Résumé d’un vidéo visionné sur le Web récemment: Justin Bieber fait son entrée sur scène, il se met à chanter, et c’est l’hystérie quasi générale. Cris, pleurs, évanouissements… On a un sentiment de déjà-vu: il y a eu Elvis Presley, les Beatles, Shaun Cassidy, Donny Osmond, Michael Jackson, le duo Wham!, les New Kids on the Block, les Backstreet Boys, Justin Timberlake… Depuis deux ans, il y a «The Bieb», comme l’appellent les initiés. «Un jeune prodige», explique Line Grenier, sociologue spécialisée en musique populaire et professeure à l’Université de Montréal, «qu’on nous présente d’une façon tout à fait différente de Céline Dion à l’époque, ou encore de la chanteuse Nikki Yanofsky aujourd’hui. Mais un jeune prodige tout de même.»

Il est vrai que, contrairement à ses deux compatriotes canadiens, Justin Bieber s’adresse d’abord à un jeune public. Et que, disons-le, monsieur joue – et pas qu’un peu – la carte de la séduction. «Avec sa voix aigüe et son visage d’enfant, il semble presque asexué mais, en vérité, sa démarche est hypersexualisée », ajoute la sociologue.

Abordez le sujet avec votre nièce ou la fille de vos voisins. Il y a de fortes chances qu’elles sachent à peu près tout ce qu’il y a à savoir sur Justin Bieber. Il est originaire de Stratford, en Ontario. C’est le plus jeune artiste à occuper la tête du Billboard 200 américain depuis Stevie Wonder, en 1963. À ce jour, il a vendu plus de deux millions d’exemplaires de son album My World, lancé en novembre 2009, et plus d’un million d’exemplaires de My World 2.0., lancé en mars 2010. Il exécute avec brio le moonwalk de Michael Jackson. Il a chanté à deux reprises devant le président Barack Obama. Son chien s’appelle Sam. C’est un fan invétéré de Chuck Norris. Il ne jure que par le violet. Au cours de sa tournée, il s’arrêtera au Centre Bell le 22 novembre. Oh my God! Oh my God! Oh my God! Malheureusement pour celles qui ignoraient l’existence de Justin Bieber jusqu’à tout récemment, son spectacle affiche complet…

 

Justin Bieber en quelques bribes…

  • Justin Bieber publie ce mois-ci ses mémoires (excusez du peu!) intitulés First Step 2 Forever: My Story et jouera son propre rôle dans un film inspiré de sa vie.
  • Pour chaque billet vendu pour son spectacle, 1 $ sera remis à l’organisme Pencils of Promise, qui aide à la construction d’écoles et à l’amélioration de l’éducation dans les pays en voie de développement.
  • Bon prince, Justin pardonne au président Barack Obama qui, au cours d’une de ses prestations à la Maison-Blanche (il y a chanté deux fois), a mal prononcé son nom. «Le président n’appartient pas au groupe cible pour lequel je chante», a déclaré le jeune homme, magnanime, au magazine People.

Retour vers le futur

Nous sommes en 2007. Justin est un ado tout ce qu’il y a de plus ordinaire – si on exclut le fait qu’il joue de la guitare, du piano, de la trompette et de la batterie. Pattie Lynn Mallette, sa mère, fière des prouesses musicales de son fiston (on la comprend), décide de le filmer et d’afficher ses prestations sur YouTube. Très vite, elles attirent les curieux. Et notamment le gérant d’artistes Scooter Braun, qui entre aussitôt en contact avec le petit Bieber. Il le fait venir à Atlanta afin de le présenter à Usher qui, au terme d’un duel musclé avec Justin Timberlake, le prend sous son aile. Certains ont connu des débuts plus laborieux…

Depuis, la Bieber fever fait de nouvelles victimes aux quatre coins du globe. En avril dernier, en Australie, la police a fait annuler un concert du chanteur. Lors d’une bousculade, de jeunes admiratrices surexcitées ont été blessées et ont dû être hospitalisées. Puis, en Nouvelle-Zélande, le chanteur a dû ramener une foule à l’ordre à la suite d’une émeute au cours de laquelle sa mère aurait été agressée.

Avouez qu’on n’avait pas été témoin d’une telle fascination depuis belle lurette. Mais qu’est-ce qui peut bien expliquer ce phénomène?

Justin Bieber, joli minois

Même en admettant que le kid possède un certain talent, on peut se demander si sa popularité est réellement liée à la qualité de sa musique ou si elle s’explique surtout par son joli minois.

«C’est un phénomène qui a tout à voir avec la musique!» croit pour sa part Serge Lacasse, musicologue et professeur à l’Université Laval. «Justin a un son qui se distingue parce qu’il s’inspire de la tradition du R & B, mais en lui donnant une couleur bien à lui. Et afin d’y parvenir, il est entouré de la meilleure équipe d’arrangeurs, de compositeurs et de réalisateurs possible. C’est ainsi que se sont construits les grands hits de l’histoire de la musique populaire: à partir des genres musicaux afro-américains, qui ont été rendus plus accessibles à la masse, sont nés le blues, le jazz, le rock and roll, le hip-hop et le soul.»

Jody Rosen, critique au magazine de musique Rolling Stone, discerne elle aussi dans les ballades pop supra sucrées de Justin une nostalgie certaine. Et une qualité indiscutable. «Ses chansons semblent tout droit sorties d’un jukebox des années 1950 et ressemblent à s’y méprendre à celles que nos grands-pères écoutaient en admirant chastement leur première flamme. Ce n’est pas que de la musique ringarde pour ados; c’est de la musique ringarde pour ados absolument sublime. Les gens qui dénigrent Bieber passent à côté d’un excellent album pop», écrit-elle.

Même s’il évoque la douceur d’une époque révolue, le jeune homme s’inscrit dans l’air du temps. Selon Line Grenier, «ça a quelque chose de rafraîchissant pour le public de voir un artiste réussir sans être passé par le moule d’American Idol. Sans oublier qu’il n’est pas que chanteur; il est aussi auteur-compositeur-interprète, ce qui lui donne une certaine légitimité. Bref, on propose au public un artiste qui pourrait jouir d’une longue carrière et on tente d’établir une loyauté, notamment en jouant sur le sentiment de proximité.»

En effet, le chanteur demeure en contact avec son marché cible grâce aux réseaux sociaux, qui ont eu une incidence énorme sur sa célébrité. N’a-t-il pas été découvert sur You- Tube? Et ne gazouille-t-il pas quotidiennement sur Twitter, maintenant ainsi un lien étroit avec les inconditionnels qui le suivent sur la Toile? Oui et oui. Chiffres à l’appui: au moment de mettre sous presse, ses vidéos YouTube avaient été vus plus de 225 millions de fois, et il comptait 9,5 millions de fans sur Facebook et 4,5 millions d’abonnés sur Twitter.

Justin Bieber et les filles

C’est sans doute là que réside la plus grande force de Justin Bieber: il sait établir une communication intime avec ses fans. Selon Patty Adams, journaliste qui a déjà collaboré au magazine pour ados Seventeen, «il a l’habileté de faire sentir aux jeunes filles qu’il s’adresse directement à chacune d’elles, même si chacune est entourée de milliers d’autres qui, comme elle, hurlent en choeur». Ajoutez à ses textes un brin cucul la praline un déhanchement coquin et une mignonne envolée vocale jazzée, et c’est le délire assuré.

«Ça me rappelle un peu la vague Michel Louvain dans les années 1950-1960 au Québec, note Serge Lacasse. Ce genre d’hystérie, je vois ça comme une crise d’adolescence généralisée. C’est une façon pour les filles d’exprimer leur féminité à un âge où elles en ressentent le besoin.»

Et qu’en est-il de celles dont la crise d’adolescence est déjà loin derrière et qui sont sensibles au charme de Justin Bieber? Sont-elles en droit d’apprécier cet éphèbe sans passer pour des adulescentes finies ou des couguars un peu louches? «Personnellement, je ne serais pas étonnée d’apprendre que bien des adultes apprécient sa musique, convient Line Grenier. Avec ses mélodies qui évoquent le passé et son image proprette qui reçoit d’emblée l’approbation des parents d’aujourd’hui, il semble évident que son équipe tente de remporter des succès auprès de divers groupes d’âge.» N’est-il pas apparu sur les plateaux d’Oprah Winfrey et d’Ellen DeGeneres (pas précisément de jeunes poulettes)?

Il serait donc normal de craquer, puisque la stratégie de marketing élaborée autour de la star veut qu’il en soit ainsi. Et puis, qu’est-ce que ça peut bien faire si, attendrie devant son minois, on se laisse prendre à l’occasion par une envie maternelle et viscérale de lui pincer les joues et de lui offrir une collation nutritive?

Qui sait combien de mois s’écouleront avant que The Bieb cède sa place à un petit nouveau et entre dans les rangs des… vétérans? D’ici là, lorsque nous tomberons «par hasard» sur son hit Baby à la radio, accordons-nous la permission de le chanter à tue-tête. C’est ce que les jeunes, les «vrais», feraient.

 

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