Chemisier en dentelle blanche, short en jean délavé, panama posé négligemment sur sa longue chevelure… Au moment de notre rencontre dans un café végétarien, Caroline Dhavernas affiche un style boho chic en accord avec l’image de fille calme, réservée et confiante qu’on a d’elle. Son regard bleu glacier, doux et pénétrant, contraste avec son large sourire, qui dissimule mal un je-ne-sais-quoi d’inquiet, de furtivement fébrile. Lorsque j’y fais allusion, elle remet ses grosses lunettes noires Tom Ford et me confie d’emblée «vivre un quotidien traversé par de grandes émotions». Et pour cause: dans deux jours, l’actrice de 34 ans commencera le tournage de Hannibal, une série très attendue du réseau américain NBC dans laquelle elle tient le premier rôle féminin. Tiré de la tétralogie Hannibal Lecter, de Thomas Harris, dont l’adaptation la plus célèbre au cinéma reste The Silence of the Lambs, ce thriller contemporain raconte les débuts de la relation entre Hannibal Lecter, le brillant psychiatre cannibale, et Will Graham, profileur pour le FBI. Caroline Dhavernas y incarnera la Dre Alana Bloom, une professeure de psychologie de l’Université de Chicago et consultante en profilage criminel, aux côtés des stars Mads Mikkelsen, Hugh Dancy et Laurence Fishburne. «J’avoue que lorsque j’ai entendu parler de ce projet pour la première fois, je me suis demandé si ça valait encore la peine de raconter l’histoire de Hannibal Lecter, reconnaît Caroline. Mais comme me disait une amie: "Un monstre, c’est toujours fascinant." Surtout quand c’est un monstre brillant, cultivé et épris de beauté…»

Fait exceptionnel, Bryan Fuller, le créateur de la télésérie – et de
Wonderfalls, qui a lancé la carrière de Caroline aux États-Unis en 2004 -, a laissé à l’actrice québécoise l’entière liberté de choisir quelle héroïne, parmi les trois de la série, elle souhaitait interpréter. «J’ai tout de suite craqué pour la personnalité forte et groundée d’Alana Bloom. C’est une vraie femme, chaleureuse et naturelle, qui fera tout pour protéger son ami Will, mais jamais à son propre détriment. C’est tout ce que je sais d’elle pour le moment. Mais bon, cette aventure est un saut dans l’inconnu», ajoute-t-elle nerveusement. «Quand j’angoisse, je prends de grandes respirations et je me dis: "Ça va être correct." De toute façon, c’est toujours correct!» dit-elle pour se rassurer. Caroline a pourtant connu sa part de déconvenues à la télévision américaine ces dernières années: malgré des succès d’estime, les deux séries dans lesquelles elle a joué,
Wonderfalls et Off the Map, ont rapidement été retirées des ondes. Et, récemment, l’émission pilote
Over/Under, dans laquelle elle tenait le premier rôle, a été refusée par la USA Network.

Entre nous, l’actrice, qui a été malmenée par le sort, aurait toutes les raisons d’être préoccupée par l’accueil qu’on réservera à Hannibal, qui sera diffusé en 2013 au réseau américain NBC et sur CityTv, au Canada. Mais non. C’est plutôt l’idée de prendre sa place au sein d’une nouvelle équipe de tournage qui la terrorise. «Ça me rappelle mon arrivée à l’école anglaise en 2e année. J’ai mis un an à ouvrir la bouche. J’étais une panthère… à la fois fière et paniquée à l’idée qu’on rie de mes fautes d’anglais. Ça m’est resté. Si bien qu’au début d’un tournage, je perds tous mes repères. Heureusement, après quelques jours, ça va mieux!» Elle raconte que ses parents, les comédiens Sébastien Dhavernas et Michèle Deslauriers, l’ont poussée à faire du doublage dès l’âge de huit ans afin qu’elle surmonte sa timidité extrême. «Ils ont bien fait! J’ai tellement aimé ça… Mes parents ont tenté de me ralentir, mais ç’a été peine perdue: le doublage m’a donné la piqûre et m’a donné envie d’être une actrice!»

Un parcours palpitant

Cette enfant de la balle, qui débute à 12 ans dans des téléromans et des films québécois, mène depuis 14 ans une carrière pleine de rebondissements au Québec, au Canada et aux États- Unis. Étrangère au succès instantané, elle apprend son métier lentement mais sûrement.

À 22 ans, elle décide de s’installer à New York et participe ainsi à des productions indépendantes et à gros budget, notamment Lost and Delirious, de Léa Pool, et The Tulse Luper Suitcases, de Peter Greenaway. En 2004, le public américain la découvre dans Wonderfalls. Par la suite, Caroline fait des choix plus ou moins heureux au cinéma, avant de jouer avec Adrien Brody et Ben Affleck dans Hollywoodland, de Allen Coulter, en 2006, puis avec Laura Linney dans Breach, de Billy Ray, l’année suivante. Renouant avec le succès, elle obtient le premier rôle féminin dans Passchendaele, un drame de guerre canadien de Paul Gross, avant de jouer dans la comédie québécoise De père en flic, d’Émile Gaudreault, et la série The Pacific, produite entre autres par Steven Spielberg et Tom Hanks en 2010. En octobre dernier, elle fait un retour remarqué au cinéma québécois dans Mars et Avril, de Martin Villeneuve.

«Avant, je vivais à New York et je revenais à l’occasion à Montréal. Depuis quelques années, c’est l’inverse: j’ai une petite maison victorienne sur Le Plateau et je fais des sauts à New York, dans East Village, où j’ai un appartement grand comme une boîte à chaussures. Là-bas, tout gravite autour du travail», précise Caroline.

Avec son anglais sans accent, elle bluffe tous ses partenaires, dont l’hilarant Adrian Grenier, la star de la série américaine Entourage, à qui elle a donné la réplique dans Goodbye World, une comédie qui sortira en salle en 2013. Est-ce qu’il arrive qu’on la confonde avec les actrices québécoises Rachel Lefevre et Jessica Paré? «Non, car contrairement à moi, l’anglais est leur langue maternelle; et puis, elles vivent à L.A. depuis longtemps. Mais il arrive que nous auditionnions en même temps. D’ailleurs, j’ai joué avec Rachel dans Off the Map à Hawaï. Et on se voit chaque fois que je vais à L.A. Jessica? Elle est super sympa. Je l’ai croisée dans l’avion récemment, et nous avons échangé nos coordonnées. Par contre, on me confond souvent avec Karine Vanasse! Caroline Dhavernas, Karine Vanasse: ça sonne presque pareil. Le plus drôle, c’est qu’on m’a déjà félicitée pour mon rôle dans Pan Am!», dit-elle, amusée.

 

Québécoise avant tout

On pourrait croire que toutes les années que Caroline a vécues aux États-Unis et ses nombreux allers-retours Los Angeles-New York ont fait d’elle une Américaine. «Ah non, pas du tout!» répond-elle dans un cri du coeur. «C’est délicat pour moi de dire ça, mais je sens toujours un peu de décalage entre la culture américaine et moi. Ici, ce que j’aime, c’est notre ouverture d’esprit, notre sens de la nuance; aux États-Unis, les relations sont plus stéréotypées. Tout ça, ce sont des généralités, j’en conviens. Les relations amoureuses, par exemple. J’ai eu mes premières dates à New York, et ça s’est passé exactement comme dans les films: le gars m’a invitée à un musical à Broadway avant de m’emmener manger dans un resto chic, puis de me déposer dans un taxi, qu’il a insisté pour payer. À L.A., c’est encore plus caricatural, on date trois ou quatre personnes à la fois, on explore et on voit comment ça passe, jusqu’à ce qu’on décide de former un couple exclusif. Ce genre de relation, ce n’est pas pour moi! Ça manque d’authenticité! » déclare l’actrice, qui avoue être célibataire depuis trois ans et demi. «J’ai beau être ouverte, je ne clique sur personne! Je cherche un amoureux avec qui rigoler et partager un imaginaire commun. J’y pense tous les jours et j’ai hâte que ça m’arrive. J’ai vécu en couple toute ma vie. Mais après ma rupture, il fallait que je me retrouve seule, pour savoir qui je suis quand il n’y a pas d’homme à mes côtés. Mais là, je pense que je le sais!» dit-elle en riant.

Quelle serait la première chose que vous feriez avec celui qui vous ferait craquer? Hum, je ferais des projets artistiques, peut-être. On ferait l’amour! (rires)

Le premier soir? Je suivrais le flow, soit le premier soir ou après deux semaines, ça dépend… (sourire entendu)

Quel type d’homme vous plaît? Michael Fassbender, tiens. J’ai eu un p’tit kick aussi pour Gabriel Nadeau-Dubois, même s’il est trop jeune pour moi!

À propos de la crise étudiante du printemps 2012, elle ne craint pas de dire qu’elle a porté fièrement le carré rouge et qu’elle a participé à des manifs. Elle croit «en une société offrant une éducation gratuite ou presque». Engagée, Caroline a même joué dans des capsules vidéos pour inciter les jeunes à voter aux dernières élections au Québec.

De son propre aveu, sa (vraie) vie est ici. «J’aime voyager, mais il y a une partie de moi qui a peur du changement. Parce que, du changement, il y en a tout le temps dans ma vie! Ça me fait du bien de revenir à Montréal, de retrouver les gens que j’aime, de revoir ma maison, et sa vieille shed que je n’arrive pas à faire démolir.» Du même souffle, elle ajoute: «J’aime les trésors, les choses qui ont une histoire. Je suis une vraie ramasseuse! Je fais des collages avec des photos et des objets que je découvre dans la rue. C’est une manie à laquelle je n’ai pas souvent donné libre cours, tellement j’étais obsédée par le contrôle. Aujourd’hui, je m’accorde le droit d’être plus bordélique, de me laisser porter par mes envies. Ça me rend plus heureuse…», conclut-elle, avec un sourire qui me laisse croire qu’elle a tout pour jouer le rôle de sa vie: celui d’une femme sereine.

 

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