C’était en 2001, juste avant la sortie du film 15 février 1839. Notre chroniqueur de cinéma Georges Privet avait réussi à voir quelques bouts du long métrage et en était sorti ému par une scène d’amour. Une seule scène, mais qui lui avait donné envie de parler d’un autre Falardeau. Un Falardeau qui n’était pas seulement capable de provocation, mais aussi de tendresse.

On connaissait le Pierre Falardeau qui ne se séparait jamais de sa «gang de gars», mais on connaissait moins celui qui s’entourait toujours de femmes. D’où une rencontre autour de ce thème, les femmes.

Le cinéaste a failli annuler cette entrevue. Trop intimidant. Il ne l’a pas fait. Ce texte est ainsi né de sa générosité. Nous le republions aujourd’hui parce qu’au-delà des réactions très polarisées que l’homme suscite encore après sa mort, survenue le 25 septembre, cette rencontre est un émouvant moment de vérité. Nous sommes fières d’avoir connu cette facette-là de Falardeau. L’équipe de ELLE Québec

LE BON, LA BRUTE ET L’ÉMOUVANT

TEXTE: GEORGES PRIVET

Mais que fait donc ce réalisateur de «films d’hommes», à la testostérone de guérillero, dans les pages d’un magazine féminin? La question était si évidente que Falardeau nous l’a lui-même posée en riant lorsqu’on lui a soumis l’idée de cette rencontre. Une rencontre née de la découverte, avec 15 février 1839, son film bouleversant sur la pendaison des Patriotes, d’une nouvelle facette de son talent: bien que toujours épris d’histoires de combat et de huis clos, qui ont fait sa réputation du Party à Octobre, Falardeau est enfin capable de filmer une grande histoire d’amour et un «véritable» couple (De Lorimier et son épouse, superbement interprétés par Luc Picard et Sylvie Drapeau). Bref, l’homme nous donnait envie de savoir ce qu’il pense vraiment des femmes.

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Erreur sur la personne

Pierre Falardeau a toutefois beaucoup hésité avant d’accepter cette rencontre. D’abord par principe, parce qu’il se méfie de tout ce qui pourrait toucher à sa vie privée, mais aussi par pudeur et par timidité. «Je trouve ça ben tough de parler de ces choses là», dit-il en posant sur la table de son salon un café fort, un paquet de cigarettes et une bouteille d’alcool. «J’ai eu peur toute la semaine et j’ai failli te rappeler quatre fois pour tout annuler. Je me sens comme Preston Manning en train de se faire un toupet sur le devant», dit il en riant. De fait, on devine que Falardeau est un peu comme Brassens, pour qui «parler de son cœur ou de son cul, c’est pareil». Pudique, l’homme n’a fini par accepter de nous recevoir que parce qu’il est visiblement agacé — même s’il feint parfois de ne pas l’être — par l’image que les médias donnent de lui (et qu’il admet avoir contribué à créer). «Tu passes des années à donner des entrevues dont on garde 30 secondes et tu finis par avoir l’air d’une grande gueule qui chiale tout le temps.»

Il suffit pourtant de passer un peu de temps avec le cinéaste pour découvrir un homme qui n’a pas grand-chose à voir avec les clichés auxquels on l’associe: un «xénophobe» qui parle avec admiration de Mikis Theodorakis et de Frantz Fanon; un «anti-intellectuel» qui discourt longuement sur Camus et Orwell; un «fruste» qui s’émeut devant les dentelles de The Age of Innocence, de Martin Scorsese, et l’amour homosexuel de Lomer, de Richard Desjardins; un «macho» qui avoue timidement avoir pleuré en voyant E.T. et Kiss of the Spider Woman.

Le malentendu, car malentendu il y a, vient peut être de tout ce qu’on ne voit pas dans son cinéma, à commencer par les femmes, qui — d’Elvis Gratton à Octobre — sont soit «putes», soit «pitounes», soit carrément absentes. «C’est vrai, admet Falardeau, mais qu’est-ce que tu veux? Quand tu filmes un gars comme Elvis Gratton, faut ben que sa femme soit aussi tarte que lui! Quant aux filles du Party, je trouve que ce sont les plus beaux personnages du film. Pour moi, Lou Babin debout qui chante la liberté, c’est comme une peinture de Delacroix. Mais c’est vrai qu’il n’y a pas beaucoup de femmes dans mes films. C’est peut être parce que j’ai grandi entouré d’hommes et que j’ai toujours été plus à l’aise avec eux.»

Femmes en filigrane

Les femmes l’intimideraient elles? La réponse arrive avant même la fin de la question. «Oui, profondément. Je pense d’ailleurs que c’est Brel qui disait: «Un homme qui ne tremble pas devant une femme est un con. »» Et qu’ont-elles, les femmes, de si intimidant? «Ça, c’est la vraie question, répond Falardeau en riant. Je pense que ça a peut-être à voir avec la première fois où on va à une danse; tu vois une fille à l’autre bout de la salle; tu prends ton courage à deux mains et tu vas vers elle; tu lui demandes si elle veut danser avec toi, et elle te dit: «Non.» (rires) Là, t’as l’impression que les mille personnes dans la salle te voient, et t’es obligé de retourner à ta place avec ta bite sous le bras. (rires) Pour moi, ç’a été une expérience marquante: le rejet total!»

Derrière le rire, on sent toutefois le malaise d’un homme qui a toujours peur d’être mal compris par l’autre sexe. Comme la fois où il s’est engueulé avec une costumière qui l’accusait d’habiller l’épouse d’Elvis Gratton de façon à rire des femmes («Rire des femmes? lui a-t-il répondu. Mais as-tu vu le costume du gars?»). Ou comme celle où il a passé pour un frustré en filmant les détenus du Party en train de se masturber. («Là, j’ai senti comme un malaise parmi les filles de l’équipe.») «En fait, explique Sylvie Drapeau, les femmes ont souvent peur de travailler avec Pierre à cause de la réputation qu’on lui a faite. C’est pourtant un homme extrêmement sensible et délicat, plein de pudeur et de tact. C’est quelqu’un qui aborde l’humanité en parlant d’abord des hommes, mais je crois qu’il comprend aussi très bien les femmes. Peut-être même encore mieux qu’il le croit…»

Les femmes ont d’ailleurs jalonné le parcours de Falardeau au cinéma; Speak White, une des premières réalisations qu’il a signées avec Julien Poulin, s’inspirait d’un poème de Michèle Lalonde; Le steak, un de ses meilleurs films, a été coréalisé avec Manon Leriche, sa compagne de plus de 10 ans et la mère de ses trois enfants**; et presque tous ses longs métrages ont été produits par Bernadette Payeur, qui travaille avec lui depuis près de 20 ans. Reste que Falardeau a, qu’il le veuille ou non, une réputation de macho. Une réputation qu’il juge complètement injustifiée. «Je ne suis pas macho du tout! Je crois profondément en l’égalité des êtres humains. Je crois que les femmes ont le droit de tout faire, d’être tout. Il n’y a pas de raison que tu sois moins payé parce que t’es une femme. Pour moi, les femmes ont le droit de se battre, de se défendre, de frapper et d’être méchantes.»

De même, il nie être l’homophobe que certains ont voulu faire de lui. «Qu’une œuvre ait été réalisée par un hétérosexuel ou un homosexuel, je m’en câlisse! L’œuvre de Pasolini me jette sur le cul. Mais ça ne veut pas dire que je dois aimer toute la littérature homosexuelle. Un gars comme Pasolini n’a pas passé sa vie à raconter ses petits problèmes. Pour moi, un auteur doit s’occuper de l’entièreté de la vie humaine, pas juste de ses problèmes de queue ou d’ovaires.»

Ni macho ni mollasson
Si Falardeau se défend d’être macho, il ne risque toutefois pas de passer pour un homme rose. Il n’hésite d’ailleurs pas à fustiger «un certain féminisme dominant, qui a développé des affaires inhumaines». «C’est certain que je suis contre la violence faite aux femmes, mais si on n’est plus capable de montrer un cul à l’écran, ça devient absurde. Un des plus beaux tableaux qui existent, c’est L’origine du monde, de Courbet. Et c’est fantastique, parce que les féministes disent souvent: « On n’est pas juste des corps! » Puis là, t’as une fille dont on ne voit pas la tête. Et c’est pas une œuvre macho. C’est une œuvre magnifique.»

On devine que lorsque Falardeau évoque les femmes qu’il admire, il parle forcément de femmes de combat: Michèle Lalonde, Pauline Julien et Eugenia Ginzburg (dont les souvenirs des camps staliniens lui ont inspiré certaines images du Party). D’ailleurs, il aimerait bien tourner un jour une histoire de révolte au féminin. «J’avais un projet de film que je voulais faire sur une révolte dans un club de danseuses. Le bar était dirigé par des Hells, il y avait un viol et les filles finissaient par tuer leur boss. J’aimais l’idée d’un groupe de femmes qui se prennent en main, qui ne s’écrasent pas. Je ne sais pas si je le ferai un jour. Si je trouvais des actrices prêtes à jouer quelque chose comme ça…»

À 54 ans, a t il enfin l’impression de commencer à comprendre les femmes? «Toutes les blondes que t’as te montrent des affaires, t’apprennent quelque chose, explique le cinéaste. J’ai eu un grand amour quand j’avais autour de 20 ans, une fille fantastique. Mais à un moment, j’ai débarqué parce que c’était trop compliqué. Elle était mariée et elle me disait: « Je t’aime, mais j’aime aussi mon mari. » Elle était trop en vie pour moi.» Un ange passe, en même temps qu’un nuage de fumée de cigarette. «Avant d’être avec Manon, je m’étais toujours enfui, j’étais plus sauvage. Si je suis avec elle, c’est parce que c’est cool; elle m’a comme apprivoisé.» Est ce à dire qu’il est plus à l’aise avec la gent féminine qu’avant? «Pas du tout, dit-il en riant. J’ai encore l’impression d’avoir 17 ans et qu’il n’y a pas grand chose de changé. Je me sens toujours mal à l’aise, timide, tout croche. J’ai l’impression d’être à l’école, que la fille va dire « non » et que je vais être obligé de retraverser la salle devant mille personnes qui vont toutes se dire: « Regarde le con avec sa bite sous le bras! »» Et Falardeau d’éclater d’un grand rire adolescent…