Elle se tient dans le hall de l’hôtel The Surrey, dans l’Upper East Side de Manhattan, et scrute l’extérieur à travers les portes vitrées. Plus tôt ce matin, alors que le ciel était encore clair, elle m’avait proposé de faire une promenade dans Central Park avant le lunch. Mais à présent, il pleut à boire debout.

Blottis dans leurs manteaux de laine, une écharpe nouée au cou, les hôtes entrent en secouant la tête pour enlever la pluie de leur cheveux. Claire regarde à nouveau dehors. Le Café Boulud, le resto de l’hôtel, est à deux pas d’ici, et nul besoin de sortir pour s’y rendre. «Peut-être devrions-nous simplement casser la croûte?» demande-telle, un brin déçue.

Elle déboutonne son manteau. Jean ajusté, col roulé en cachemire et bottillons noirs: sa tenue est sobre, mais fort élégante.

Voyez la robe de Claire Danes aux Emmy Awards 2013

Ses cheveux blonds, placés derrière les oreilles, révèlent un visage subtilement maquillé. On est troublée en la voyant. Difficile de ne pas penser à Carrie Mathison, l’analyste bipolaire des services secrets qu’elle incarne dans la série Homeland (diffusée pour une deuxième saison à Télé-Québec depuis le 10 septembre).

La force avec laquelle Claire s’est investie dans ce rôle l’a propulsée au rang de phénomène de la culture pop, et cette série est devenue un des succès les plus éclatants du petit écran. Son interprétation lui a d’ailleurs valu, entre autres, deux Golden Globes.

À LIRE: Rencontre avec Joseph Gordon-Levitt

Pourtant, il s’est déjà écoulé 18 ans depuis que Claire Danes a fait ses premiers pas au panthéon de la célébrité grâce à My So-Called Life, une série dans laquelle elle nous faisait vivre avec brio les grands espoirs et les petites désillusions d’une adolescente. Sans aucun doute, Claire est aujourd’hui une star. (Durant notre repas, un homme nous interrompt pour lui dire à quel point il trouve son jeu excellent. À une table voisine, des femmes ne cessent de chuchoter et de lui jeter des regards furtifs.) Quand Claire est devant vous, les personnages qu’elle a incarnés défilent dans votre esprit: Angela, de My So-Called Life, Juliette qui donnait la réplique à Leonardo DiCaprio dans Romeo Juliet et, évidemment, Carrie.

Une question d’équilibre

Complexe, parfois instable, et incroyablement perspicace, Carrie, l’héroïne de Homeland, est un des rares personnages féminins «qui ne se cachent pas derrière un homme», explique l’actrice. Et ce, même si la tension sexuelle entre Carrie et Nicholas Brody (Damian Lewis) est un élément très captivant de l’émission! Aucun doute, la clairvoyante agente n’entend pas céder sa place dans la CIA.

Pour se préparer au tournage de la première saison, Claire a suivi, dit-elle, son «propre petit séminaire sur le trouble bipolaire et sur les services secrets du renseignement». Dans les faits, elle a observé une agente de la CIA à l’oeuvre et lu abondamment sur le trouble maniacodépressif.

Une formation qui l’a plutôt bien servie. La scène dans laquelle son personnage reçoit des électrochocs pour traiter un épisode maniaque est d’un tel réalisme que des personnes souffrant de maladie mentale ont écrit aux producteurs de la série pour exprimer leur inquiétude quant à l’état de santé de l’actrice! Seule une véritable personne bipolaire peut dépeindre cet état de façon aussi convaincante, ont-elles affirmé.

À DÉCOUVRIR: Séduisante Julianne Moore

Bien qu’elle ait réussi à exposer l’étendue du trouble de Carrie durant la première saison, l’actrice souhaitait rééquilibrer son jeu. «J’ai toujours veillé à ne pas faire de la maladie de Carrie une caricature. J’avais envie de voir comment elle parviendrait à rester stable, même si c’est moins divertissant. En réalité, c’est ce que vivent les gens qui souffrent de cette maladie. Ils ont aussi des périodes où tout va bien. Mais au bout du compte, même si par moments sa vie est stable, Carrie est assise sur une bombe à retardement.»

Malgré sa vulnérabilité, elle demeure une femme puissante aux yeux de son entourage. On le constate, par exemple, lorsqu’elle déclare son amour à Nicholas Brody durant un interrogatoire. Jouée par une actrice peu douée, cette scène semblerait tirée par les cheveux, mais Claire a un tel talent qu’on ne peut faire autrement qu’y croire.

Son personnage est une femme écorchée et instable qui s’affiche forte et inébranlable. «Un jeune acteur possède la capacité d’imaginer les choses comme réelles. Claire avait ce don quand elle était enfant», révèle Mandy Patinkin, qui interprète Saul Berenson, le mentor de l’agente antiterroriste. «C’est une aptitude qui s’érode souvent avec l’âge. Or, devant la caméra, Claire a toujours ce talent exceptionnel.»

Sage comme une image

Beaucoup seront étonnées d’apprendre que l’actrice évolue devant les caméras depuis qu’elle a 13 ans. Sans doute parce que la presse people n’a jamais fait les choux gras de ses déboires, comme elle le fait avec ses jeunes consoeurs aujourd’hui. Sans révéler de détails, elle explique que les choses auraient peut-être été différentes si elle avait commencé sa carrière à notre époque.

«Plus jeune, ma vie était plus tumultueuse, mais on ne s’y intéressait pas autant. Il n’y avait pas autant de tabloïds et de photographes que maintenant. J’ai beaucoup d’empathie pour les adolescentes d’aujourd’hui qui se retrouvent dans la mire des journaux à potins, parce que ce n’est pas une partie de plaisir

En fait, la seule fois où la vie privée de Claire a été exposée au grand jour, c’est en 2003, lorsque Billy Crudup a quitté sa compagne de l’époque, Mary-Louise Parker, alors enceinte de sept mois, pour fréquenter Claire. Mais le regard inquisiteur du public s’est vite détourné du jeune couple quand il a constaté que c’était du sérieux. (Le couple s’est toutefois séparé en 2007, quand Claire est tombée sous le charme de l’acteur britannique Hugh Dancy.)

Lorsqu’on demande à Claire comment elle fait pour protéger son intimité, elle lance non sans une pointe d’ironie: « Comment pourrais-je attirer l’attention sur moi? J’ai 34 ans. Je ne vais pas dans les clubs et j’adore mon club de lecture…» C’est sans doute ce qui a valu à la star l’étiquette de «fille sérieuse», une image qu’elle conteste. «Je ne me vois vraiment pas comme ça.» Et donc, comment se perçoit-elle? «Je ne sais pas… Mes amis sauraient mieux que moi vous répondre.»

À LIRE: Jessica Chastain: la revanche d’une rouquine

Fidèles complices

Que disent-ils, justement, ses amis? D’abord, Michael Cunningham, lauréat du prix Pulitzer pour le roman The Hours, qui a célébré son mariage avec Hugh Dancy en 2009. Leur amitié a pris naissance en 2007 durant le tournage du film Evening, l’adaptation d’un scénario auquel le romancier a participé. «Une de nos premières activités, à Claire et à moi, a été d’aller à la campagne dans le Rhode Island pour cueillir des citrouilles. C’est là que nous avons découvert notre passion commune pour les cucurbitacées aux formes excentriques.»

L’actrice Devon Odessa, quant à elle, a rencontré Claire sur le plateau de My So-Called Life, où elle interprétait Sharon, l’amie d’enfance d’Angela. L’amitié entre Devon et Claire dure depuis cette époque.

Elles ont même été demoiselles d’honneur à leur mariage respectif. «Claire est très habile de ses mains, révèle Devon. [Pour mon mariage] elle a composé son propre bouquet, et le mien. Et à Pâques, elle organise une fête où on peint des oeufs.» Des propos que corrobore sa collègue Morena Baccarin, qui incarne Jessica Brody dans Homeland. Cette dernière ajoute qu’elles planifient une journée d’artisanat avec les acteurs de la série.

À LIRE: Rencontre avec Jessica Paré

Pour Lena Dunham, la créatrice de la série Girls, Claire Danes est un véritable mentor. «Nous sommes des actrices très différentes, mais elle exerce beaucoup d’influence sur moi. C’est une fille cultivée et elle se fiche des diktats de la beauté hollywoodienne

Lena se souvient d’une fête que Claire a organisée récemment. «La plupart des femmes veulent avoir l’air séduisantes, même pour une fête costumée. Elles se déguisent en fille de cabaret ou en Catwoman. Claire, elle, portait un chapeau en forme de mâchoire d’alligator et la plus immense salopette que j’ai vue de toute ma vie. Elle avait l’air d’un bébé déguisé en clown!»

Heureux hasard

Pendant mon repas avec Claire, le nom de Hugh Dancy revient plusieurs fois dans la conversation, signe de la bonne santé du couple. D’après Michael Cunningham, Claire et Hugh se sont connus sur le plateau d’Evening et ils se fréquentent depuis la fin de ce tournage. «Ça ne sautait pas aux yeux au début, mais dès qu’ils m’ont annoncé leur relation, je me suis dit que c’était écrit dans le ciel et qu’ils allaient fonder une famille», confie l’écrivain. Et le destin a suivi son cours…

Le 17 décembre 2012, Claire a donné naissance à un petit garçon, et le couple file encore aujourd’hui le parfait amour. «Hugh est le compagnon parfait pour moi, avoue d’emblée Claire. C’est la chance qui m’a souri. Je n’y suis pour rien, puisque les choses sont arrivées naturellement, quoique nous travaillions fort pour entretenir notre relation.»

Claire jette un coup d’oeil à sa montre: elle ne veut surtout pas rater son vol pour rejoindre son mari, Hugh, qui travaille à Toronto. Après près de deux semaines de séparation, elle est impatiente de le retrouver. «J’ai l’impression d’être à la maison quand je suis avec lui, peu importe où je vais. C’est mon port d’attache. C’est bien de se sentir chez soi auprès de la personne qu’on aime le plus au monde.»

À DÉCOUVRIR:

Séduisante Julianne Moore

Rencontre avec Naomi Watts