«Il y a peu de choses qui m’importent vraiment dans la vie: mon corps, mon appart, mon char, ma famille, mon église, mes chums, mes blondes, ma porno…»

Le film Don Jon débute par cette réplique, qui résume on ne peut mieux la personnalité du serial dater incarné par Joseph Gordon-Levitt. Corps musclé et cheveux gominés, Jon est le genre de spécimen qu’on pourrait apercevoir dans la téléréalité Jersey Shore.

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Ce donjuan des temps modernes passe ses soirées dans les bars à attribuer des notes aux filles et à séduire celles qui ont une plastique assez bonne pour décrocher un «10». Sauf que les nuits de sexe qui s’ensuivent ne lui apportent jamais autant de satisfaction que les vidéos pornos qu’il consomme à la chaîne.

Bref, ce personnage est à cent mille lieues de celui qui nous a fait découvrir Joseph Gordon-Levitt en 2009 dans (500) Days of Summer: un jeune homme se languissant d’amour pour sa collègue de travail. À un détail près: Jon finit lui aussi par tomber amoureux d’une femme de rêve qui, plutôt que d’avoir les traits de Zooey Deschanel, revêt ceux de Scarlett Johansson. Belle et blonde, Barbara mérite amplement son «10»: elle est parfaite selon les critères de Jon. Mais c’est aussi une vraie princesse qui rêve d’un chum parfait et d’une histoire d’amour tout aussi parfaite. Sa porno à elle? Les comédies romantiques…

Premier long métrage imaginé, écrit et réalisé par Joseph Gordon-Levitt, Don Jon risque fort de faire grimper la cote de cet acteur de 32 ans, déjà dans la mire des bonzes de Hollywood.

Le cinéaste Christopher Nolan a eu recours à ses services pour Inception et The Dark Knight Rises, puis Steven Spielberg pour Lincoln, et même Quentin Tarantino lui a proposé un rôle dans Django Unchained… Une offre alléchante que le principal intéressé a toutefois déclinée pour risquer le pari fou de réaliser son propre film.

On pourrait très bien imaginer Joseph faire un Don Jon de lui-même et enchaîner les succès pour mieux se mirer dans le regard de ses admiratrices (qui, on n’en doute pas, sont nombreuses)… Mais ce serait mal connaître l’acteur.

Dans un milieu où les égos ont tendance à être démesurés, il fait preuve d’une rare humilité et d’une profondeur étonnante, d’autant plus qu’il a goûté très tôt à la célébrité.

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Né à Los Angeles, Joseph a cumulé, dès l’âge de six ans, les rôles à la télévision, dans des publicités et des fictions (entre autres dans la série Roseanne); puis, à l’adolescence, il est devenu la vedette de la populaire série 3rd Rock from the Sun. Alors que sa carrière s’annonçait prometteuse, il a tout plaqué pour aller étudier la littérature (et la poésie française!) à l’université Columbia, à New York.

Encore aujourd’hui, il n’hésite pas à s’investir dans les projets qui lui tiennent à coeur plutôt que dans ceux qui pourraient lui apporter de la notoriété. C’est notamment ce qu’il a fait en 2011 en prenant part au film indie 50/50, une comédie douce-amère portant sur le cancer et l’amitié masculine, qui lui a valu une nomination aux Golden Globes.

Cet homme-orchestre consacre également beaucoup de temps et d’énergie à hitRECord, une boîte de production basée sur le principe du crowdsourcing, qu’il a lui-même fondée en 2005. Cette communauté en ligne permet à des artistes de partout dans le monde de mettre en commun leurs créations et de concevoir de nouvelles oeuvres à partir de celles des autres, que ce soit des livres, des courts métrages, des albums de musique…

D’ailleurs, hitRECord produit présentement une émission de variétés qui sera diffusée dès janvier sur la nouvelle chaîne américaine Pivot. Il faut voir Regular Joe – comme Joseph se surnomme – animer cette communauté virtuelle, par l’entremise de capsules vidéos dans lesquelles il invite auteurs, acteurs, musiciens, illustrateurs, danseurs, vidéastes, photographes à prendre part à ce projet ambitieux. On se met soudain à croire, nous aussi, que ce genre d’initiative 100 % démocratique remplacera un jour le star-système, que l’acteur n’a pas peur de critiquer…

«Allo, allo!» me lance justement Joe, des bureaux de hitRECord, à Los Angeles, où je l’ai joint par téléphone. Aucunement prétentieux, il s’avère aussi charmant qu’on l’imagine, n’hésitant pas à me parler en français (voir les passages en italique), lui qui est un vrai francophile… ce qui, du coup, le rend encore plus sympathique!

 

Quelle est l’origine de votre passion pour le français?

Le cinéma français et surtout, bien sûr, les actrices françaises! Il y a une grande tradition cinématographique en France, avec les frères Lumière et la Nouvelle Vague.

Quand j’avais plus de temps libre, je regardais beaucoup de films français. Et j’essayais d’apprendre la langue… J’ai aussi voyagé en France. Ce serait un de mes souhaits de pouvoir y vivre un jour. Peut-être que je pourrais aussi visiter le Québec et Montréal! Je n’y suis jamais allé… Mais je veux y aller! (rires) J’ai entendu dire que c’est une ville très belle!

Don Jon est votre premier long métrage en tant que réalisateur. Qu’est-ce qui vous a donné envie de passer derrière la caméra?

Il y a tellement de choses qui m’intéressent dans la production d’un film! Tout ce qu’on peut exprimer avec la caméra, la musique, le montage… Lorsqu’on est acteur, on ne touche pas vraiment à ces aspects-là. Ce qui est bien aussi… j’adore être un acteur et me concentrer uniquement sur mon jeu. Mais j’avais une idée précise pour Don Jon et je voulais vraiment avoir le contrôle sur celle-ci. J’ai donc décidé de réaliser le film.

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Apparemment, c’est une idée que vous aviez en tête depuis un moment déjà… J’ai trouvé des notes de ce projet datant de 2008… C’était il y a longtemps! Au départ, j’avais l’idée d’une histoire entre un homme qui consomme trop de pornographie et une femme qui regarde trop de films romantiques.

Je voulais que le personnage masculin soit une interprétation moderne de Don Juan, mais je ne savais pas comment exactement… En 2010, pendant le tournage du film 50/50, avec Seth Rogen, j’ai eu une idée plus claire de ce personnage et j’ai découvert que je voulais aussi faire une comédie! Je trouve que, souvent, la meilleure façon de dire quelque chose, c’est avec de l’humour.

Pourquoi avoir choisi de travailler avec Scarlett Johansson et Julianne Moore?

Dès que j’ai commencé à imaginer le personnage de Barbara, j’ai eu Scarlett en tête. D’abord, parce que c’est une excellente actrice. Mais aussi, parce qu’elle est magnifique… Jon ne voit en Barbara qu’une jolie fille. Et c’est quelque chose qui arrive souvent à Scarlett: c’est une femme intelligente et une artiste talentueuse, mais les gens s’arrêtent à son apparence.

J’ai pensé qu’elle aimerait sans doute rire de cette réalité en jouant ce personnage. Et elle a tapé dans le mille! Elle a vraiment fait du bon travail. Ses fans vont l’adorer dans ce rôle, et les autres seront surpris de la voir sous un tout autre jour.

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Quant à Juli [Julianne Moore], c’est une des plus grandes actrices d’aujourd’hui! J’ai été tellement honoré qu’elle accepte de lire mon scénario. Lorsque son agent lui a parlé du projet, elle lui a d’abord répondu que ça ne l’intéressait pas de jouer dans un film sur la porno…

Puis, elle a lu le script et elle s’est dit que c’était davantage une histoire sur l’intimité, sur les relations entre les hommes et les femmes, que sur la porno. Lorsqu’elle m’a raconté cette anecdote, j’ai été très touché, parce que je l’admire beaucoup comme artiste… Je pense vraiment que le film ne serait jamais aussi bon sans Scarlett et Juli!

D’où vous est venue cette idée de faire un parallèle entre les comédies romantiques que regardent les filles et la pornographie que consomment les gars?

J’ai grandi en travaillant pour la télévision et le cinéma. J’ai toujours prêté beaucoup d’attention à la manière dont les médias influencent notre vision des choses. Parfois, je trouve ça très triste; d’autres fois, plutôt drôle. J’ai pensé que les comédies romantiques et la pornographie feraient deux bons exemples pour illustrer cette tendance que nous avons à «objectiver» les autres.

Don Jon est un gars qui traite tout le monde comme un objet. À commencer par les filles qu’il regarde sur les sites pornographiques. Il observe sur un écran un autre être humain qui ne peut même pas le voir et avec lequel il ne peut pas interagir.

C’est une relation à sens unique, tout comme celle qu’il entretient avec les femmes qu’il drague, sa famille ou ses amis. Il n’entre jamais vraiment en relation avec les autres; il passe plutôt son temps à vérifier si ceux-ci correspondent aux critères qu’il a établis. Et ces critères lui viennent entre autres des médias.

Vous croyez que les comédies romantiques qu’on regarde influencent notre vision du monde?

Oui. Les films romantiques, mais aussi les publicités, les tapis rouges… Les réalisateurs n’en ont pas nécessairement conscience, mais les images qu’ils créent ont un impact, elles nous enseignent une certaine façon de vivre. Surtout pour ce qui est des enfants et des jeunes… Elles leur apprennent un vocabulaire qui leur permet de donner du sens au monde qui les entoure.

On a tendance à croire qu’il ne s’agit que de divertissement, que ça ne compte pas, mais ça compte! Surtout si on en consomme beaucoup. Lorsqu’on regarde la télé tous les jours, on voit sans cesse les mêmes images, on entend les mêmes propos, et ça finit par changer notre manière de considérer la vie.

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C’est pourquoi je prends soin de choisir les émissions et les films que je regarde, la musique que j’écoute, les nouvelles que je lis… Je ne dis pas que je ne consomme que du grand art! Ce que j’aime n’est pas toujours très vertueux, mais j’essaie au moins d’en être conscient. Et il y a certaines choses que j’évite de me mettre dans la tête parce qu’elles me semblent empoisonnées.

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Don Jon est une anticomédie romantique, tout comme (500) Days of Summer… Accepteriez-vous de jouer dans une vraie comédie romantique?

Peut-être dans certaines d’entre elles… J’aime celles qui ont quelque chose d’unique. Pas celles qui sont formatées. Quoique ce n’est pas tout à fait vrai… Certaines comédies romantiques suivent une recette et sont géniales! Tout dépend de la façon dont elles sont réalisées.

Vous avez étudié la poésie française… J’ai du mal à croire que vous n’êtes pas du tout romantique! Alors, l’êtes-vous un peu? À moins que vous soyez plutôt du type donjuan?

Je suis romantique… Le genre à acheter les illusions qui sont vendues dans les comédies romantiques! En fait, tout dépend de ce qu’on entend par romantique.

Pour certaines personnes, la romance équivaut à une princesse dans les bras d’un chevalier blanc avec un coucher de soleil en arrière-plan… Je préfère les poèmes français ou les films tristes et sombres. Je trouve que Paris est une ville très romantique, justement parce qu’elle est plutôt mélancolique… C’est l’endroit parfait pour errer seul! (rires)

Vous avez connu le succès très jeune… Pourtant, vous donnez l’impression d’accorder plus d’importance au fait d’être un artiste que d’être une vedette. Quel est votre rapport à la célébrité?

Eh bien… (soupir) C’est bizarre parce qu’au cours des dernières décennies on en est venus à confondre les concepts d’artiste et de célébrité. Au point où, désormais, les gens croient que le but d’un artiste est de devenir célèbre. Ce n’est pas mon objectif, ni celui de la plupart des artistes que je connais.

En même temps, j’ai envie de toucher les gens… j’ai fait un film pour qu’on le regarde! Comme je le disais plus tôt, je crois que les films, la musique et les lectures donnent du sens à nos vies. Quand quelqu’un vient me voir pour me dire qu’il a vu Inception et que ça lui a fait penser à un de ses propres rêves, ou que Looper lui a permis de réfléchir sur les choix qu’il a faits dans sa vie, je trouve ça très gratifiant.

Mais quand quelqu’un me dit: «Tu es célèbre, est-ce que je peux prendre une photo de toi?» je me sens alors traité comme un objet plutôt que comme une personne. Au fond, c’est ce dont il est question dans Don Jon

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