«J’ai pas besoin de me tortiller les fesses, parce que j’ai un cerveau», chante Lily Allen dans la vidéo de Hard Out Here. Quelques secondes plus tard, on la voit se déhancher maladroitement, entourée de filles qui maîtrisent le twerking bien mieux qu’elle. Difficile de ne pas y voir une pointe adressée à Miley Cyrus et à Rihanna qui, elles, sont de vraies pros dans l’art de se trémousser le derrière!

En écoutant plus attentivement les paroles de Lily Allen, on réalise que sa chanson est en fait une réponse aux critiques qu’elle-même a déjà essuyées, notamment à propos de son poids. Dans une entrevue à l’hebdomadaire britannique ShortList, la chanteuse affirmait que ce sont souvent les femmes qui lui font des commentaires désobligeants. «Nous sommes nos pires ennemies, déplorait-elle. Nous devrions cesser d’être si cruelles les unes envers les autres.» Elle admettait d’ailleurs ne pas échapper à cette compétition féminine: «Si je suis assise au restaurant et qu’une femme très belle et mince arrive, je vais instinctivement penser: « Oh, elle est vraiment mince et belle, et moi, je suis grosse et laide. »»

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À cause des garçons

Imaginez qu’une blonde portant une minijupe et un décolleté plongeant entre dans une classe uniquement composée d’étudiantes universitaires. Comment celles-ci réagiront-elles? C’est ce qu’a voulu savoir Tracy Vaillancourt, professeure en psychologie à l’Université d’Ottawa et à l’Université McMaster. Pour ses recherches sur l’intimidation, elle a tenté l’expérience, et les commentaires qui ont fusé quand l’aguichante blonde est sortie de la salle de cours étaient loin d’être élogieux. Certaines filles ont insinué que la nouvelle venue voulait coucher avec un des professeurs. Une autre étudiante a prétendu que ses seins étaient sur le point de sortir de son chandail.

Selon la chercheuse, si les filles sexys nous exaspèrent autant, c’est parce que nous avons l’impression qu’elles trichent à une compétition vieille comme le monde: celle qui consiste à mettre le grappin sur le mâle dominant. «Il existe une règle implicite selon laquelle les femmes ne devraient pas rendre le sexe trop facile à obtenir pour les hommes. Et celles qui la transgressent en s’habillant de façon sexy dérangent particulièrement les autres», explique Tracy Vaillancourt.

La psychologue croit d’ailleurs que l’apparence physique est un des principaux facteurs de rivalité féminine. «Des études menées dans plusieurs régions du monde ont montré que les hommes choisissent leur compagne en fonction de son apparence, alors que les femmes recherchent un partenaire ayant un statut social élevé. C’est une vérité que nous avons beaucoup de mal à admettre en 2014. Nous préférerions croire que les choses ont changé.»

La culture du «bitchage»

Il y a quelques mois, l’animatrice Saskia Thuot lançait sur sa page Facebook un véritable cri du coeur en réponse à une allusion faite au sujet de son poids. «Je sais que mon corps ne correspond pas aux critères de beauté actuels, écrivait-elle. Mais je sais aussi que mon corps est magnifique à sa façon, il est le mien et me fait vivre et aimer. À chaque commentaire méchant, j’ai l’impression que je dois rebâtir les fondations de mon estime et, à 41 ans, je veux seulement être bien.»

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Saskia Thuot ne s’attendait jamais à ce que sa réplique, rédigée sous le coup de la colère, trouve un écho auprès de milliers de femmes et d’hommes. Une foule de messages de soutien lui ont été envoyés. «Ça m’a fait réaliser que je n’étais pas la seule à en avoir assez de subir des remarques sur mon apparence.»

Il est vrai que, de nos jours, c’est devenu banal de lire sur Twitter ou Facebook des commentaires sur le poids ou la tenue trop osée d’une célébrité. Shaheen Shariff, professeure agrégée en sciences de l’éducation à l’Université McGill et spécialiste de la cyberintimidation chez les jeunes, constate que les adolescentes sont très enclines à dénigrer l’apparence des autres filles sur les médias sociaux. Ses recherches ont montré qu’elles le font pour rigoler ou pour accroître leur propre popularité. Dans la majorité des cas, elles n’ont pas conscience que ces critiques peuvent être blessantes et avoir des conséquences sur l’estime de soi de la personne visée. «En tant qu’adultes, on voudrait tous qu’il y ait des lois pour enrayer la cyberintimidation, mais on doit d’abord s’attaquer à la source du problème, soit à l’influence que nos propres comportements intolérants peuvent avoir sur les jeunes», affirme Shaheen Shariff.

La sexologue Francine Duquet a elle aussi remarqué qu’il existe une véritable culture du «bitchage» chez les adolescentes, qui n’hésitent pas à traiter même leur meilleure amie de «salope ». Dans une enquête sur l’hypersexualisation, cette professeure en sexologie à l’UQAM a demandé à 69 étudiants et étudiantes du secondaire ce qu’ils pensaient de la tenue vestimentaire des filles de leur classe. La réponse des élèves? «Elles s’habillent comme des putes!»

Selon elle, la culture populaire exacerbe la rivalité fémine en véhiculant l’idée qu’il faut être la plus belle et la plus sexy pour avoir du succès. Elle cite en exemple la téléréalité Occupation double et la bande dessinée Les Nombrils, dans lesquelles des filles se crêpent le chignon pour séduire les garçons. «Les adolescentes adhèrent à ces modèles-là, déplore Francine Duquet. Elles sont déchirées entre l’envie de plaire, d’être considérées comme hot et, en même temps, la peur de passer pour des salopes.»

L’estime de soi en danger

La compétition entre femmes est loin d’être inoffensive. Christopher J. Ferguson, professeur en psychologie à l’université Stetson, en Floride, affirme même qu’elle est plus néfaste pour l’estime de soi que les modèles de beauté véhiculés par l’industrie de l’image. «Je ne dis pas que les médias n’ont aucune influence sur la perception que nous avons de notre corps, mais leur influence est moins importante qu’on le croit. Plusieurs études ont montré que la rivalité féminine qui règne dans l’environnement immédiat des adolescentes et des jeunes femmes avait une incidence sur l’estime de soi bien plus grande que celle des médias.»

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Le psychologue américain explique ce phénomène par le simple fait que nous développons la plupart de nos complexes en nous comparant aux autres. «Bien sûr, on peut se comparer à un mannequin ou à une célébrité. Mais il y a beaucoup plus de chances qu’on se compare aux gens qui nous entourent», fait-il remarquer. En d’autres mots, s’il y a dans notre entourage une fille qui ressemble à Eva Mendes, il est fort possible que nous éprouvions le même sentiment que Lily Allen décrivait dans son entrevue à ShortList

Cela dit, pouvons-nous nous soustraire à cette compétition ou est-elle à ce point inscrite dans nos gènes que nous y sommes forcément assujetties? Yolande Cohen, professeure à l’UQAM et spécialiste de l’histoire des femmes, est d’avis qu’il est difficile d’y échapper, pas tant pour des raisons biologiques que pour des raisons sociales. «Depuis des décennies, nous vivons dans une société davantage axée sur l’esprit de compétition que sur la compassion ou la solidarité», constate-t-elle. Que ce soit sur le plan personnel ou professionnel, nous sommes constamment appelées à nous surpasser, à être plus belles et plus performantes que les autres. «Il n’y a qu’un seul moyen d’éviter la compétition, et c’est d’être la meilleure!» ironise-t-elle.

Tracy Vaillancourt estime pour sa part que la rivalité fait partie de la nature humaine, mais que les femmes deviennent plus indulgentes les unes envers les autres en vieillissant. Il est vrai que nous gagnons en confiance avec l’âge et que nous avons alors moins tendance à nous définir par le regard de l’autre. La psychologue ajoute que le simple fait de prendre conscience de nos propres comportements compétitifs peut aussi faire la différence: «Par exemple, savoir pourquoi nous réagissons de manière épidermique dès que nous croisons une fille sexy peut nous amener à avoir une réaction plus mesurée la prochaine fois que nous en rencontrerons une.»

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Au bout du compte, il n’en tient qu’à nous de faire preuve de solidarité féminine et de mettre fin à cette culture du «bitchage» qui cause tant de dommages.

Sexy = salope?

Vous êtes exaspérée par les vedettes comme Miley Cyrus ou Rihanna, qui misent sur leur sexualité pour attirer l’attention du public? Vous n’êtes pas la seule! À l’ère des médias sociaux, on ne compte plus les billets de blogues et les tweets assassins critiquant leur façon de (peu) se vêtir. On appelle d’ailleurs slut shaming ce phénomène qui consiste à couvrir de honte celles qui s’habillent de manière sexy ou qui affichent une sexualité débridée. Mais est-ce qu’en jugeant ces filles on fait véritablement avancer la cause des femmes?

Selon Chantal Maillé, professeure agrégée à l’Institut Simone-de-Beauvoir, de l’Université Concordia, cette question divise les féministes. Certaines militantes affirment qu’on ne devrait en aucun cas se définir comme un objet sexuel, d’autres répliquent que personne ne devrait dicter aux femmes la façon dont elles doivent se vêtir ou se comporter. «Il y a des filles qui se considèrent comme des féministes et qui choisissent de s’habiller très sexy, observe Chantal Maillé. Elles ne sont pas aliénées ou soumises aux hommes pour autant! Au contraire, ça peut être une forme d’empowerment. Je pense évidemment à Madonna, qui a été la première à utiliser sa sexualité pour se donner du pouvoir, mais aussi à Lady Gaga, une femme très en contrôle qui met de l’avant une image sexy pour faire passer des messages. Quant à Miley Cyrus, les médias la présentent souvent comme une pauvre fille qu’on exploite. Je serais plutôt tentée de croire que, si elle est rendue là où elle est à seulement 21 ans, c’est qu’elle comprend la game de l’industrie et qu’elle est loin d’être une victime.»

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Gloria Steinem, une des chefs de file du mouvement féministe américain, est aussi d’avis qu’il est trop facile de condamner l’ancienne égérie de Disney. «Je préfèrerais que les femmes n’aient pas besoin de se mettre nues pour être remarquées, affirmait-elle en entrevue. Mais je pense que nous devons changer la culture plutôt que de blâmer celles qui jouent le jeu en suivant les seules règles qui existent.»

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