Il y a l’animatrice à la fantaisie irrésistible, la productrice visionnaire et la femme de conviction qui rassemble autant qu’elle divise. Il y a aussi l’amoureuse complice de tous les combats de son homme et la mère aux nuits trop courtes. Puis, il y a la femme à l’esprit virevoltant, au cœur gros comme ça et à l’énergie surhumaine. C’est ce que je me dis alors que je vais retrouver Julie Snyder dans sa loge aux Productions J. Toute menue, enroulée dans son pashmina noir et chaussée de gougounes, elle est à court de temps. Et pour cause: dans quelques jours, elle fêtera son 48e anniversaire, puis épousera avec éclat Pierre Karl Péladeau.

Volubile, dotée d’un esprit vif comme l’éclair, elle règle le sort du monde et mille et un trucs au téléphone, jongle avec les interruptions et s’extasie devant les cils de baby doll que son maquilleur vient de lui dessiner, sans jamais perdre le fil de la conversation, ni demander de reformuler une question. Ciel, comment fait-elle? Seule la démone le sait.

Aujourd’hui, l’animatrice de L’enfer,
 c’est nous autres (1992), du Poing J (1997) 
et du Banquier, pour ne nommer que
 quelques-uns de ses succès, donne 
l’impression d’avoir tout accompli, tout
 osé et tout réussi. Mais à quel prix? La 
reine des ondes a répondu franchement à cette question – que l’on se 
pose toutes à un moment dans notre 
vie -, avec une renversante lucidité.
 Bien sûr, la dernière année, ponctuée
 de rebondissements et d’un déchirant
 virage professionnel, y est pour
 quelque chose. Or, Julie Snyder ne s’en cache pas, au contraire. C’est précisément ce qui lui donne l’élan pour se réinventer. Et aller au-devant de la vie.

Julie, après 31 ans de métier à la télé, qu’est-ce qui te fait courir aujourd’hui?

En ce moment, je cours surtout pour essayer de m’arrêter! (rires) Mais à mes débuts, mon moteur, c’était la peur. Plus jeune, je voyais des animatrices talentueuses se faire «tasser» parce qu’on les trouvait trop vieilles. Cet âgisme m’a effrayée. J’ai voulu me protéger. Si bien qu’à 30 ans (en 1997), j’ai fondé mon entreprise, les Productions J. Je me suis dit: «Peu importe ce qui m’arrivera, j’aurai toujours du travail!» Si bien que j’ai été la première animatrice à devenir productrice.

Et ça t’a réussi. Dirais-tu que ton instinct en affaires t’a servi, lui aussi?

Oui, 9 fois sur 10! Pour une grande peine, j’ai eu neuf grandes histoires d’amour professionnelles. C’est une bonne moyenne! (rires) Des fois, j’oublie de me protéger et je fais confiance. Parfois trop. Mais, au travail comme en amour, il faut que tu fasses confiance aux autres, au risque d’être blessé. L’instinct n’a rien de scientifique. Jamais je n’ai pensé: «Voici mon plan (de carrière).» Je me suis laissée guider par mon instinct pour aller où je devais aller, même si c’était totalement insensé!

Tu as une énergie i-né-pui-sa-ble. Où puises-tu ta vitalité? Dans le tofu?

Être végétarienne, ça aide! Pourtant, depuis que j’ai des enfants (Thomas, 10 ans, et Romy, 6 ans), je ne dors plus! Avec les otites, les fièvres, les nuits d’attente à Sainte-Justine et les tournages qui finissent parfois au petit matin, il m’arrive parfois de me dire: «Tu ne dormiras pas aujourd’hui ni demain! » Or, la première chose qui me recentre, c’est de dormir, dormir, dormir! Il m’arrive de «crasher» pendant 24 heures. Et puis, des amis très chers en qui j’ai entièrement confiance me donnent l’énergie dont j’ai besoin pour continuer. J’ai aussi ma psychologue! (rires)

Tu as déjà déclaré: «Je n’ai pas peur du talent des autres.» Penses-tu encore cela aujourd’hui?

Additionner le talent des autres au mien, c’est la base de la réussite pour moi. Je dis souvent: «Je ne suis peut-être pas celle qui a le plus de talent, mais je sais reconnaître celui des autres!» Enfant, j’avais une petite-cousine qui excellait en équitation. Comme je l’admirais, je lui ai demandé de m’apprendre à mieux monter à cheval. J’ai passé mon examen de cavalier de niveau un avec une super bonne note. Très vite, j’ai compris que je n’avais pas à jalouser ma petite-cousine. Au contraire, j’avais la chance d’avoir à mes côtés une championne qui me permettait de m’améliorer. Depuis, je ne m’entoure que des meilleurs!

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Quel est ton plus grand bonheur professionnel?

En tant qu’animatrice, c’est L’été indien (en 2014), sans hésiter! Un talk-show franco-québécois qui attire deux millions de téléspectateurs chaque dimanche et qui est diffusé dans 180 pays, c’est une première! C’est mon life achievement en télé, et j’en suis très fière!

Étant donné ce succès, envisages-tu d’animer à nouveau un talk-show?

Maintenant que mes enfants ont grandi... (pause) peut-être. Je ne sais pas combien d’années j’ai devant moi pour le faire. J’ignore si les gens m’aimeront encore. Mais je dis «peut-être»…

Cette année est pleine de rebondissements: tu as abandonné la production télévisuelle et tu vas épouser Pierre Karl Péladeau (le 15 août), avant de reprendre l’animation du Banquier. As-tu le vertige?

Le vertige! C’est le mot qui définit le mieux ma vie en ce moment. Je serais la pire des menteuses si, après tous les bouleversements des derniers mois, je déclarais: «Je suis fière d’être une femme de tête, une femme forte qui triomphe de l’adversité!» Je pourrais tenir ce discours-là, mais ce serait de la bulls***! Quand on me qualifie de femme de tête, je suis d’accord, mais il ne faut pas que ce soit seulement la tête qui parle. Je veux être une femme de tête qui écoute aussi son coeur.

À 48 ans, quel regard portes-tu sur ton parcours professionnel?

Toute ma vie, j’ai voulu faire plaisir (aux autres). Enfant, j’ai performé à l’école pour plaire à ma mère. Après, j’ai tout donné pour que le public trouve mes émissions «le fun». Puis, quand j’ai rencontré Pierre Karl, son bonheur est devenu ma priorité. Par la suite, j’ai vécu pour Thomas, mon fils. Ensuite, je me suis lancée à fond dans Star Académie, puis dans Le banquier. Et la Terre s’est arrêtée de tourner quand j’ai eu Romy. J’ai aussi mené d’ardents combats pour l’allaitement et le programme de procréation assistée – j’ai eu recours à six fécondations in vitro et j’ai toujours dit aux femmes de ne pas lâcher, même si ça ne marche pas du premier coup! Et lorsque Pierre Karl est entré en politique, je suis devenue sa complice de tous les instants. Sans parler de tout le reste dans ma vie…

Julie-Snyder-Entrevue-ELLE-Quebe.jpgOù en es-tu maintenant?

Je crois qu’il est temps que je m’aime un petit peu. Et que je me place au haut de ma liste. Quitte à ce que je fasse des choses que le public, Pierre Karl et les enfants aimeront moins. Choisir, c’est renoncer. Je me demande à quoi je devrai renoncer au cours des prochaines années… Mais une chose est certaine: aujourd’hui, j’ai une grande soif de simplicité. J’aimerais pouvoir enfin passer un été à me baigner dans un lac, à faire la sieste, à prendre l’apéro avec mes amis… J’aimerais sentir, comme l’a écrit Cali dans sa chanson 1000 coeurs debout, «l’odeur délicieuse de la liberté».

Et l’ambition, dans tout ça?

En même temps, je suis super ambitieuse. Je ne suis pas gênée de le dire. Oui, j’aime ça, réussir. Non, je n’aime pas perdre. J’anime Le banquier et je veux que l’émission remporte du succès. Et je vais m’y donner à fond. Même si je sais que l’on ne peut pas tout faire ni tout avoir.

C’est pourtant ce que l’on dit souvent aux femmes: «Vous pouvez tout avoir!»

C’est un mensonge qui met beaucoup de pression sur les femmes. Quand j’entends des personnalités influentes dire: «Tout va bien! J’ai réussi à concilier travail et famille», j’ai beau les admirer, je ne les crois pas!

Tu dénonces leur discours, en somme!

Oui, parce qu’il est épouvantable! Arrêtons de mentir aux femmes: on n’arrive pas à tout concilier. Dans ma vie, je sais que ça ne marche pas: il y a des moments où je décide d’être le numéro un des mamans, de la télé ou des conjointes… mais on ne peut pas être au sommet dans tout, en même temps, et tout le temps! Quand on m’écrit sur mon compte Facebook: «Tu es une source d’inspiration pour nous», je réponds: «Non, non, non! Ne m’idéalisez pas!» Ce n’est pas vrai que je réussis à concilier travail et famille! Ni que je me lève avec les cheveux lisses et un peu de gloss sur les lèvres. Je ne suis pas une superbattante. Des fois, je ne vais pas bien. Des fois, je tombe et je m’écrase…

Pourquoi insistes-tu tant pour que les gens ne te prennent pas comme modèle?

Parce que, si l’on pense que j’en suis un, on va croire que je suis parfaite. Et c’est faux! Oui, je pourrais déclarer: «Go, les filles! Allez-y! Lancez-vous, c’est fantastique!» Mais je crois que dire les choses telles qu’elles sont, ça décomplexe vraiment. Le jour où les filles se sentiront nulles, tristes ou coupables parce qu’elles auront commis une erreur, je tiens à ce qu’elles se disent que, eh bien, j’ai fait pire qu’elles!

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Parlons justement des demi-succès, inévitables au cours d’une carrière. Comment les gères-tu?

On apprend beaucoup de ses erreurs. Voir la cote d’écoute d’une émission comme Le banquier chuter de 100 000 téléspectateurs un dimanche, c’est un échec pour moi. Et je fais tout pour que l’émission soit meilleure la semaine suivante. Mais la perte de la production télé des Productions J a été le pire échec que j’ai connu. (Le 29 juin 2015, elle a annoncé qu’elle abandonnait la production d’émissions de télévision en raison de la modification des critères d’admissibilité aux crédits d’impôt remboursables pour la production cinématographique et télévisuelle.) Quand c’est arrivé, j’ai accusé le choc. J’ai vécu les étapes d’un deuil: le déni, la colère, la tristesse. Mais je ne suis pas encore rendue à l’acceptation. Évidemment, cette perte ne se compare pas aux drames humains dans le monde, je le sais. Mais, comme femme de tête et femme de carrière qui a bâti une entreprise afin de devenir indépendante, c’est une dépossession. Face à un tel échec, je ne m’oblige pas à être un numéro 1; je me donne le droit d’être un numéro 0, voire -10, en attendant de voir au-delà du brouillard. Car cette crise-là se transformera peut-être en opportunité…

Tu sembles à l’heure des bilans. Entre nous, tant se donner à son métier, ça vaut le coup ou pas?

Oui, ça le vaut! Quand je lis le petit mot de ma fille qui me remercie pour les belles vacances aux Îles de la Madeleine, oui. Lorsque je vois mon garçon faire de la planche à voile, oui. Mais est-ce que ça vaut le coup quand je pense aux moments où je n’ai pas été présente dans leur vie? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est qu’il faut prendre un temps d’arrêt dans sa vie et tenter de trouver un équilibre, même si c’est difficile. Ça fait des années que je tends vers cet objectif. Je vais bientôt fonder le club des Déséquilibrés Anonymes! (fou rire)

Que dirais-tu à une femme qui souhaite démarrer son entreprise?

Si elle n’a pas d’enfant, je lui dirais de se préparer à entrer en religion. Son entreprise doit devenir son bébé pour lequel elle ne comptera pas les heures, se lèvera la nuit, fera des sacrifices et négligera ses amis et ses activités. Si elle est maman, je la préviendrais qu’elle ne pourra pas se consacrer entièrement à son entreprise et qu’elle sera moins productive. Car, comme l’affirme justement Denise Bombardier: «Le féminisme s’arrête avec la maternité.» On a beau être femme d’affaires, avoir des enfants exige que l’on s’en occupe. Oui, les hommes prennent aussi soin des enfants, mais jamais comme une femme: un homme peut donner le biberon, mais pas le sein!

Aurais-tu un dernier conseil, toi qui n’aimes pourtant pas en donner?

Dès mes débuts, je me suis juré que jamais je ne jouerais les gérantes d’estrade! (rires) Mais voilà ce que je dirais aux lectrices de ELLE QUÉBEC: n’ayez pas peur de colorer votre vie. En osant mettre de la couleur, vous déborderez du cadre, vous irez trop loin, vous commettrez des erreurs. Mais peu importe! Il vaut mieux dépasser les lignes en coloriant que de vivre en noir et blanc!

 

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