Vingt-sept ans: rencontrer l’homme de ma vie. 28 ans: acheter un condo. 29 ans: décrocher le poste de mes rêves. 30 ans: avoir un enfant. Voilà le plan de vie idéal que j’avais imaginé plus jeune. J’aurai 30 ans dans quelques mois, je n’ai toujours pas rencontré le père de mes enfants, et je suis encore loin du jour où j’aurai accumulé assez dans mon REER pour pouvoir le «raper». Tandis que je m’interroge sur mon avenir, je ne compte plus le nombre d’amies qui m’annoncent qu’elles sont enceintes ou qu’elles font l’acquisition d’un condo…

Par exemple: ma copine Ève. Elle a fait la connaissance de son copain à 24 ans, a acheté son condo à 26 ans et a obtenu le poste de ses rêves à 29 ans. Le hic? Elle n’est pas tout à fait certaine de vouloir un enfant. «J’ai de la difficulté à trouver le sommeil, confie Ève. J’ai l’impression qu’à partir de maintenant mes décisions auront un impact énorme sur ma vie et je trouve ça stressant d’avoir si peu de temps pour penser à ce que je veux vraiment.»

Tout comme moi, elle angoisse à l’idée de passer le cap de la trentaine.

 Une crise à deux visages

Mon amie et moi ne sommes pas les seules à ressentir un malaise lié au «30» fatidique, comme me le confirme la psychologue clinicienne montréalaise Jocelyne Bisaillon. Celle-ci s’étonne de la proportion de patients âgés de 25 à 35 ans qui, depuis environ cinq ans, la consultent parce qu’ils souffrent d’une crise existentielle. «Soit ces jeunes adultes n’ont pas encore réalisé les buts qu’ils s’étaient fixés à 20 ans, soit ils ont déjà accompli tout ce que la société attendait d’eux, me dit-elle. Mais dans les deux cas, ils vivent sensiblement la même chose: ils ne sont pas heureux.»

Les Anglais distinguent deux phénomènes: la quaterlife crisis, surtout fréquente chez les 25-30 ans, et la thrisis, qui frappe plutôt les 30-35. En Grande- Bretagne, le premier est très marqué: selon un sondage réalisé par le site d’emplois Gumtree.com, 86% des 1100 jeunes interrogés sentent qu’ils sont poussés à réussir leur vie amoureuse et professionnelle avant de passer le cap de la trentaine. Quant au deuxième, il a été mis en lumière par la Britannique Kasey Edwards dans son livre 30 Something and over It. Un matin, l’année de ses 33 ans, cette auteure consultante en marketing n’a simplement pas voulu se lever pour aller travailler. «J’avais réalisé tout ce qu’on est censé avoir accompli avant 30 ans, m’a-t-elle raconté. J’avais fait des études universitaires et obtenu un très bon emploi, et pourtant, je n’étais pas heureuse. Je me sentais coupable de ne pas être satisfaite, et lorsque j’ai finalement osé me confier à une amie, celle-ci m’a avoué, à ma grande surprise, ressentir la même chose que moi!»

Image et médias sociaux

Une des caractéristiques de la «crise de la trentaine», c’est justement le silence qui l’entoure. Au moment d’écrire l’ouvrage Get It Together: Surviving Your Quarter Life Crisis, le journaliste anglais Damian Barr a interrogé ses pairs sur la pression qui pesait sur leurs épaules à l’approche de la trentaine et a constaté que ceux-ci n’osaient pas vraiment en parler.

«Quand on regarde leur profil Facebook, impossible de percevoir l’angoisse qui afflige ces jeunes adultes, constate le journaliste. Pourtant, la réalité est tout autre. Souvent, ils ne savent pas vers qui se tourner pour se confier, parce que certains spécialistes prennent la crise de la trentaine à la légère, celle-ci étant un phénomène assez nouveau. Comme les générations précédentes ont évolué dans un contexte complètement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui, elles ne sont pas conscientes de la pression que ces jeunes ont à subir aujourd’hui.»

Selon Jocelyne Bisaillon, la crise des 30 ans est en partie causée par l’importance du paraître et de la performance dans notre société. «Ces jeunes adultes sont perdus devant la mer de possibilités qui leur est offerte, ajoute-t- elle. Ils veulent à tout prix choisir la bonne carrière, le bon partenaire.» La peur de ne pas prendre les bonnes décisions de vie les pousserait donc à passer rapidement d’un emploi ou d’une relation à l’autre.

Cette pression de la réussite serait exacerbée par l’importance que les médias sociaux prennent dans la vie des membres de la génération Y. «Les médias sociaux comme Facebook nous poussent à nous comparer constamment aux autres et à nous présenter sous notre meilleur jour, en mettant de l’avant notre état civil, l’emploi qu’on occupe, les amis qu’on côtoie, les évènements auxquels on assiste, souligne Madeleine Pastinelli, sociologue spécialisée en médias sociaux. Cette tendance à la comparaison est encore plus forte pour ceux et celles qui, à l’approche de la trentaine, n’ont pas atteint les buts qu’ils s’étaient fixés ou qui ne sont pas heureux dans leur choix de vie.»

Peu de recherche sur le sujet

On connaît bien la crise de la quarantaine, ou midlife crisis. Mais en quoi se distingue-t-elle de la crise de la trentaine? «Souffrir de la crise de la quarantaine, c’est regarder en arrière avec regret, a expliqué Kasey Edwards à un quotidien britannique. On a l’impression que nos plus belles années sont passées, qu’on les a gaspillées et qu’il est trop tard. On achète alors une voiture de sport ou on se fait refaire les seins, pour se sentir jeune de nouveau. Quand on vit une thrisis, c’est le contraire qui se produit; on regarde en avant et on se dit: « Je ne veux pas que les 30 prochaines années ressemblent à ce que je vis en ce moment. »»

Mis à part quelques ouvrages de «psycho pop» qui y sont consacrés, la crise de la trentaine reste beaucoup moins documentée que la crise de la quarantaine. Ce nouveau phénomène commence toutefois à intéresser plus sérieusement les chercheurs. Oliver Robinson, professeur en psychologie à l’Université de Greenwich, à Londres, a présenté en mai dernier les résultats de la première recherche sur le sujet lors de la Conférence annuelle de la Société britannique de psychologie.

«Il s’agit de la première étude sérieuse, empirique, basée sur des données et non sur de simples hypothèses», affirme l’éminent spécialiste des cycles de vie.

Pendant plusieurs années, ses collègues et lui ont suivi 50 personnes qui traversaient une crise de la trentaine. Il estime que celle-ci affecterait environ une personne sur cinq, particulièrement les jeunes adultes de 25 à 35 ans, scolarisés et vivant dans un pays industrialisé.

«Pour certaines personnes, cette période de transition se fait sans heurt, tandis que d’autres remettent en question tout ce qu’elles ont construit au cours de leur vingtaine, explique le chercheur. La trentaine devient pour elles le vrai passage à l’âge adulte.»

Oliver Robinson a dégagé quatre phases de la crise de la trentaine, qui s’étire habituellement sur une période d’environ deux ans. La première consiste à se sentir prisonnier de sa situation, d’un emploi ou d’une relation par exemple. «On veut quitter cet état, dans lequel on se sent pris au piège.» La deuxième phase est celle du changement. «On se sépare mentalement ou physiquement de ce qui nous empêchait d’être véritablement nous-même. On tente d’autres expériences qui correspondent mieux à nos intérêts.» La troisième phase est celle de la construction d’une nouvelle vie. Enfin, durant la dernière phase, on renforce sa nouvelle identité.

 

Il y a deux ans, après avoir fêté son 30e anniversaire au Club Med avec son chum et des amis, Victoria a traversé ces phases. «Quelques jours après mon retour, j’ai décidé de quitter mon conjoint qui partageait ma vie depuis neuf ans, confie-t-elle. Ma famille et mes amies ont été sous le choc parce que, pour eux, nous formions le couple idéal. Je n’étais pas malheureuse avec lui, mais je n’avais plus envie de cette vie tracée d’avance. J’ai donc dû vendre la maison qu’on venait de s’acheter, de même que tous mes meubles. J’ai aussi choisi de prendre mes distances avec certains amis et j’ai même changé de garde-robe. J’ai vraiment fait un grand ménage dans ma vie.» Après une folle période où elle a déménagé dans le Vieux- Montréal, fait la fête tous les soirs, voyagé et dépensé sans compter, Victoria cherche présentement à regagner un certain équilibre. «Je me suis donné un an pour faire des folies et tenter toutes sortes d’expériences. J’en avais besoin, explique-t-elle. J’ai redécouvert quels étaient mes goûts et qui j’étais en tant que femme. Je me suis retrouvée, quoi!»

Une renaissance

Comme Victoria, les personnes qui ont participé à l’étude d’Oliver Robinson ont toutes quitté leur conjoint, ou leur emploi, ou les deux à la fois. Certaines d’entre elles sont retournées sur les bancs de l’école, d’autres ont changé de travail, ou ont fait une thérapie. «Au final, 80% des participants affirment que cette période de crise a eu une incidence favorable sur leur vie», assure-t-il. La crise de la trentaine serait donc bénéfique pour qui sait la traverser et voir les nouvelles possibilités qu’elle offre. Les gens qui l’ont vécue et qui ont fait les changements nécessaires qui s’imposaient dans leur vie courraient également moins de risques de connaître une nouvelle crise dans la quarantaine, selon le chercheur.

«Pendant ma période de crise, j’ai fait plusieurs expériences dont, par exemple, une retraite de méditation, raconte Kasey Edwards. J’ai même envisagé de refaire ma vie dans un autre pays! Mais, finalement, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de mettre sa vie sens dessus dessous pour traverser cette crise. On doit plutôt se demander ce qui est important pour nous et choisir notre propre chemin. Pour ma part, j’ai compris que le travail n’était qu’un élément de ma vie et qu’il ne devait pas la définir.»

«J’apprends à mes clients à se recentrer sur eux, à être davantage dans « l’être » et « le faire » que dans le paraître. Ça s’accompagne parfois de petits deuils, mais tout le monde en ressort plus fort», affirme pour sa part Jocelyne Bisaillon.

Les Chinois, eux, ont compris depuis bien longtemps que traverser une crise pouvait être bienfaisant. Ils écrivent le mot crise avec deux signes, l’un représentant le danger, et l’autre une occasion à saisir. Inspirant, non?

Bébé blues

Les experts s’entendent pour dire que la crise de la trentaine touche autant les hommes que les femmes. Toutefois, une des principales préoccupations qui tenaille les femmes à l’aube de la trentaine, c’est la question des bébés. Ont-elles raison de craindre que leur horloge biologique sonne le glas de la maternité? «Vers l’âge de 35 ans, le déclin de la fertilité féminine s’accélère», confirme le Dr Hananel Hozer, directeur médical du Centre de reproduction McGill. Cela étant dit, le nombre de femmes qui enfantent dans la trentaine a triplé depuis les 20 dernières années au Canada. Si bien que, selon Statistique Canada, une femme sur quatre aurait maintenant son premier enfant après 34 ans.

Si les grossesses tardives étaient auparavant synonymes de complications – diabète de grossesse, césarienne, placenta mal placé ou accouchement prématuré -, les progrès scientifiques de la dernière décennie auraient contribué à baisser considérablement leur incidence. «Aujourd’hui, nous bénéficions de meilleurs tests pour détecter les malformations, note le Dr Hozer. Une femme en santé qui est enceinte après 35 ans, et même après 40 ans, a toutes les chances d’avoir un bébé qui le sera aussi.» Selon une étude menée par Statistique Canada, les enfants de mères âgées auraient autant de chances d’être en santé pendant leur petite enfance, que ceux nés de mères plus jeunes.

Bonne nouvelle: on peut souffler!

 

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