Dissipons tout de suite le brouillard entourant les raisons de cette légalisation. Car il y a eu méprise: comme le cannabis à usage médical est légal au Canada, certains ont cru que c’est pour nous aider à soulager nos bobos que le gouvernement souhaite légaliser la marijuana. Mais c’est plutôt pour que ce commerce cesse de profiter au crime organisé qu’il le fait, et c’est pour améliorer la santé publique et protéger les jeunes qu’il veut encadrer la vente et l’usage de ce produit. Inutile de se mentir: il se fume déjà beaucoup de cannabis au Canada. C’est même le pays développé où les mineurs en consomment le plus! Ici comme ailleurs, le pot est la troisième des substances psychoactives les plus consommées, après le tabac et l’alcool.

Inquiétudes légitimes

Mais le projet de loi de Justin Trudeau ne fait pas que des heureux. De nombreux experts en santé mentale redoutent les effets qu’aura cette légalisation sur le développement du cerveau des jeunes. Verra-t-on leur consommation augmenter et, par conséquent, risqueront-ils plus de souffrir de problèmes de mémoire ou de troubles mentaux? D’autres, dont le ministre québécois de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, craignent des problèmes de santé et de sécurité publiques. Comment contrôlera-t-on la conduite d’un véhicule avec les facultés affaiblies par un joint, quand on sait que le cannabis altère les capacités motrices et cognitives?

Un coup d’oeil au sud de la frontière pourrait nous aider à y voir plus clair, puisque huit États américains ont légalisé le cannabis à des fins récréatives, dont le Colorado, la Californie et le Maine. Or, difficile de tirer des conclusions fiables, car les modalités d’application de la loi diffèrent d’un État à l’autre. On note cependant qu’au Colorado, la consommation est demeurée stable chez les adolescents, mais a augmenté légèrement chez les 18 à 25 ans. On a aussi remarqué une baisse de la criminalité, la création de nouveaux emplois… et l’injection de beaucoup de dollars dans les coffres de l’État!

Mais tout n’est pas rose. Plusieurs enfants se sont intoxiqués en mangeant des gâteaux contenant du cannabis. Et le marché noir prend de l’expansion, car nombreux sont ceux qui achètent de la mari au Colorado pour la revendre plus cher dans les États environnants, où elle est toujours illégale.

Bref, l’herbe n’est pas complètement verte chez ceux qui l’ont légalisée. Reste que les directeurs de la santé publique du Québec ont appuyé le projet de loi, soulignant dans un mémoire que la prohibition avait «échoué à diminuer substantiellement le taux de consommateurs, notamment chez les jeunes», et qu’elle augmentait même les «impacts sanitaires et sociaux potentiels de la consommation».

Fumer pour soulager

Pour l’instant, au Canada, seul l’usage du cannabis à des fins médicales est autorisé. Stéphanie, atteinte de spondylarthrite ankylosante (SPA), en profite. «Ça m’aide vraiment à gérer mes douleurs chroniques et mes problèmes articulaires. Je fume du cannabis séché, et j’en consomme aussi sous forme d’huile, que je mets directement sur ma langue ou dans ma vinaigrette à salade. C’est en fumant de façon récréative que j’ai réalisé que c’était efficace, et dès ce moment, je me suis acharnée à m’en faire prescrire.» La route a été longue, car au Québec, on doit faire partie d’un projet de recherche pour avoir accès au cannabis médical. Pour mieux dormir, Stéphanie prend aussi des comprimés de nabilone, un cannabinoïde synthétique reconnu par Santé Canada (et donc plus aisé à obtenir par l’entremise d’un médecin).

À Québec, Valérie Pouliot, copropriétaire du Centre de ressources de Cannabis (un service d’aide pour trouver un médecin hors Québec qui voudra nous autoriser à consommer du cannabis médical, moyennant quelques centaines de dollars), soulage ses contractions musculaires causées par l’anxiété grâce au cannabis. Au fait des risques liés à la combustion, elle le prend principalement sous forme de comprimés de cannabidiol (CBD) plutôt que de le fumer. «Plusieurs clients du Centre en consomment aussi pour l’arthrite, l’épilepsie, le Parkinson», rapporte-t-elle, ajoutant que ces pilules aident à dormir, apaisent les douleurs menstruelles et sont «bonnes pour l’humeur».

Une crème de CBD fait aussi des merveilles pour son psoriasis, ajoute celle qui considère d’abord le cannabis comme une médecine naturelle. «Plusieurs le voient comme une drogue, mais c’est avant tout une plante. Sous forme de tisane, ça fait moins peur aux gens…»

Alors, Docteur, c’est bon ou pas?

Pour l’heure, difficile de déterminer avec certitude les effets du cannabis sur la santé. Principale raison: la substance étant toujours illégale, peu d’études ont été menées.

On sait que la marijuana peut soulager certains symptômes, mais aussi qu’elle a des effets nocifs: troubles de la mémoire, risque de dépendance, de troubles mentaux et de psychoses. Bref, comme n’importe quel médicament, elle a de bons et de mauvais côtés. Comme l’alcool aussi.

«Beaucoup de variables entrent en ligne de compte dans l’effet du cannabis sur la santé: le dosage, la fréquence de consommation, l’âge auquel on a commencé à en prendre… En outre, si on le fume, ce sera plus dommageable pour les poumons que si on le consomme avec un vaporisateur», explique le Dr Mark A. Ware, directeur de la recherche clinique à l’Unité de gestion de la douleur Alan-Edwards du CUSM, professeur adjoint aux départements de médecine de famille et d’anesthésie de l’Université McGill et viceprésident du Groupe de travail sur la légalisation et la réglementation du cannabis.

«On a tendance à minimiser les problèmes sociaux et sanitaires associés à l’alcool, et à exagérer ceux liés au cannabis. Pourtant, pour l’instant, on peut affirmer que l’alcool cause beaucoup plus de dommages que le cannabis», affirme pour sa part le Dr Réal Morin, médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec, où il a coordonné des travaux sur cette substance dans le cadre de la légalisation.

Évidemment, enchaîne-t-il, lorsqu’il est fumé, le cannabis n’est pas un produit banal. «Il compte plusieurs substances toxiques et est souvent fumé sans filtre, donc la pénétration dans les poumons est forte. Reste que les données qu’on a suggèrent que ses effets néfastes sont moindres que ceux du tabac.»

Ce qui est le plus préoccupant concerne le développement du cerveau des jeunes et les effets sur la santé mentale. «Pour ça, il n’y a aucun doute: fumer du cannabis dès un jeune âge et fréquemment peut causer des troubles cognitifs, de l’attention et de la mémoire, et affecter la réussite scolaire. Les gens qui consomment ont aussi plus de risques de souffrir de psychoses ou de schizophrénie, mais on s’interroge encore: est-ce le cannabis qui cause la maladie mentale, ou favorise-t-il seulement son expression? Quoi qu’il en soit, les craintes sont justifiées», expose le Dr Morin.

Malgré le manque d’études, certains effets positifs du cannabis ont été révélés. Les deux médecins affirment que des éléments de preuve suggèrent qu’il peut effectivement soulager les douleurs chroniques, surtout neuropathiques, par exemple celles causées par la sclérose en plaques.

«Des patients déclarent que le cannabis a des bienfaits sur une multitude d’autres symptômes ou maladies, comme l’anxiété, la difficulté à dormir, le cancer, l’Alzheimer, les douleurs menstruelles, l’endométriose… Mais nous n’avons pas de preuves scientifiques ou cliniques», souligne le Dr Ware. La légalisation devrait permettre de corriger le tir.

Ça plane pour moi

Pas besoin d’en avoir déjà fumé du bon pour savoir qu’un joint, au-delà de ses possibles vertus analgésiques, a d’abord le pouvoir de rendre euphorique et de détendre. Et c’est ce qu’une grande partie des consommateurs recherchent. Hormis les nombreuses vedettes ayant révélé leur penchant – passé ou présent – pour la fumette, comme Miley Cyrus, Madonna, Jennifer Aniston ou Lady Gaga, vous avez sûrement une voisine ou un frère qui a fait de dame Marie-Jeanne sa complice de décompression.

C’est le cas d’Alex, fin trentaine, qui fume quelques fois par semaine, en solitaire. «Le soir, quand j’ai terminé toutes mes tâches, ça me détend. Par contre, ça reste un démotivateur… Si quelqu’un m’appelle pour sortir, je vais sûrement refuser», rigole-t-elle.

Chez Annie, jeune quadragénaire en couple et mère d’un enfant, l’effet est inverse. Elle fume deux ou trois fois par jour, en très petite quantité, pour se motiver. Oubliez l’image de la poteuse amorphe affalée sur le sofa entre deux tas de vêtements pêle-mêle: «Fumer me permet d’être plus efficace, par exemple avant de faire le ménage ou la cuisine… J’ai l’impression que ça m’aide à me concentrer», rapporte-t-elle.

Elle remarque cependant des inconvénients: elle tousse souvent et met du temps à guérir d’un simple rhume. Elle aimerait aussi mieux contrôler sa consommation, consciente de la dépendance qu’elle a développée.

Sera-t-elle à l’aise d’annoncer à ses beaux parents qu’elle fume, une fois le cannabis légalisé? «Ça prendra du temps, croit-elle. Pourtant, mon chum boit une ou deux bières par jour, et personne n’y voit de problème… Est-ce vraiment moins pire?» 

FEMMES ENCEINTES: PRUDENCE!

Comme l’alcool et le tabac, le cannabis fait partie des substances que les femmes enceintes devraient éviter. il peut affecter la santé du foetus ainsi que le développement cognitif et le rendement scolaire de l’enfant qu’il deviendra. les risques d’hyperactivité, de troubles de l’attention, d’abus de substances et de délinquance à l’adolescence augmentent aussi.