Enfant, j’ai sans doute aimé Noël. Je présume que oui. Ce qui me revient à l’esprit, c’est surtout la joie que j’éprouvais en ouvrant mes cadeaux, une joie éphémère qui s’éteignait dès que j’en découvrais le contenu. J’avais rêvé pendant des semaines qu’on m’offrait une fusée, un tank ou, au pire, une Lamborghini… Mais non, chaque année, je recevais de vulgaires jouets. Je n’ai pas oublié ce Goldorak en plastique dont le poing, quand on appuyait sur un bouton, se détachait pour s’élever mollement dans les airs avant d’atterrir à ses pieds. Ce n’était certainement pas lui qui allait me défendre contre d’éventuels envahisseurs extraterrestres. Dans le dessin animé, ça faisait «craaac!», «boum!», «pow!», «bedang!», mais ce jouet, dans mes mains, ne faisait que «crouic» et «plop». La réalité était toujours moins excitante que ce que je m’étais imaginé.

À cet âge, les cadeaux n’étaient rien de plus qu’une source de déception. Lorsque j’ai été assez vieux pour devoir en acheter à mon tour, ils sont aussi devenus une cause de stress intense. J’ai découvert les listes de suggestions remplies d’articles en rupture de stock, les centres commerciaux bondés et les clients hystériques qui n’hésitent pas à piétiner femmes et enfants pour agripper le dernier exemplaire de la poupée de l’heure.

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On dit que c’est l’intention qui compte, mais c’est complètement faux. Quand j’offre à quelqu’un une boîte de Ferrero Rocher prise en vitesse dans une pharmacie, je devine son jugement: il en déduit aussitôt que je n’étais pas envoûté par la magie du temps des Fêtes en l’achetant. Et puis, c’est déchirant de voir un ami feindre la joie et y aller d’un «oh!» sans conviction pendant qu’il déballe une cravate qu’on avait retrouvée au fond d’un placard en faisant du ménage. Et plus ça va, plus c’est difficile de trouver le bon cadeau. La belle-soeur est maintenant allergique au gluten et à dix mille autres substances. La cousine s’est mise à bouder tout ce qui n’est pas équitable et bio. Plus moyen d’offrir un gâteau aux fruits, des pâtes alimentaires en forme de pénis ou un ensemble de salière et poivrière fabriqué en Chine sans risquer de créer un malaise.

Les grands-parents peuvent raconter pendant des heures leurs plus beaux souvenirs des Noëls d’antan. Ils parlent des réunions familiales bordéliques et festives, des buffets copieux, de la belle-soeur accordéoniste ou du cousin violoneux, et même de l’oncle alcoolique déguisé en père Noël qui déboulait les escaliers et faisait peur aux enfants. Des dizaines de moments empreints d’émotions et de nostalgie. Étrangement, malgré sa mémoire infaillible, ma grand-mère a déjà oublié la couverture Snuggie à imprimé camouflage que je lui ai offerte l’année dernière. Noël sans cadeaux serait une fête parfaitement réussie. Fini, les déceptions et l’embarras, les bousculades dans les magasins, les cauchemars peuplés de banquiers qui nous courent après et les malaises cardiaques quand arrivent les relevés de cartes de crédit. Cette année, je vais tenter de lancer une mode en ne donnant rien à personne. Avec tous ces trucs moches que j’ai l’habitude d’offrir, nul doute que mes proches accueilleront ma nouvelle initiative comme le plus beau des cadeaux.

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