Elle est déjà là, à bavarder avec une amie costumière, au fond d’un petit café iranien du Plateau- Mont-Royal. Les cheveux attachés, sagement séparés sur la tête par une raie bien dessinée au milieu, plus blonde qu’à son habitude, elle rayonne. Sa robe à petites fleurs et sa longue écharpe de couleur parme enroulée autour du cou lui donnent un air très Saint-Germain-des-Prés qu’elle a rapporté de ses derniers tournages à Paris. Une allure qui, comme elle l’avoue d’emblée, coïncide avec sa nouvelle envie d’explorer une facette plus féminine d’elle-même. Une évolution significative pour l’actrice, qu’on aura le plaisir de retrouver, durant l’année qui vient, tant au grand écran que sur les planches. Devant son thé à la menthe et son jus de fruits bios fraîchement pressés, elle s’est prêtée avec exubérance à notre entretien, à la fois intense et virevoltant, avec une belle sincérité. Rompant du même coup avec sa fausse image de fille parfaite, elle a évoqué ses parts d’ombre, mais, surtout, elle a fait la lumière sur la complexité de l’éternel féminin. Avec, dans ses yeux, une étincelle de lucidité qui ne la quitte jamais.  

Une fille réfléchie

«Je le sais, je suis une fille qui aime faire les choses correctement, qui a certaines exigences. J’aime me poser des questions et avoir l’impression de comprendre la situation. On m’a souvent prise pour une femme de tête, mais bon, je ne suis pas si cérébrale que ça: je suis comédienne, après tout! En fait, je dirais plutôt que je suis réfléchie. On a déjà écrit que j’étais « un brin asexuée » [une observation faite dans une entrevue que nous avons publiée en février 2006], que je ne me révélais pas assez. À l’époque, ça m’avait fait bondir. Un an plus tôt, on trouvait formidable que j’aie une tête sur les épaules, et là, on voulait que je montre mes « bibittes »? Je ne suis pas comme ça. Je n’ai aucune envie de raconter mes malheurs pour susciter la curiosité ou pour plaire. Je n’accable pas les gens avec ce qui m’arrive… J’ai trop de respect pour le public. Ce que j’aime, c’est voir la vie fleurir autour de moi, c’est célébrer les belles choses. Et j’ajouterais que si, à cette époque, en entrevue, je n’avais pas de réponses à donner, si j’avais l’air de me cacher, eh bien, c’est que je me posais moi-même des questions sur ce que j’étais en train de vivre… à 20 ans!»

Pas si parfaite

«Plus jeune, on me citait souvent en exemple, comme si j’étais parfaite. Ça devait taper sur les nerfs des filles de mon âge! (rires) Mais moi, je connais mes mauvais côtés. J’ai été une vraie adolescente, avec des périodes pas faciles. Je n’étais pas rebelle, mais j’étais très, très indépendante. Je suis l’aînée d’une famille de trois enfants, et le fait d’avoir été entourée très tôt d’adultes m’a sûrement fait mûrir plus vite. Même jeune, je tenais à réussir. Et quand j’ai commencé dans le métier [elle a 15 ans quand elle joue dans Emporte-moi, de Léa Pool], je voulais avoir toutes les réponses, comme à l’école. Curieusement, je n’ai pas vécu ma crise d’adolescence à 15 ou 17 ans, mais au tout début de la vingtaine. Tout se mélangeait: je me demandais qui j’étais, qui je voulais être; ce que j’avais envie de faire, d’essayer, de découvrir, dans la vie et sur les plateaux de tournage ou en voyage…»

Après Polytechnique

«Ma réflexion sur le féminisme n’est pas terminée. C’est une question tellement complexe. À propos de Valérie, l’étudiante aux cheveux courts que j’ai incarnée dans Polytechnique, on peut facilement établir un lien entre sa façon de faire sa place sans jouer la carte de la séduction et moi. Je dis ça parce que, comme elle, c’est ce que j’ai toujours fait. Même petite, sur un plateau, je refusais de jouer ce jeu. Dès qu’il y avait de la séduction dans l’air, je perdais mes moyens. Pour moi, il s’agissait d’un piège. Je trouvais trop facile d’y succomber et de ne pas parler des choses vraies ou, pire, de se servir de son charme pour manipuler les autres. Je voulais qu’on me traite comme les autres acteurs de mon âge. Mais, avec le recul, je vois que c’était une position intenable. J’étais – et je suis – une femme, pas un homme. Et résister à sa propre féminité peut aussi être un piège. J’avoue qu’encore aujourd’hui je trouve difficile de maintenir un équilibre entre le fait d’être une femme, fière de l’être, et le jeu de la séduction, dont les règles m’échappent. Cela dit, je me réconcilie avec l’idée de la séduction. Ce n’est pas juste futile, ça rend aussi la vie plus agréable, pour soi, pour les autres… »

Le regard de l’autre

«Ma relation avec Maxime [Rémillard, le fondateur de Remstar et coprésident et chef de la direction du canal V] m’a transformée de plusieurs façons. Elle m’a appris à apprécier le regard qu’un homme amoureux pose sur moi. Je devais travailler ça. Je n’y croyais pas facilement… Et ça a fait naître quelque chose de magnifique! Ça me permet de vivre la séduction à deux, d’en découvrir toutes les nuances. C’est beau, ce qu’on vit et crée ensemble. Plus que tout, je pense que son regard a mis en évidence ma fragilité. Il m’a énormément soutenue. Quand je l’ai rencontré il y a quatre ans, au moment où je rêvais de faire Polytechnique, je cherchais l’approbation des autres. Maxime m’a appris à avoir confiance en mon jugement, à trouver mes propres réponses. En fait, il m’aide à être fidèle à moi-même. C’est dans ces moments-là qu’il me reconnaît le plus. Ça m’encourage à rester vraie, même si je me juge imparfaite. Avant, le work in progress, je le gardais pour moi. Plus maintenant, il m’a fait découvrir que le croquis peut souvent être plus beau que l’oeuvre finale. C’est très libérateur!»

Un corps de jeune fille

«C’est fou mais au début, quand je faisais des essayages en France, je m’excusais souvent d’avoir les jambes musclées, de ne pas correspondre au modèle de l’actrice française toute menue. Dans ma famille, on est tous musclés, c’est génétique. Puis, à un moment donné, on réalise qu’on est comme on est. Ne peut pas être Charlotte Gainsbourg qui veut – et de toute façon, y en a déjà une! (rires) Qu’on soit actrice ou pas, on a du mal à s’accepter telle qu’on est. Prenez Monica Bellucci, j’ai appris que, dans son dernier film, elle mise sur les parties les plus belles de son corps, mais qu’elle montre moins les autres… Pourtant, c’est si beau un corps de femme! Il faut être fière de ce qu’on est!

«Cela dit, à 27 ans, je n’ai pas encore fait la paix avec mon corps. Il y a des jours où j’ai l’impression de ne pas valoir grand-chose. Même si ça m’arrive de moins en moins fréquemment, je sais que cette perception négative est un moyen de défense. Aujourd’hui, j’y vois le signe que je ne m’attaque pas au véritable problème, que mes insatisfactions proviennent d’ailleurs.

«Avant, je n’ »habitais » que les parties préférées de mon corps… [Elle montre sa tête, son cou et ses épaules.] Mes pieds ne comptaient pas; je les trouvais trop laids. Mais je sens que je prends de plus en plus possession de chaque partie de mon corps. Mes hanches peuvent parler autant que mes yeux par moments. Aujourd’hui, je prends des leçons de piano et je sens l’énergie circuler jusque dans mes mains. C’est génial!»

Moi, nunuche? Jamais!

«Quand je regarde les Québécoises autour de moi, surtout celles dans la vingtaine, je me dis que, comme moi, elles se cherchent encore, côté féminité. C’est moins manifeste en France. Je ne dis pas que les Parisiennes l’ont plus que nous! Pas du tout. Elles vivent simplement dans une autre réalité. Le style n’est pas qu’une question de goût, mais de culture. Même si les Québécoises voyagent plus et qu’elles suivent les tendances, elles ont une vision pratique de la mode. As-tu vu les nids-de- poule et les hivers qu’on a? On ne peut pas porter n’importe quoi. Mais il y a aussi autre chose: on veut tellement montrer qu’on a du caractère, qu’on n’est pas nunuches ou superficielles! Le hic, c’est qu’on perd une certaine douceur en s’éloignant de notre féminité. Ça peut être agréable de se laisser aller à un peu de coquetterie: une jolie robe, une écharpe vaporeuse, des petits détails… Je ne dis pas qu’il faudrait se définir entièrement par ça, mais on pourrait se permettre parfois d’exprimer cette facette plus tendre de nous-mêmes. Depuis mon séjour à Paris pour le tournage de Switch, je ne porte que des robes. Je n’ai pas enfilé de jean depuis six mois. J’ai envie de m’habiller de manière plus féminine, de me sentir belle, légère… et de voir où ça m’amène dans ma façon de communiquer.»

Un lieu à soi

«J’adore voyager! Je suis partie à l’étranger très souvent, jeune et seule en plus. J’ai fait un programme intensif d’études internationales en Grèce. C’était un vrai exil! Puis, je suis allée au Japon, à Taiwan, avant de repartir six mois à New York, pour y étudier l’anglais, encore par mes propres moyens. C’est là que j’ai fait la connaissance d’un couple qui m’a appris l’importance d’avoir une maison, en dehors de la famille et du travail. Un lieu à soi qu’il ne faut pas trop attendre de créer, où on n’a pas à protéger son image, où on peut être soi-même. J’ai aimé cette idée! J’ai alors compris que c’était bien de partir, de voyager, mais aussi de revenir dans son nid, la tête pleine de bons souvenirs. Il y a trois ans, j’ai fait une autre découverte sur moi-même. J’ai toujours été très solitaire – ça vient du décalage que je ressentais entre moi et les jeunes de mon âge. Et j’en étais venue à croire qu’il fallait tracer sa voie toute seule. Puis, en travaillant sur Polytechnique (je sais, j’en parle beaucoup!), avec le réalisateur Denis Villeneuve et la coproductrice Nathalie Brigitte Bustos – avec qui j’ai fondé la boîte de production Productrices Associées -, j’ai appris qu’on peut exprimer ce qu’on a à dire avec de bons partenaires. Ç’a été quelque chose de très émouvant pour moi.»

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