Montréal, un samedi après-midi de fin d’été. Le vent est frais, mais les rayons du soleil chauffent doucement la peau. Des surfeurs, planche sous le bras, traversent un petit parc adjacent aux appartements d’Habitat 67 avant de s’engouffrer dans un sentier, presque dissimulé, qui longe le Saint-Laurent. Ici, la scène est loin des clichés des cartes postales. Pas de plage de sable blanc comme à Hawaï, pas de mer turquoise ou de vagues à perte de vue. Les amateurs font la file sur un amas de roches le long de la berge avant de se lancer tour à tour dans les eaux froides et grises du fleuve, et d’affronter la seule et unique lame praticable. Parmi ces accros de sensations fortes, plusieurs filles attendent leur tour.

Si le surf d’océan reste pratiquement la chasse gardée des hommes, le surf de rivière, lui, serait plus accueillant envers les femmes. «À Montréal, les filles sont presque aussi nombreuses à en faire que les gars, contrairement à ce qui se passe ailleurs dans le monde», nous confirme Annie Carrier, surfeuse invétérée. Pourquoi cette exception? Voyons voir…

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Les codes d’un boys club

En surf, on a intérêt à observer l’étiquette. La mer n’appartient à personne, mais ne prend pas la vague qui veut! «Dans l’océan, la règle, c’est que la personne la plus proche du peak (le point le plus haut de la vague) a priorité», explique Julia Barrette-Laperrière, qui fait du surf depuis neuf ans. «Personne d’autre n’a le droit d’embarquer sur « sa » vague. C’est particulièrement difficile de se tailler une place quand on est une fille: les gars ont beau voir qu’on est bien positionnée, ils s’attendent à ce qu’on rate notre coup, alors ils nous piquent notre tour. C’est extrêmement frustrant. Dans les endroits plus fréquentés, chaque fois que j’entre dans l’eau, je dois montrer de quoi je suis capable.» 

 

En surf de rivière, l’état d’esprit est tout autre. Ici, pas de guerres de territoire ni de démonstrations de force: sur le fleuve, c’est chacun son tour. Ça tient à la nature du sport: «Sur l’océan, les vagues sont plus hautes, mais on reste debout sur notre planche quelques secondes tout au plus, dit Julia. Sur la rivière, comme le niveau de l’eau est plus bas, on peut surfer très longtemps, ce qui nous permet d’améliorer nos mouvements.» Aux abords d’Habitat 67, les adeptes du sport se sont entendus sur un code commun: chacun a le droit de rester sur les rouleaux durant une minute maximum avant de céder sa place au prochain dans la file. L’ambiance est décontractée, bon enfant. «Ici, on s’encourage les uns les autres, affirme Annie Carrier. La première fois que j’ai réussi à prendre la vague, tout le monde était content pour moi.»

De manière générale, le surf laisse peu de place aux filles. Depuis la naissance de ce sport, dont la cote de popularité a explosé dans les années 1960, les femmes y sont largement minoritaires: au début des années 2000, elles ne représentaient toujours qu’environ 15% des surfeurs, selon le New York Times. Pourquoi? «Ça remonte à loin, croit Julia Barrette-Laperrière. Au commencement, les filles avaient tendance à jouer les cheerleaders sur la plage pendant que les gars étaient dans l’eau. Mais les choses évoluent: les compétitions s’ouvrent davantage aux femmes, et de plus en plus de compagnies produisent de l’équipement féminin et commanditent des surfeuses…»

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Le seul bémol? Les filles qui obtiennent le plus de commandites correspondent toujours à l’archétype de la belle plante bronzée qui vit dans les pages de Sports Illustrated. L’an dernier, d’ailleurs, une publicité de la compagnie Roxy a semé la controverse. À l’écran, une jeune femme blonde se réveillait, se douchait, s’habillait. Sa planche de surf sous le bras, elle entrait dans la mer et commençait à ramer. Le hic? Pendant toute la durée du clip, destiné à promouvoir un championnat de surf féminin, on ne voyait aucune prouesse technique… mais on avait droit à une bonne douzaine de plans centrés sur les fesses de la surfeuse. Des commentateurs ont déploré sur le Web les allures érotico-soft de la pub et dénoncé son sexisme latent. «Le surf se pratique en bikini, donc c’est normal que les filles soient souvent photographiées ainsi: c’est en quelque sorte leur uniforme de travail, dit Annie Carrier. Mais il ne faut pas oublier que ce qui a permis à ces athlètes de se rendre là, c’est d’abord et avant tout leur talent.»

 

 

Julia, de son côté, précise que la réalité est loin des clichés: «Ça prend beaucoup de force pour faire du surf. Il faut être prête à en manger dans la face! Tomber du haut d’une déferlante de 15 pi, rester deux minutes sous l’eau sans respirer, se cogner aux roches dans le canal de Lachine, ça fait peur. Ça fait mal. J’en ai eu, des bleus et des coupures!»

D’ailleurs, depuis que Layne Beachley, sept fois championne du monde, a pavé la voie, d’autres «rideuses» prouvent que les filles n’ont pas plus froid aux yeux que les gars: Sarah Gerhardt a été la première femme à défier le mur d’eau meurtrier de Mavericks, en Californie; Keala Kennelly a dompté la grande vague de Teahupoo, à Tahiti, et du côté de la relève, Carissa Moore, 22 ans, domine le sport depuis qu’elle a 14 ans… Une chose est certaine, la nouvelle vague de surfeuses sera forte.

Où aller, près de montréal?

Niveau débutant: à la «vague à Guy», dans le parc des Rapides, à LaSalle (boul. LaSalle, près de la rue Gagné).

Niveau intermédiaire et expert: à l’est d’Habitat 67, où la vague est stable. Attention: les jours d’été, il y a foule.

Niveau expert: à Chambly, sur la rivière Richelieu, entre le pont de la route 112 et la rue Willett. Prenez garde: au retour, les courants sont forts. (info: pleinsurf.com)

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