Quatres pères témoignent
Les chiffres sont révélateurs, même s’ils ne disent pas tout. Au Québec, près d’un enfant sur trois ne réside plus au quotidien avec ses deux parents biologiques. La probabilité qu’il vive en résidence alternée chez l’un et chez l’autre est, pour sa part, en croissance, la garde partagée étant de plus en plus populaire. Déjà en 2000, 37 % des enfants de parents divorcés au Québec avaient fait l’expérience de la garde partagée, selon Statistique Canada.

«Et les chiffres sont en dessous de la réalité, parce qu’il y a des gardes partagées qui ne sont pas comptabilisées», précise Claudette Guilmaine, auteure de Vivre une garde partagée en soulignant notamment la popularité des unions de fait au Québec. Richard, Francis, Sébastien et Martin (les prénoms ont été changés pour des raisons de confidentialité) font partie de ces statistiques fantômes.

Sans être forcément représentatifs – tous disent avoir une bonne relation avec leur ex-conjointe -, ces quatre pères ont en commun de n’avoir jamais voulu jouer les papas de fin de semaine. Comment s’en tirent-ils avec leurs bambins? Quelles sont leurs inquiétudes et leurs aspirations? Ils nous le racontent. Et le médiateur familial Jean-Claude Plourde partage son expérience de travail avec nous.

 

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Le choix de la garde partagée

Comment le choix de la garde partagée s’est-il imposé?

 Richard (père d’une adolescente dont il a la garde partagée une semaine-une semaine depuis 12 ans)  Ça s’est fait tout naturellement, ça n’a même pas été un véritable sujet de discussion.

Francis (père d’un garçon et d’une fillette dont il a la garde partagée deux jours-trois jours depuis quatre ans) C’était essentiel pour moi d’avoir la garde partagée de nos enfants. Je n’avais pas envie de devenir un papa de fin de semaine, comme chantait Richard Séguin. Je voulais que mes enfants puissent dire plus tard: «Leur couple n’a pas fonctionné mais aucun de nos parents ne nous a abandonnés, aucun ne nous a moins aimés.» Ce n’était pas une question d’équité; mon ex et moi souhaitions simplement limiter les dégâts, dans une situation qui reste tout de même assez tragique.

Sébastien (père d’un adolescent dont il a la garde partagée depuis 13 ans, d’abord deux jours-trois jours, puis une semaine-une semaine)Il était évident aux yeux de mon ex et des miens que notre fils devait vivre autant chez moi que chez sa mère. Je m’étais toujours impliqué dans son éducation; aussi, je ne m’imaginais pas agir autrement après la séparation. Auparavant, mon ex travaillait à plein temps, et moi, à mi-temps; j’allais donc chercher mon fils à la garderie, faire les courses avec lui. Pour la bouffe, les soins et le reste, les tâches avaient toujours été également réparties. Ça m’aurait paru complètement bizarre de modifier cet équilibre.

Martin (père d’une fillette dont il a la garde partagée flexible trois jours- trois jours depuis quatre ans) Ça allait de soi. Je ne me souviens pas d’avoir eu une discussion vraiment sérieuse à ce sujet-là.

 

Jean-Claude Plourde (médiateur familial) Les choses ont évolué: aujourd’hui, on reconnaît davantage la place que les deux parents doivent avoir auprès de leurs enfants. Par contre, les couples peuvent choisir la garde partagée trop rapidement, alors que les conditions ne sont pas encore réunies pour que ça fonctionne. C’est le cas de certains parents qui ne s’entendent pas et ne sont pas capables de se parler. J’en ai vu qui étaient prêts à tout pour obtenir la garde partagée, ils voulaient à tout prix que ce soit «égal», comme s’ils se partageaient des boîtes de jus de tomate… Il arrive aussi que les motivations soient douteuses: ça peut être une façon, par exemple, de réduire le montant de la pension alimentaire à verser.

 

Comment se sont déroulés les débuts de votre garde partagée?


Richard
Ç’a été beaucoup de responsabilités parce que je n’avais pas l’habitude de m’occuper de toutes les tâches à la fois. Prendre soin d’une petite d’un an et demi exige énormément d’organisation. Pendant la semaine que ma fille passait chez moi, je partais un peu plus tard de la maison et je revenais plus tôt du travail. La semaine où j’étais seul, je passais mon temps au bureau.

Francis Entre la fatigue, la colère, la souffrance de la séparation et les amis qui choisissent leur camp, les premiers temps sont difficiles. C’était d’autant plus dur que notre petite fille n’avait que six mois. Elle se réveillait souvent la nuit; il fallait la nourrir.

J.-C. Plourde La vie est loin d’être facile après une séparation, d’autant plus qu’un bon nombre de pères ne font pas la différence entre leur nouveau rôle de parent séparé et leur ancien statut de conjoint. Certains traînent leur passé comme un boulet; ils sont bourrés de souvenirs négatifs.

Avez-vous dû faire des sacrifices?


Richard
J’ai choisi de ne pas accepter certaines promotions et, par conséquent, de ne pas avancer aussi vite dans ma carrière. Je n’ai cependant aucun regret.

Sébastien S’il n’y avait pas eu mon fils, je serais reparti dans mon pays d’origine, en Europe, après ma séparation. À plusieurs reprises, j’ai eu l’idée de partir mais, chaque fois, je me répétais que non, ce n’était pas possible. Il y a sans doute, à l’occasion, des divergences d’opinion entre votre ex et vous.


Francis
En ce moment par exemple, la mère de mes enfants et moi, nous nous demandons si nous allons choisir l’école privée ou l’école publique. Elle croit à l’homéopathie, moi pas. Qu’est-ce qu’on fait? C’est le même genre de question qu’on se pose lorsqu’on est en couple. La différence, c’est que quand il n’y a plus d’amour, les discussions sont un peu de type bureaucratique. Il faut faire des compromis, prendre sur soi, et accepter que lorsque les enfants ne résident pas avec soi, on ne peut pas décider de ce qu’ils mangent, du nombre d’heures qu’ils passent à regarder la télé, etc.

Sébastien Un des gros défis de la garde partagée est que l’enfant est obligé de s’accorder à deux modes de vie, à deux types de valeurs différentes. Dans mon cas, ça n’a pas vraiment été un problème car mon ex et moi, nous sommes sur la même longueur d’onde 90 % du temps. Cependant, nous n’avons pas le même niveau de vie. Forcément, des questions se posent sur la consommation, l’argent de poche…

Richard S’efforcer de maintenir une bonne relation est beaucoup moins pénible que de devoir régler des problèmes engendrés par des conflits.

J.-C. Plourde Combien de fois ai-je entendu des pères répliquer aux mères: «Ce qui se passe chez moi, ça ne te concerne pas!» Je m’insurge contre ça. Il devrait y avoir une obligation formelle pour les parents de se parler, de prendre des décisions ensemble et de collaborer pour le bien de leurs enfants. On dit que les mères ont tendance à être «contrôlantes».

 

Mères contrôlantes? Est-ce un mythe ou une réalité?


Francis
Les mères sont peut-être un peu plus inquiètes que les pères quand elles n’ont pas leurs petits auprès d’elles. C’est sûr que si, pendant trois jours, je donne à mon fils des sandwichs au jambon avec de la mayonnaise sur du pain blanc, sa mère risque de me le faire remarquer. Par contre, si, de son côté, elle agit de la même manière, ça ne me dérange pas.

Martin Quand la mère de ma fille a une inquiétude, elle m’en parle: «J’espère qu’elle ne se couche pas trop tard», me rappelle-t-elle, par exemple. Ça ne me dérange pas. Quand je suis tanné, je réponds: «Écoute, je suis capable de m’occuper de notre enfant.» Je pense que, malgré tout, elle a plutôt confiance en moi… Cela dit, sa confiance est moins grande que celle que je lui accorde.

J.-C. Plourde Je vois parfois des mères se plaindre que les enfants reviennent de chez leur père un peu barbouillés, avec des vêtements qui n’ont pas été lavés. Chez ces mères-là, c’est le rôle de protectrice qui prend le dessus. En général, il n’y a pas de quoi s’alarmer.

Est-ce difficile d’introduire une nouvelle «amie»?


Francis
Je me souviens que, lorsque je me suis séparé, j’étais bouleversé  à l’idée qu’à un moment donné j’allais présenter une nouvelle amoureuse à mes enfants. Finalement, les deux femmes qu’ils ont rencontrées étaient très gentilles, et ils les ont adorées.

Richard Moi, j’ai toujours présenté mes copines très rapidement à ma fille. Oui, elle a connu pas mal de femmes! Mais je crois qu’elle est capable de distinguer les copines des amoureuses.

Martin La fois où ça s’est produit, ma fille était très jeune, ç’a donc été facile. Par contre, je risque de trouver ça plus compliqué la prochaine fois. Ma fille m’a déjà confié: «Papa, tu n’as pas besoin d’amoureuse, je suis là…»

Avez-vous vécu l’expérience d’une famille recomposée?


Sébastien
J’ai vécu avec une femme qui avait un fils du même âge que le mien. Je jouais donc un peu le rôle de père avec lui. Je lui disais ce qu’il devait faire, je le chicanais quand il le fallait, je l’aidais, je le consolais, je lui donnais son bain… Il me voyait comme un père, même de substitution. Ça me rendait assez mal à l’aise. Je l’aimais beaucoup, mais j’avais un peu

l’impression de trahir mon fils, pour qui j’étais un père à mi-temps alors que j’étais un père à temps plein pour cet autre enfant. Et puis, la relation entre les deux garçons s’est peu à peu transformée en compétition par rapport à moi. Je pense que ç’a été une période difficile pour mon fils.

J.-C. Plourde Il y a un grand nombre d’éléments à gérer dans les familles recomposées, mais aucun mode d’emploi n’est fourni. Toutefois, lorsqu’il y a de l’écoute et un désir réel de trouver des solutions pour favoriser le développement de l’enfant, bien des difficultés peuvent être aplanies.

 

Le quotidien et les défis de la garde partagée

Avez-vous parfois l’impression de mener une double vie: père pendant quelques jours, célibataire les autres?


Richard
Pour moi, cette double vie est naturelle. La semaine où je n’ai pas ma fille, je travaille fort et je suis sur le party. La semaine où je l’ai, je suis tranquille.

Martin Je pense que ça ne se dit pas, mais je suis quasiment content que ce soit comme ça! Ça me permet d’être autre chose qu’un père. Je mange des fruits et des légumes trois jours par semaine, et de la scrap les autres jours! Je blague, mais j’ai quand même la chance d’avoir une vie en dehors de la paternité. Pour le genre d’ado attardé que je suis, c’est une bénédiction. Je crois que ça me permet d’être un meilleur père, en fait. La journée précédant l’arrivée de ma fille, je m’ennuie beaucoup d’elle, j’ai hâte de la voir. Et quand elle est là, on passe de très bons moments ensemble et je suis complètement disponible pour elle.

J.-C. Plourde Tant mieux si des pères peuvent tirer profit de cette situation tout en préservant le bien-être des enfants! Malheureusement, ce n’est pas la majorité d’entre eux qui le vivent aussi harmonieusement.

Quel est le principal défi de la garde partagée?


Sébastien
Gérer la relation entre le nouveau conjoint et l’enfant me semble être un gros défi. Ma conjointe actuelle n’était pas à l’aise dans le rôle de la mère ou de la belle-mère d’un garçon de huit ans au début de notre relation. Les liens entre elle et mon fils se sont construits petit à petit.

Martin Maintenir une bonne relation avec la mère de ma fille et continuer à organiser des activités en famille sont la priorité à mes yeux. Récemment, nous sommes allés piqueniquer tous les trois. Si nous pouvions continuer comme ça, ce serait l’idéal pour ma fille.

Francis Pour moi, c’est de conserver de bons contacts avec la mère de mes enfants, malgré nos différences. Aujourd’hui, ça va très bien, je me sens appuyé et, à mon avis, on forme une bonne équipe. Si ce partenariat cessait de fonctionner, l’avenir de mes enfants risquerait d’être compromis. Il faut donc absolument préserver notre relation  et faire passer nos petits en premier. J’aimerais aussi qu’ils continuent de croire à l’amour et au couple, même si leurs parents se sont séparés.

J.-C. Plourde Le principal défi pour les pères est d’être capables d’entendre et de comprendre ce que les mères ont à dire. Je remarque que des pères n’écoutent pas certains propos importants de leur ex-conjointe parce qu’ils se sentent menacés par le ton qu’elle emploie…

 

 

Réussir la garde partagée

La garde partagée, Claudette Guilmaine connaît. Elle l’a vécue comme mère, étudiée comme chercheuse et conseillée en tant que médiatrice familiale. «C’est ce qui peut nous arriver de mieux dans le pire», écrit-elle en citant son fils, alors âgé de neuf ans, dans son livre Vivre une garde partagée (Éditions du CRAM/CHU Sainte-Justine).

Publié en 1991 et mis à jour récemment, son livre est un guide pour les parents séparés et les professionnels des milieux sociaux et juridiques. Premier constat: beaucoup de choses ont changé au cours des deux dernières décennies. Il y a 20 ans, la garde partagée était encore l’exception. Aujourd’hui, elle est en train de devenir la règle. Toutefois, cette partisane de la garde partagée s’inquiète de constater que de nombreux parents considèrent cette formule comme un droit, sans tenir compte des besoins de l’enfant. «Ce n’est pas parce que ce modèle s’impose de plus en plus qu’il n’y a pas de conditions à établir.» Mme Guilmaine insiste donc sur les conditions à réunir pour réussir l’alternance entre deux résidences (respect entre les parents, bonne communication, proximité, etc.).

Et, comme les parents se séparent de plus en plus tôt, elle consacre tout un chapitre au sujet controversé de la garde partagée pour les enfants en très bas âge. Certains professionnels sont d’avis que, pour bien composer avec deux milieux de vie différents, l’enfant doit être d’âge scolaire, ou à la limite ne pas dormir chez son père avant l’âge de quatre ans. Mme Guilmaine est plus nuancée. «Chaque famille est unique», souligne-t-elle. Pour de jeunes enfants, elle recommande notamment que l’alternance se fasse sur de courtes périodes (trois jours plutôt qu’une semaine) pour éviter qu’ils s’ennuient du parent absent.

Multipliant les «si», les «mais» et les «malgré», elle se réjouit toutefois que le mouvement en faveur de la garde partagée ne soit pas une mode, mais une lame de fond. «Un nombre croissant de pères désirent être présents dès la grossesse et veulent s’investir dans toutes les sphères du développement de l’enfant. C’est réellement réjouissant.»

 

 

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