Anne Dorval frôle l’extase. C’est qu’elle est transportée par «la beauté sans nom» des œuvres du photographe allemand Martin Streit, qu’elle me fait découvrir sur son iPhone… Puis, dans un même souffle, elle m’avoue combien elle aimerait ressembler à Olive, la dulcinée de Popeye. «J’aimerais ça être effilée et longiligne, comme elle! Ou comme Nicole Kidman. Être une espèce d’écharpe qui flotte gracieusement sur une longue tige… Ben non, je suis une petite, qui regarde les gens par en dessous!» lance-t-elle en se lovant dans la banquette du bistro dont elle connaît le menu par cœur. Mèches vagabondes et visage nu, en jean noir et pull bleu cobalt, elle répand de subtils effluves épicés de Tea for Two, de l’Artisan Parfumeur. «Quand j’ai su qu’on retirerait ce parfum du marché, j’ai acheté tout le stock!» Divertissante et d’une exquise gentillesse en entrevue, elle est pourtant loin du personnage excessif qu’on lui prête spontanément. Immense actrice, on la sait capable de tout. Tant d’incarner une Hermione démoniaque sur scène, d’imploser de douleur dans Mommy que de se résoudre à vivre grâce au cœur d’un autre dans Réparer les vivants. Aussi, après avoir campé les Criquette et Ashley Rockwell dans Le cœur a ses raisons (TVA) et la Sandrine Maxou des Bobos (Télé-Québec), elle renoue avec la comédie en se joignant de nouveau à l’équipe du Bye Bye (ICI Radio-Canada Télé). Plus tard cette année, elle sera à l’affiche dans 14 jours, 12 nuits, un film intimiste réalisé par Jean-Philippe Duval (Dédé, à travers les brumes, Chasse-galerie: La légende et Unité 9). De quoi faire notre bonheur! Mais pour l’heure, elle s’abandonne aux questions, entre deux bouchées de salade de roquette et d’une frite mayonnaise qu’on a partagée, sans voir le temps filer… 

Comment vous sentez-vous à l’approche du show télé le plus attendu de l’année?

Je suis excitée, apeurée! J’ai reçu les textes, mais l’actualité peut tout changer! Tu peux apprendre la veille qui tu vas imiter. L’an passé, je ne me doutais absolument pas que j’allais camper Melania Trump! Le sketch sur Hillary Clinton était déjà écrit, car per-son-ne ne croyait que Trump allait l’emporter. Quand je pense qu’il a été élu le jour de mon anniversaire, le 8 novembre! Ç’a été un choc. J’étais découragée…

Vous allez retrouver la joyeuse bande de l’an dernier…

J’admire tellement cette gang-là! Marc Labrèche, Pierre Brassard, Véronique Claveau, Patrice L’Ecuyer! Quand on essaie de se faire rire les uns les autres, c’est irrésistible! On oublie que c’est du travail…

C’est comment de refaire de la comédie avec Marc Labrèche?

Sa présence me rassure beaucoup. On est tellement habitués à travailler ensemble. Pour moi, Marc est une porte d’entrée vers la liberté! On se donne tous les droits et on ne se juge pas, jamais, jamais. 

Vous semblez partager le même goût de l’absurde…

On a besoin du rire pour se sortir de quelque chose d’inconscient. Sinon on va mourir, la vie est trop dure! (Dit-elle, mi-figue, mi-raisin.)

Qu’avez-vous au programme, le 31, avant le décompte?

L’an dernier, j’ai organisé un gros party chez moi pour qu’on ne soit pas obligés de regarder le Bye Bye! Je n’avais pas envie d’en entendre parler le soir même. Je l’ai visionné trois jours plus tard, toute seule, sur mon iPhone. Je voulais voir les plus petites images possible! J’haïiiis ça, me regarder.

C’est fou comme vous semblez porter un regard sévère sur votre travail…

C’est pas ça… On a un regard plus superficiel quand il s’agit de soi, car on veut correspondre à un idéal de beauté. On essaie de s’en approcher, on n’y arrive pas… Mais bon, la beauté est ailleurs… Tu sais, quand je regarde des photos de moi plus jeune, je ne comprends
pas pourquoi je m’autoflagellais. Que de temps perdu! Aujourd’hui, j’ai un peu moins tendance à le faire. Je ne veux pas gâcher le temps qu’il me reste à vivre. Même si mon temps est un peu passé…

Anne Dorval: l'inimitable

  Photographe: Leda & St.Jacques

Que voulez-vous dire?

J’ai 57 ans. C’est dur. Il nous reste toujours un peu de beauté, seulement le regard des autres ne se tourne pas vers nous. Ou bien, c’est celui, concupiscent, d’un homme beaucoup plus vieux. À 75 ans, il pense se taper une petite jeune de 50 ans! Imagines-tu l’inverse? On va la traiter de vieille cochonne! C’est ça, le drame de la femme vieillissante…

C’est incroyable ce que vous dites, car vous avez l’air tellement jeune!

Je change, voyons! Mais je n’ai pas encore appris à être adulte. Je suis restée bébé, j’aime changer de peau, dire des absurdités… Et le métier d’artiste me donne la chance de m’amuser, de créer, de décoller de la réalité…

Xavier Dolan, le réalisateur et l’ami, occupe une grande place dans votre vie. Qu’est-ce qui vous lie?

Une sensibilité commune, je pense. Il y a aussi le temps qui a passé, notre histoire… Je l’ai connu quand il avait 15 ans. Je l’ai vu devenir un homme. Il m’a vue devenir une madame, une vieille affaire. D’ailleurs, il me fait toujours des blagues en prédisant de quoi j’aurai l’air à 70 ans, quel CHSLD je vais choisir… J’ai envie de le fesser! (grand éclat de rire)

L’amitié pour vous, c’est à la vie à la mort?

J’ai des principes en amitié, à tort ou à raison. Je suis droite, je défends [l’autre lorsqu’on l’attaque]. Quand des gens font de la peine à un ami, je me braque. Je suis d’une loyauté un peu maladive.

C’est vrai que vous ne revoyez jamais vos films?

Jamais. Je déteste ça!

Que raconte le film 14 jours, 12 nuits, que vous tournerez bientôt au Vietnam?

C’est l’histoire d’une femme, Isabelle, qui a perdu sa fille adoptive dans un accident de voiture et qui part au Vietnam pour revenir sur ses origines. Elle se lie d’amitié avec la mère biologique de sa fille à qui elle va mentir sur sa véritable identité. Le scénario de Marie Vien (La passion d’Augustine, de Léa Pool) est magnifique, et la fin est très belle. Le personnage d’Isabelle me donne envie de me dévoiler à travers elle.

Êtes-vous une grande amoureuse?

Pas du tout! Je suis une nomade de l’amour. Je suis incapable de m’installer quelque part. Y’a trop de grands vents, de tempêtes… Ça finit toujours par être trop souffrant pour moi… Ça me détruit. Je ne veux plus que ça m’arrive. Jamais, jamais, jamais! Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de petites incartades, mais dès que ça pourrait ressembler à de l’amour, je pars en courant!

C’est votre façon de vous protéger? Quand avez-vous décrété que l’amour, ce n’était pas pour vous?

Il y a une dizaine d’années, j’ai compris que la douleur que je ressentais se présentait toujours de la même façon: soit j’étais malade d’ennui, soit j’étais dévorée par la passion. Je suis comme une alcoolique qui a cessé de se mentir à elle-même… (rires)

Vous parlez de l’amour comme s’il s’agissait d’une drogue dure…

Ben oui, parce que, dans mon cas, ça l’est. C’est nocif pour moi. L’amour est un sentiment puissant, formidable, quand tu le vis avec la bonne personne. C’est aussi une question de timing, de chance… Je n’attends plus ça. Je préfère garrocher mon amour sur mes enfants, mes grands amis et mon travail. Je suis plus en paix avec moi-même de cette façon.

Vous n’avez jamais caché votre peur panique de la mort. S’est-elle apaisée avec les années?

Non, pas encore. Je déteste les adieux. Je sais que ça va être pénible. Mais en même temps, je ne voudrais pas être éternelle. Je trouverais ça plate. Une fois que tu as réalisé tes rêves, qu’est-ce qu’il te reste? Non, non, c’est l’fun d’avoir un p’tit deadline. De se dire: «Je vais en faire le plus possible avant de mourir.»