Août 2013. Miley Cyrus surgit sur la scène des MTV Video Music Awards au beau milieu d’une bande d’oursons géants. Elle entonne We Can’t Stop, coiffée de lulus qui lui donnent un air de sauterelle ou de petit diable, c’est selon. Deux refrains plus tard, la voilà qui se caresse avec un gros doigt en styromousse, sort la langue comme une gamine mal élevée et se remue le derrière contre l’entrejambe de Robin Thicke qui chante Blurred Line. Sur la Twittosphère, cette chorégraphie, jugée indécente, provoque une déferlante de critiques à l’égard de Miley. Et ça ne fait que commencer.

Depuis, on a vu l’ancienne égérie de Disney se balancer à poil sur un boulet de démolition, fumer des joints en public, simuler une fellation sur un clone de Bill Clinton, poser seins nus à la une du magazine W et déclarer sans une once d’humilité vouloir devenir la plus grande star de sa génération. Rien ne semble impossible pour la jeune Américaine dont la fortune est aujourd’hui estimée à 150 millions de dollars. L’an dernier, elle est passée à un cheveu d’obtenir le titre de Personnalité de l’année du magazine Time, et son nom est celui qui a été le plus «googlé» aux États-Unis. Son dernier album, Bangerz, s’est hissé au sommet des palmarès dès sa sortie, en plus d’être salué par la critique: c’est ce qu’on appelle dans le monde de la musique un double exploit!

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Tandis que certains applaudissent l’artiste avant-gardiste, d’autres voient en la nouvelle reine du twerking le signe d’un retour à la femme-objet du milieu du siècle dernier. La métamorphose de l’adolescente modèle en chanteuse à la sexualité débridée choque. Plus encore, elle fascine. Comment cette mignonne petite fille s’est-elle subitement réincarnée en machine à provoquer?

 

L’ADN du succès

Il serait réducteur d’expliquer le succès de Miley uniquement par l’ampleur de ses frasques. Ne l’oublions pas, cette fille de Nashville née en 1992 a pour géniteur Billy Ray Cyrus, l’auteur du hit planétaire Achy Breaky Heart. La musique et la célébrité font partie de ses gènes. Elle n’a d’ailleurs que 12 ans au moment où l’écurie Disney (celle-là même qui a forgé le destin de Justin Timberlake, Ryan Gosling et Christina Aguilera) lui offre le rôle d’une écolière qui, telle une cendrillon des temps modernes, mène une vie de chanteuse le soir dans la série télévisée Hannah Montana. Durant son adolescence, Miley Cyrus multiplie les tournages, les séances d’enregistrement de disque et les spectacles à guichets fermés, ce qui lui permet d’accumuler plusieurs millions de dollars dans sa tirelire.

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Mais comme toute ado à l’aube de la crise, l’idole de milliers d’Américaines prépubères ne tarde pas à sentir le besoin d’affirmer sa propre voix. La starlette, bien conseillée par ses parents, sait aussi qu’elle ne pourra pas capitaliser éternellement sur son personnage dans Hannah Montana. En 2008, elle lance donc Breakout, un premier album solo, et cause l’émoi en posant dévêtue devant l’objectif de la photographe Annie Leibovitz, pour Vanity Fair. Devant la vive réaction de ses fans, l’adolescente «embarrassée » se confond en excuses dans les pages de People. L’année suivante, la pièce Party in the U.S.A., qui demeure encore à ce jour un des simples les plus vendus de tous les temps, propulse la chanteuse au zénith… à 16 ans. Déjà, l’industrie de la musique semble lui avoir livré tous ses secrets.

Un talent assumé

Le succès le confirme, la jeune chanteuse a du talent à revendre. Mais, comme le fait remarquer notre chroniqueur musical, Nicolas Tittley, Miley, à cette époque, ne parvient pas encore à briser son image d’adolescente modèle. «Sur ses premiers albums, on la sent manipulée, incapable de se débarrasser de son personnage. Même si certains morceaux comme Party in the U.S.A. invitent à la fête, ils évoquent plus les partys en pyjama que les nuits de débauche.»

Pour véritablement exorciser son passé de princesse Disney, il faut à Miley une transformation digne d’un coup de baguette magique. Aux grands maux les grands moyens. En 2012, la jeune femme dit adieu à sa longue crinière, se fait tatouer et adopte un look ultrasexy et trash. Dans le même élan, elle embauche le gérant de Britney Spears et s’entoure des bonzes de la pop actuelle, dont Mike WiLL Made It et Pharrell Williams, pour la réalisation de Bangerz. Cette brigade de collaborateurs inventifs et chevronnés va lui permettre de s’imposer dans les hauts rangs de la pop, avec une voix bien à elle. Et quelle voix! Il suffit de visionner une de ses interprétations à capella qui circulent sur le Web pour clouer le bec à ses plus fervents détracteurs. «En bonne petite fille issue de la royauté country, Miley possède un de ces jolis timbres nasillards et traînants propres à la musique qui a bercé son enfance. Elle a de plus embrassé le clinquant de Los Angeles. Elle est en quelque sorte le croisement improbable d’une country girl et d’une Valley girl. Ça lui confère une certaine originalité», explique Nicolas Tittley.

Elle partage aussi avec les artistes folk et western la propension à parler sans faux-semblant de ses expériences personnelles dans sa musique (notamment sa rupture avec l’acteur australien Liam Hemsworth). «Lorsqu’elle chante des banalités, comme sur We Can’t Stop, ce n’est pas une vision idéalisée de la vie nocturne hollywoodienne qu’elle propose, mais une page tirée de son journal intime», ajoute le journaliste. Son aura d’authenticité lui permet de se démarquer, dans un univers qui carbure au bling-bling et aux stars préfabriquées. Quand on y pense, Miley aurait pu simplement suivre les traces de son père et de sa célèbre marraine, Dolly Parton, en devenant, qui sait, la prochaine Carrie Underwood ou Taylor Swift, mais elle a choisi le chemin de la pop – et de la provoc, comme bien d’autres femmes avant elle.


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Un parfum de scandale

Depuis la nuit des temps, la controverse ouvre la voie à la célébrité. On n’a qu’à penser à Mae West qui, après avoir été bannie de Broadway pour avoir tenu sur scène des propos sulfureux, est devenue une des actrices les mieux payées de Hollywood durant l’entre-deux-guerres. Encore aujourd’hui, nulle ne devient la prochaine Madonna sans repousser les limites, et ça, Miley en est pleinement consciente. «Je sais ce que je fais. Je sais que je vous choque», avouait-elle dans le Rolling Stone en septembre dernier. «Quand on voit la Miley d’aujourd’hui, la petite fille sage qu’on a connue dans Hannah Montana nous revient sans cesse à l’esprit. Et le contraste entre les deux images est très fort. Miley doit briser ses chaînes et, nécessairement, ça fait beaucoup de bruit», affirme Luc Dupont, professeur de communication à l’Université d’Ottawa. Ce n’est pas un hasard si Miley a confié la réalisation de ses plus récents vidéoclips à Terry Richardson, réputé pour ses photos inspirées de la porno. L’alliance a été fructueuse. Le clip Wrecking Ball a été vu plus de 19 millions de fois en 24 heures sur YouTube (un record) et a suscité une foule de parodies, dont celle qu’Antoine Bertrand a présentée au dernier Bye-Bye.

Il ne se passe pas une semaine sans que la star, qui cumule 43 millions de «J’aime» sur Facebook et plus de 17 millions d’abonnés sur Twitter, déchaîne les passions sur les réseaux sociaux. «Il y a 30 ans, les communications des artistes étaient contrôlées par les maisons de disques. Aujourd’hui, elles sont surtout le fait des interactions entre les artistes et les fans», affirme Luc Dupont. Et pour Karim Aboulhamid, consultant pour l’agence de marketing Internet Adviso, le génie de Miley Cyrus, c’est justement de savoir générer autant de publicité par le bouche à oreille: «Avec les médias sociaux et le Web, les gens sont exposés à tellement de contenu qu’il faut quelque chose de choquant pour les atteindre, pour qu’ils cliquent.» La polémique, c’est du miel pour les blogueurs, un sujet sur lequel chacun doit se faire une opinion. Et le miel a souvent un goût d’indécence.

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Une cible facile

Exhiber sa poitrine, danser en string ou simuler la masturbation, comme Miley dans son vidéoclip Adore You, semblent devenus la norme chez les femmes dans l’industrie de la musique. Cela dit, si les attitudes pornographiques des vedettes de la pop engendrent un grand nombre de clics sur le Web, elles suscitent aussi l’indignation.

Nul doute que l’affirmation sexuelle des femmes leur a permis de s’émanciper et de se réapproprier leur corps. Plusieurs féministes déplorent cependant que l’impudeur des stars d’aujourd’hui réduise à nouveau le corps de la femme à un vulgaire instrument de séduction servant à mousser les ventes de disques. Et force est de constater que les médias ont fait de Miley le bouc émissaire du ras-le-bol de cet exhibitionnisme exacerbé.

Or, pas question pour Miley d’être seule à porter le chapeau. «Personne n’a parlé du gars qui se trouvait derrière moi. Les critiques ont dit: « Miley a fait un twerk à Robin Thicke », mais jamais: « Robin Thicke s’est frotté sur le derrière de Miley. » Bien sûr, il y a là deux poids, deux mesures», a-t-elle souligné après avoir été fustigée pour sa performance aux MTV Video Music Awards (VMA).

Miley refuse en outre le rôle de victime, contrairement à ce qu’a laissé entendre Sinéad O’Connor dans une lettre ouverte publiée dans The Guardian. Selon l’interprète de Nothing Compares 2 U, Miley ne serait qu’une marionnette de plus au service d’une industrie qui transforme ses gamins en objets de consommation jetables. Après Lindsay Lohan, Selena Gomez et Justin Bieber, Miley serait la prochaine enfant-star à la dérive…

«C’est très difficile pour les enfants-vedettes de faire le saut dans la vie adulte, fait remarquer Luc Dupont. Miley Cyrus et Justin Bieber sont tous les deux arrivés à cette étape: les tatouages et la drogue représentent leurs rites de passage. Les deux jeunes se ressemblent, à la différence non négligeable que les gestes de Miley ont l’air davantage calculés. On a l’impression que ses parents ne sont jamais bien loin. Justin, lui, semble perdre le contrôle de sa carrière.»

Pour le professeur de communication, l’ancienne starlette de Disney n’est pas une petite fille naïve et manipulable, prête à tout pour goûter à un instant de gloire. Au contraire, elle connaît fort bien les rouages de l’industrie de la musique. Elle sait également faire la différence entre la fille qu’elle est véritablement et ce double qui lui sert de personnage public. «Comme on a pu le voir à Saturday Night Live, quelques semaines après sa performance aux VMA, Miley est même capable de rire d’elle-même. Et dans la culture narcissique actuelle, être capable de rire de soi est devenu une qualité extraordinaire», ajoute le spécialiste de la culture médiatique. Insouciante, exubérante et provocante, la chanteuse à la langue bien pendue cultive les contradictions. Une chose est certaine, elle ne laisse personne indifférent.

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