Dans
Elles, de la réalisatrice polonaise Malgoska Szumowska, Juliette Binoche joue une journaliste pigiste du magazine
Elle qui, dans le cadre d’une enquête auprès de jeunes Parisiennes qui se prostituent pour payer leurs études, découvre les murs de sa prison dorée. Épouse négligée d’un riche homme d’affaires, mère impuissante de deux garçons qui l’ignorent, son personnage s’inscrit à première vue dans un registre un peu familier (
Caché, La vie d’une autre) tout en se situant aux antipodes de l’actrice franche et lucide croisée au festival de Berlin.

C’est la première fois que vous jouez une journaliste. À quoi ressemble votre rapport avec la presse en général?

«La presse m’a blessée, mais elle m’a aussi encensée. Au fil des ans, on s’habitue à ne pas prendre la critique de façon trop personnelle. Notre métier comporte des hauts et des bas. À ce sujet, l’échec des Amants du Pont-Neuf m’a appris à ne pas succomber à mes émotions et à garder mes distances.»

Comment avez-vous abordé ce rôle?

Je n’essaie jamais de trouver un sens, objectivement, aux personnages que j’interprète. Jouer, c’est incarner, ça passe par le corps. Cela dit, Malgoska et le directeur photo voulaient me filmer d’une façon différente, montrer un visage plus débraillé, cerné, etc. J’ai accepté. S’abandonner comme ça constitue un défi pour un acteur. En même temps, c’est libérateur.

 

Sur le plan moral, n’est-ce pas dangereux de montrer des jeunes filles vivant plutôt bien du commerce du sexe?

Le film ne suggère pas de prendre ce chemin. Il sert à faire reconnaître l’existence de ce phénomène et à susciter la réflexion. […] Lucie Aubrac [célèbre résistante française] m’avait dit qu’il est devenu difficile de distinguer le bien du mal, alors que durant la guerre, la frontière entre les deux était très nette. Tout s’embrouille aujourd’hui. Voilà ce que le film veut montrer.

 

Dans un passage assez osé, votre personnage se masturbe. Comment avez-vous préparé cette scène où vous devez «jouer» l’orgasme?

La réalisatrice m’avait donné des liens de sites Web afin que j’examine les mouvements et les expressions faciales. J’étais fascinée par les mimiques qui s’apparentent parfois à celles d’un bébé naissant, parfois à de l’agonie, avec le sang qui monte au visage, la course et la «physicalité» de l’exercice. Lorsque le moment de tourner la scène est venu, Malgoska voulait s’éclipser et me laisser faire mon truc à ma façon. Je lui ai, au contraire, demandé de rester près de moi et de m’accompagner à chaque étape. Je lui ai dit: «Tu l’as écrit, tu l’assumes», tout comme moi je devais l’assumer en tant qu’actrice.

 

Vous auriez eu la possibilité de travailler à plein temps aux États-Unis, mais y avez renoncé. Pourquoi?

L’Europe, c’est là d’où je viens, là où je suis. J’ai envie d’y rester et de travailler avec des cinéastes issus de tous les horizons. J’aime l’indépendance et, l’idée de créer mon propre univers. Ici, il y a plus de possibilités par rapport à ce que j’attends de mon métier.


À LIRE: Conversation avec Émilie Dequenne et Tahar Rahim