance vous a bien servie puisque vous jouez aujourd’hui aux côtés de Jon Hamm. Entre nous, est-il aussi fabuleux qu’on le dit? Absolument! Jon est terriblement talentueux. Son jeu est d’une grande justesse. C’est un acteur brillant, et j’apprends énormément à ses côtés.

C’est tout? Vous ne le trouvez pas sexy? Mais si, mais si! (rires) Il est beau, intelligent et très gentil. Il est chaleureux avec tout le monde, en plus d’être incroyablement drôle sur le plateau… Il est parfait!

Il a bien un petit défaut … Nooon! (rires)

Don Draper, lui, n’a rien d’un ange. Pourquoi a-t-il fini par tomber amoureux de Megan, selon vous? Il n’a pas pu résister à son côté lumineux, lui qui est si ténébreux. Avec elle, il a senti que tout était possible! Elle lui a redonné le goût de vivre, je crois.

Pourtant, on sent le pouvoir sexuel qu’elle a sur Don et qui trahit une facette plus obscure de sa personnalité… Bien sûr, et c’est ce qui la rend si intéressante! Son sens de l’émerveillement n’exclut en rien le magnétisme sexuel. Je dirais même que cette combinaison contribue à faire d’elle un excellent match pour Don.

À la fin de la cinquième saison de Mad Men, on avait l’impression que le couple battait de l’aile. Croyez-vous que Don et Megan resteront ensemble au cours de la prochaine saison? Hum… Je ne sais pas du tout! Les créateurs gardent le secret le plus absolu sur l’intrigue de l’émission. C’est de la torture! Je mentirais si je disais que je n’essaie pas de deviner ce qui les attend!

Revenons à vos débuts au cinéma, dans le film Stardom. Qu’est-ce qui vous vient à l’esprit quand vous y pensez? Ah… J’ai adoré travailler avec Denys Arcand; c’est un cinéaste immense. Ç’a été un cadeau du ciel de jouer sous sa direction à un si jeune âge. J’étais entre bonnes mains, et ça rassurait mes parents. Cependant, je ne m’en rendais pas compte à l’époque: j’avais 17 ans et je me disais que c’était ma vie, que je pouvais faire ce que je voulais! (rires étouffés) Aujourd’hui, quand je côtoie des jeunes qui font leurs premiers pas dans le milieu, je me dis qu’ils doivent être protégés.

De quoi, au juste? Du danger de grandir trop vite. Je me rappelle combien ç’a été difficile pour moi de composer avec l’attention qu’on me portait et avec les choses qu’on colportait à mon sujet sans me connaître vraiment. Parfois, c’était réducteur, insultant, blessant. À l’adolescence, on n’est pas armé contre ça. On est déjà très occupé à construire son identité…

J’ai appris, de source sûre, qu’on vous avait demandé de perdre du poids avant votre carrière au cinéma. Quel effet cela a-t-il eu sur vous? Ça m’a heurtée, c’est certain! J’avais 16 ans, et ma mère voulait que je devienne mannequin. J’ai visité une première agence, à Montréal, où on m’a dit de revenir lorsque j’aurais perdu 20 lb! J’ai vite compris que le mannequinat, ce n’était pas pour moi. Ma mère était déçue mais, dès qu’on a franchi la porte de l’agence, elle m’a demandé si j’avais envie d’un gros hamburger! J’en ris aujourd’hui, mais je ne voudrais pas que ma fille vive ce genre d’expérience. I mean… you know… (silence éloquent)

Beaucoup d’acteurs québécois, comme Rachelle Lefevre, Caroline Dhavernas, Karine Vanasse, François Arnaud et Laurence Leboeuf, ont tenté leur chance à Hollywood. Êtes-vous amis, complices, rivaux? On se connaît tous, bien sûr! On se croise à l’aéroport ou dans les studios. Comme on travaille beaucoup, on fait nos trucs chacun de notre côté, mais on est solidaires. Je suis très fière quand l’un d’entre nous décroche un rôle. Ça reste dans la famille! (rires) À L.A., tous mes amis sont du Canada, et de Montréal en particulier. Je devrais peut-être élargir mes horizons, mais je suis si bien entourée! Rachelle est celle dont je suis le plus proche. On se connaît depuis des années! On a joué ensemble dans Big Wolf on Campus, notre première télésérie; on a fait des ateliers de jeu. Dommage qu’on voyage si souvent…

Dans certaines des entrevues publiées par la presse américaine, vous donnez l’impression que vous avez pris une certaine distance par rapport au Canada et au Québec… Ah bon? Peut-être devrais-je corriger cette perception… (Elle réfléchit.) Ce n’est pas intentionnel. J’ai beau vivre à L.A., je suis extrêmement touchée par le fait que des gens du Canada et du Québec – où je n’étais pas très connue – soient fiers de mon succès dans Mad Men. C’est très important pour moi. Je ne cherche pas à jouer seulement dans de grosses productions américaines, loin de là! En ce moment, je joue dans des longs métrages canadiens, avec des amis et des gens que j’admire. Sans compter le film indépendant que je viens de faire en Irlande. [Standby, une comédie romantique de Rob et Ronan Burke, dont la sortie est prévue cette année.]

Vous arrive-t-il de penser à ce qui se serait produit si vous n’aviez pas décroché de rôle dans Mad Men? Oui, très souvent! Mais vous savez, un coup de chance ne suffit pas pour percer et durer: il en faut plusieurs. Et même si ce qui m’arrive est fabuleux, j’ai encore beaucoup de choses à vivre!

Sa vie à L.A.

Ce qu’elle aime de Los Angeles «J’adore vivre ici! Je ne comprends pas pourquoi cette ville a si mauvaise réputation – même s’il est vrai qu’il y a des dérapages autour du fric et de la chirurgie esthétique. J’aime les gens, le mélange des cultures et le soleil qui brille toute l’année. Montréal me manque, ainsi que ma famille, mes amis, mes rues préférées… mais pas l’hiver! Sorry

Son quartier favori «Je viens d’emménager à Los Feliz, un quartier très vivant, plein de restos, de boutiques, de friperies et de galeries, où on peut tout faire à pied. [Ce qu’elle ne dit pas, c’est que c’est le coin bobo de Jon Hamm, de January Jones, de Katy Perry, de Leonardo DiCaprio et de Madonna.] J’ai aussi acheté une petite propriété à Palm Springs, pour le travail.»

Celui qu’elle fuit «Beverly Hills, le royaume de la surconsommation et de l’argent qui coule à flots! À vrai dire, je déteste le côté artificiel de L.A.!»

Son resto préféré «Le Figaro, un bistrot parisien. Le lounge est parfait pour un 5 à 7! J’aime bien boire du vin mais, contrairement à Megan Draper, je ne fume pas.»

La musique qui lui fait penser à L.A. «Il y en a des tonnes, dont celle des Pixies, un band de rock alternatif californien. Les pièces de ce groupe jouent à tue-tête dans ma voiture. Je suis aussi le genre de fille qui écoute sans arrêt NPR, la plus grande station de radio publique des États-Unis.»

Ce qu’elle fait pour se relaxer «Dès que je rentre d’un long voyage, je vais dans un spa coréen pour les saunas, les massages et les gommages corporels purifiants. Une fois chez moi, je me prépare un petit plat thaï – je suis végétarienne – tout en écoutant la musique d’un band canadien… and I’m happy

La sixième saison de Mad Men sera diffusée dès le 7 avril à AMC, et la version française de la cinquième saison le sera dès juin à Télé-Québec.

 

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