Dire qu’Eugenie Bouchard est déterminée serait un euphémisme. Cette fille travaille d’arrache-pied pour être la meilleure. «Une simple partie de Monopoly en famille peut devenir très intense avec moi. Je suis comme ça, très compétitive dans tout», lance la championne, qui a tenu à faire l’entrevue en français.

La jeune femme blonde et élancée, aux airs d’étudiante sage, n’a pourtant rien d’un bulldozer. Réservée, en contrôle total de ses émotions, elle évoquera à plusieurs reprises au cours de l’entrevue son besoin de constance, tant dans les moments heureux que dans les périodes difficiles. Cette année, sa capacité à gérer le stress a été rudement éprouvée. En janvier dernier, après avoir battu Ana Ivanovic en trois manches et accédé aux demi-finales de l’Open d’Australie, elle est devenue la première Canadienne des 30 dernières années à se rendre aussi loin dans un tournoi du Grand Chelem.

Depuis, autour d’elle, c’est l’euphorie. L’attention médiatique s’accroît et la pression monte. Eugenie, elle, garde la tête froide. «Je suis consciente que ce détachement émotif me sert de protection », confie-t-elle. Hélène Pelletier, une ancienne championne nationale de tennis devenue analyste sportive à RDS, renchérit: «Elle est d’un calme olympien… Vu les efforts qu’elle a faits et tout le travail qu’elle a fourni pour y arriver, elle n’est pas étonnée de son succès. On reconnaît là la mentalité des champions!»

Une enfant de la balle

Eugenie, qui a grandi dans le quartier montréalais de Westmount, manie la raquette depuis l’enfance. À cinq ans, elle suit déjà des cours: «On ne frappait des balles qu’une dizaine de minutes, mais c’est ce que je préférais.» La petite fille éprouve un intérêt si vif pour le tennis qu’elle demande à jouer plus souvent. Ses trois cours hebdomadaires cèdent vite la place à des séances quotidiennes.

À huit ans, elle dispute son premier tournoi, et un an plus tard ses compétitions l’entraînent pour la première fois hors des frontières d’Amérique du Nord. C’est le déclic. Non seulement Eugenie est capable de battre des adversaires plus âgées qu’elle, mais elle a la piqûre du voyage et réalise qu’elle peut découvrir le monde en faisant ce qu’elle aime. «C’est à ce moment-là que j’ai su ce que je voulais faire de ma vie», dit-elle, le regard pétillant.

Genie – comme elle aime qu’on la surnomme – possède déjà une maturité et une force de caractère rares. Sylvain Bruneau, entraîneur de l’équipe féminine canadienne de tennis, le confirme: «Quand elle avait 10 ans, on sentait déjà qu’elle était en mission. Son sérieux était impressionnant. Elle avait envie d’apprendre et elle prenait des risques sur le terrain.»

> Dans le sac à main d’Eugenie Bouchard

En 2007, à 13 ans, Eugenie déménage avec sa famille en Floride, où elle s’entraîne six heures par jour sous l’égide de Nick Saviano, un ancien pro réputé pour sa technique. Il se rappelle l’arrivée de l’adolescente: «Dès le premier jour, elle a travaillé très fort et s’est rapidement améliorée. Sa motivation et sa concentration n’en laissaient pas douter: un jour, elle deviendrait très, très bonne.»

Ce jour est arrivé encore plus tôt qu’espéré. En 2012, la joueuse réalise un exploit historique en gagnant le championnat du monde junior de Wimbledon, en Angleterre. Cette victoire a l’effet d’un détonateur sur son jeu et ses résultats. Le sentiment de confiance qui l’envahit alors la propulse à un tout autre niveau.

Il faut dire qu’Eugenie est une athlète redoutable sur le terrain, comme l’attestent les experts. «C’est une vraie lionne, affirme Sylvain Bruneau. Son jeu est très offensif. Elle se bat pour chaque point et ne laisse rien à son adversaire.» Même son de cloche chez Hélène Pelletier, qui estime qu’Eugenie «a la hargne des meilleurs». Cette pugnacité lui a notamment permis de s’illustrer encore en juin dernier, lorsqu’elle a atteint les demi-finales de Roland-Garros et affronté son idole de toujours: Maria Sharapova.

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Mais à quoi carbure donc cette fille issue des beaux quartiers, qui aurait pu se contenter d’une jeunesse dorée et sans soucis? «C’est vrai que je n’ai pas le profil des joueuses poussées par des parents qui fondent sur elles tous leurs espoirs, constate Eugenie. Cette vie-là, c’est moi qui l’ai choisie. Et j’accepte tout ce qui vient avec, y compris les enjeux et la pression. Je dirais même que ça me rend meilleure.»

Pour réussir, elle consent d’ailleurs à tous les sacrifices. Comme celui de vivre loin des membres de sa famille, auxquels elle est pourtant très attachée: «Mes soeurs (dont une jumelle) sont mes meilleures amies. Quant à mon frère, c’est lui qui me permet de garder les deux pieds sur terre: il n’hésite pas à me traiter de loser quand il le faut!»

Avec les autres joueuses du circuit, elle cultive plutôt la distance. «Il est difficile, encore plus pour les femmes que pour les hommes, je pense, de dissocier l’amitié du jeu sur le terrain, explique Eugenie. On doit s’affronter, c’est de la compétition! Les enjeux sont énormes et, au-delà de l’argent, on se bat pour nos rêves.»

Entre les journées d’entraînement intensif sur le terrain, les heures passées au gym et le repos nécessaire pour être au meilleur de sa forme, il ne reste plus beaucoup de temps pour les sorties, l’amour et l’amitié. Les rumeurs qui la lient au joueur de hockey Alex Galchenyuk? «Je n’ai pas vraiment de temps à consacrer à une relation, lâche-t-elle en guise de réponse. Ma priorité est de devenir une meilleure joueuse et de grimper au classement. Je fais tout pour ça.»

> Découvrez les coulisses de la séance photo avec Eugenie Bouchard

À l’entendre, on a parfois l’impression de se trouver face à une machine parfaitement huilée, conçue pour gagner. Heureusement, l’ado qui se cache derrière la championne sûre d’elle remonte parfois à la surface et nous rappelle qu’elle est humaine. C’est arrivé notamment à la fin d’un match en Australie, où elle a avoué à une journaliste que sa date de rêve était… Justin Bieber. La phrase a fait le tour de la Toile et étonné ses fans. Selon Hélène Pelletier, la raison en est simple: «On a du mal à imaginer Eugenie crier pendant un concert de Justin Bieber, tant elle semble mature.» Lorsque je raconte à la joueuse que j’ai déjà rencontré le chanteur tatoué, elle écarquille les yeux et lâche un spontané: «Ah oui? Et puis?? Oh my God!!» Rafraîchissant! En vraie pro, elle rattrape cependant la balle au bond et ne tarde pas à préciser que ce qu’elle admire avant tout du jeune chanteur, c’est l’ascension phénoménale qu’il a connue. Un parcours qu’elle aurait bien envie d’imiter…

Une belle de match

Une chose est certaine, Genie a toutes les cartes en main pour devenir une mégastar. Le talent, la persévérance… et le physique. Car en chair et en os, la joueuse est d’une beauté aussi manifeste que le sont ses ambitions. Blondeur lisse, teint de pêche, yeux félins et sourire à faire tomber… On comprend aisément pourquoi les commanditaires la sollicitent de toutes parts. Ne craint-elle pas de devenir un outil de marketing, une star dont l’image éclipse les performances, comme c’est arrivé à Anna Kournikova? Lucide, la joueuse répond qu’elle est parfaitement consciente que son apparence représente un atout, mais que sa popularité est avant tout liée à ses performances. Raison de plus pour mettre les bouchées doubles, dit-elle: «Mieux je joue, plus j’obtiens d’attention, ce qui est une bonne chose en soi. J’ai appris à déterminer mes priorités, à dire non et à faire des choix.» Comme celui de poser en couverture du présent numéro! Un tout nouvel univers pour la jeune femme, qui avoue aimer se livrer au jeu du glamour: «Je passe ma vie sans maquillage, à transpirer sur les terrains, alors c’est une expérience géniale et divertissante d’être transformée ainsi pour un magazine!»

> 7 questions à Eugenie Bouchard

La mode, Eugenie adore ça. Les soirées et les galas auxquels elle assiste de plus en plus souvent lui offrent d’ailleurs la chance de définir son style, en pleine évolution. À ces occasions-là, elle n’hésite pas à enfiler une robe et des talons hauts: «J’aime les vêtements féminins et plutôt classiques, mais ils doivent avoir un côté jeune et edgy, parce que je ne veux surtout pas avoir l’air plus âgée que je le suis!» Car s’il y a une chose qui effraie cette joueuse intrépide, prête à tous les sacrifices pour atteindre le sommet, c’est le temps qui file, à toute allure… Eugenie a envie de monter au filet, le plus vite possible.

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Eugenie Bouchard en couverture de notre magazine du mois d’août 2014
Dossier: Eugenie Bouchard