Aucun doute possible: Bethany Mota (photo) est une célébrité. À 19 ans, cette jeune Californienne a déjà participé à l’émission Dancing with the Stars, elle a posé sur la couverture du magazine Seventeen et a même lancé sa propre collection de vêtements. Bethany n’est pourtant pas une vedette de cinéma ni de la chanson (quoiqu’elle a lancé un simple en octobre dernier). Elle s’est plutôt fait connaître en diffusant des vidéos de hauling (qui consiste à déballer ses achats devant une caméra) sur YouTube.

Spécialiste du genre, elle a commencé dès l’âge de 13 ans à se filmer dans sa chambre tout en exhibant des ombres à paupières ou des rouges à lèvres achetés à M-A-C ou à Sephora. Aujourd’hui, plus de huit millions de personnes suivent ses conseils mode et beauté sur sa chaîne YouTube.

Et elle n’est pas la seule vlogueuse (blogueuse qui utilise la vidéo) à être devenue célèbre grâce à ce réseau social, qui fête cette année son 10e anniversaire. Peut-être ne savez-vous pas qui est l’humoriste Shane Dawson, la mordue de mode Zoella ou encore la maquilleuse Michelle Phan. Ils se sont pourtant bâti des fanclubs à faire pâlir d’envie bien des vedettes… en publiant de simples vidéos d’amateurs.

Mais ces stars 2.0 peuvent-elles vraiment rivaliser avec les Jennifer Lawrence de ce monde? Aux yeux des jeunes, elles les ont pratiquement déclassées. En juillet dernier, le magazine Variety a voulu savoir quelles étaient les personnalités qui avaient le plus d’influence sur les Américains de 13 à 18 ans. À la surprise générale, ce sont cinq «YouTubers» qui sont arrivés en tête de liste – Jennifer, elle, était reléguée à la septième place!

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Il faut dire que les membres de la nouvelle génération passent plus de temps devant leur écran d’ordinateur que devant la télé. Selon la firme comScore, qui mesure les auditoires Web, les jeunes Canadiens de 18 à 24 ans ont regardé en moyenne 35 heures de vidéos en ligne en janvier 2015. C’est neuf heures et demie de plus que la population en général. Pour les Québécois de la même tranche d’âge, YouTube serait d’ailleurs le réseau social le plus populaire (suivi de près par Facebook), révèle une étude du CEFRIO, qui analyse notre utilisation des médias numériques. Pas étonnant que la popularité des vlogueurs monte en flèche!

Plus accessibles que Lady Gaga

La Montréalaise Cynthia Dulude est une de ces «YouTubers». En 2011, elle venait tout juste de terminer un cours pour être maquilleuse professionnelle lorsqu’elle a commencé à créer des vidéos sur la façon de réussir un trait d’eyeliner ou de camoufler des cernes. «Je regardais souvent des tutoriels sur YouTube et j’avais remarqué qu’il y en avait peu en français, et encore moins qui étaient produits au Québec. Je me suis dit que ce serait une bonne manière de me faire connaître et d’obtenir plus de contrats de maquillage.»

Au bout de deux ans, alors que sa chaîne comptait 300 nouveaux abonnements par jour, Cynthia a réalisé que ce passe-temps éclipsait sa carrière de maquilleuse. «Animer mes réseaux sociaux, répondre aux commentaires qu’on me laisse sur YouTube, Facebook, Twitter et Instagram, ça prend un temps fou!» lance cette pétillante brunette de 23 ans. Mais entretenir ce dialogue avec ses «abonnés», comme elle les appelle, a porté ses fruits: aujourd’hui, elles sont plus de 334 000 à la suivre sur YouTube. «L’autre jour, je me suis même fait reconnaître par des touristes français qui étaient de passage à Montréal! En fait, j’ai plus d’abonnés en France qu’au Québec. Il y a des gens de toute la francophonie qui me regardent.»

Selon Arnaud Granata, vice-président des éditions Infopresse, c’est ce lien de proximité que certains «YouTubers» parviennent à tisser avec leurs fans qui explique leur succès. Contrairement aux stars comme Lady Gaga et Angelina Jolie, qui sont inaccessibles, Bethany Mota et Cynthia Dulude sont des filles qui nous ressemblent; elles pourraient être nos copines ou nos sœurs. «Parce qu’on peut interagir avec elles sur les médias sociaux, on a l’impression qu’elles sont plus près de nous», souligne-t-il. M. Granata croit d’ailleurs qu’un nombre grandissant de célébrités suivent l’exemple des vedettes du Web: «Véronique Cloutier, Ellen DeGeneres et Oprah alimentent elles-mêmes leurs comptes Twitter et Facebook. Elles ont compris que c’était plus avantageux pour elles, car ça les rapproche de leurs fans.»

Pour sa part, le blogueur et spécialiste des réseaux sociaux Mikael Lebleu fait remarquer que certains contenus parmi les plus populaires sur YouTube sont générés par des têtes d’affiche des médias traditionnels, comme les animateurs de talkshows Jimmy Fallon et Jimmy Kimmel. «Ces vidéos leur permettent de prolonger en ligne l’expérience des téléspectateurs ou encore de rejoindre un segment de la population qui ne regarde pas la télé.»  

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Millionnaire grâce à YouTube

Être vlogueur peut aussi se révéler très payant. Parlez-en à Felix Kjellberg (photo), alias PewDiePie, dont les revenus annuels dépassent les 4 000 000 $ US, selon le Wall Street Journal. Le concept de ce Suédois de 25 ans n’a cependant rien d’exceptionnel: il se filme pendant qu’il joue à des jeux vidéos. N’empêche qu’avec plus de 35 millions d’abonnés il est de loin le plus populaire des «YouTubers». Et aussi le mieux payé.

Il faut savoir que les vlogueurs tirent leurs revenus des différentes publicités qui apparaissent sur leur chaîne YouTube. Google – qui est propriétaire de YouTube depuis 2006 – leur verse des redevances équivalant à 55 % des ventes publicitaires chaque fois qu’une de leurs vidéos atteint une tranche de mille visionnements. Les «YouTubers» qui diffusent les contenus les plus populaires réussissent ainsi à empocher des centaines de milliers, voire des millions, de dollars par année. Et c’est sans compter l’argent qu’ils peuvent obtenir en concluant des partenariats avec de grandes marques. Par exemple, Michelle Phan a lancé en 2013 sa gamme de cosmétiques en collaboration avec L’Oréal. Et les Montréalais d’Epic Meal Time, qui se sont fait connaître en inventant la fameuse «pizza fastfood» (garnie notamment de rondelles d’oignon et de croquettes de poulet), ont déjà eu des ententes avec les sites Netflix et GameFly. Et à la quantité de bouteilles de Jack Daniel’s qui apparaissent dans leurs vidéos, on ne serait pas surpris si ces mangeurs extrêmes étaient commandités par la célèbre marque de whiskey.

Selon Arnaud Granata, les «YouTubers» parviennent à capter l’attention de la génération Y, une cible difficile à atteindre pour les annonceurs. «Les jeunes sont des consommateurs très influents et ils représentent un énorme pouvoir d’achat, affirme-t-il. Par contre, ils regardent moins la télé que leurs aînés et ne font pas confiance à la publicité traditionnelle.» En commanditant des stars 2.0, les marques parviennent à rejoindre un auditoire bien plus ciblé que celui des pubs télévisées… et elles dépensent beaucoup moins que si elles engageaient une célébrité hollywoodienne!

L’an dernier, Cynthia Dulude a accepté de faire la tournée des pharmacies Jean Coutu du Québec pour la marque de cosmétiques StudioMakeup afin de discuter de ses coups de cœur avec les clientes. Même si elle vit encore modestement de ses redevances provenant de YouTube, elle préfère ne pas s’associer à une seule marque, histoire de conserver sa crédibilité aux yeux de ses abonnés. «Ça prend beaucoup de temps avant d’acquérir un auditoire important, et on peut facilement perdre un grand nombre d’abonnés d’un seul coup à cause d’un faux pas.» Mikael Lebleu confirme que les amateurs de YouTube sont réfractaires à la publicité; les vlogueurs doivent donc éviter d’avoir l’air de faire une «plogue». «Pour qu’une association fonctionne, le produit doit être intégré dans la vidéo de façon naturelle ou extrêmement originale. On ne doit pas détecter de rupture de ton.»

La télé de demain?

À voir la popularité de YouTube auprès des jeunes, on serait tenté de croire que ce site est en train de court-circuiter l’industrie de la télévision, de la même manière que Myspace et Napster l’ont fait pour celle de la musique. Selon Arnaud Granata, cette mutation est déjà en cours. «Au même titre qu’Amazon et Netflix, qui produisent leurs propres séries afin de rivaliser avec les chaînes de télévision, YouTube est assurément un joueur à surveiller.» En janvier dernier, le populaire réseau social annonçait d’ailleurs son intention de créer du contenu original d’ici la fin de l’année. Mais pas question d’imiter ce qui se fait à la télé: on veut plutôt propulser la carrière des «YouTubers» les plus créatifs. Curieusement, de plus en plus de vlogueurs se font courtiser par les chaînes de télé (les gars d’Epic Meal Time ont maintenant une émission à FYI Network, et Shane Dawson planche sur un projet de télésérie pour NBC), sans compter les grands studios comme Disney et DreamWorks qui font l’acquisition des chaînes les plus rentables sur YouTube.

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Selon Michael Strangelove, professeur au Département de communication de l’Université d’Ottawa, il s’agit d’un retour du balancier. «Le 20e siècle donnait surtout la parole aux élites et faisait de nous des consommateurs contraints et passifs», affirme l’auteur du livre Watching YouTube: Extraordinary Videos by Ordinary People. «Grâce au Web, les gens ont maintenant le loisir de regarder, de diffuser et de partager le contenu qu’ils veulent, quand ils le veulent et avec qui ils veulent, sans passer par les médias de masse traditionnels. C’est un beau pied de nez à l’autorité!»

Pour certains, YouTube représente plutôt un nivellement par le bas. N’y trouve-t-on pas une quantité astronomique de vidéos mettant en scène des chats… et du contenu beaucoup moins adorable? Quant aux «YouTubers», ne sont-ils pas des vedettes interchangeables qui, à l’instar de celles des téléréalités, sont prêtes à tout pour obtenir leurs 15 minutes de gloire?

Fabien Loszach, chroniqueur radio à l’émission La sphère, n’est pas de cet avis. «Il faut beaucoup de courage pour faire ce qu’ils font, et je ne crois pas que le quart d’heure de gloire soit leur finalité. Ce sont de vrais artistes qui travaillent fort pour changer les bases et les codes des médias traditionnels.» Aucun doute là-dessus: les «YouTubers» sont en train de changer le visage du divertissement… une vidéo à la fois!  

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