Un jeudi soir, dans un bar. Martin me confie la surveillance de sa bière et sort fumer une cigarette. J’observe la faune qui passe sur le trottoir et je remarque un vélo qui, bien que verrouillé à un arbre, a glissé par terre. Les passants l’enjambent. Ce n’est qu’une question de secondes avant qu’un idiot marche dessus et s’amuse à briser les rayons des roues. Martin se penche, ramasse le vélo et le remet bien droit, appuyé contre l’arbre. Il ne sait pas que je l’ai vu, ne cherche pas de félicitations, rien. Un geste complètement gratuit.

J’ai trouvé ça rare et élégant. J’étais même un peu jaloux de ses bonnes manières. Ça m’a donné envie d’essayer ça, moi aussi. La courtoisie.

C’est plus difficile que ça en a l’air. Pour être courtois, il faut être très attentif à son environnement. Il faut lever le nez de son téléphone intelligent, sinon on ne voit pas la mère qui tente de sortir d’un commerce avec une poussette, tout en tenant dans ses bras un bébé en pleurs, trois sacs et un café brûlant. Il ne faut pas hésiter à se mouiller et à ramasser la girafe pleine de bave que le bébé a laissé tomber plutôt que de regarder ailleurs en faisant semblant de rien. En l’espace de quelques jours, je suis allé chercher le bac de récupération du voisin, qui s’était retrouvé en pleine rue à cause du vent, j’ai enlevé quelques paniers d’épicerie qui bloquaient des places de stationnement, j’ai aidé un aveugle à entrer dans le métro, plutôt que d’espérer que quelqu’un d’autre s’en charge, et je suis resté debout dans les transports en commun parce que je croisais toujours une personne plus âgée, plus enceinte ou plus à mobilité réduite que moi.

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Tout ça ne m’a pas coûté trop d’efforts et m’a même mis de bonne humeur.

Mais le plus pénible, quand on pratique la courtoisie, c’est de se heurter à l’absence de courtoisie de son prochain. Il faut surtout ne rien attendre en retour. Parce que c’est ce qu’on a, la plupart du temps: rien. Lorsqu’on tient la porte à une personne, c’est gratifiant de recevoir un grand sourire; par contre, ça ne l’est pas du tout si la personne nous ignore et nous marche sur les pieds. Ça, c’est une épreuve. C’est là qu’on découvre si on est vraiment courtois. Il faut prendre une grande respiration, contrôler nos nerfs, garder le sourire, réfréner notre envie d’insulter le malotru ou de lui mordre la jugulaire.

Et la plupart des gens échouent à cet exercice. Moi, le premier. Oui, j’ai bousculé quelqu’un qui se précipitait dans un wagon de métro sans me laisser le temps de sortir. Oui, j’ai fait un doigt d’honneur à quelques automobilistes pressés et imprudents. J’ai parfois même proféré des injures à voix basse. Si tous les gens que je croise étaient comme Martin, être courtois serait nettement plus facile.

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