Ce serait réducteur de dire que Lucie n’était qu’une amie. Plus que quiconque, elle a toujours été là pour moi. Personne n’a jamais su me réconforter ni m’aimer comme elle. Depuis son départ, il m’arrive encore de vouloir l’appeler en pleine nuit. Elle répondait toujours, même quand je la réveillais, même quand elle était occupée à autre chose, même quand elle aurait dû me bouder.

Plus que ma meilleure amie, elle était un morceau de moi-même. Pendant longtemps, ç’a été difficile de nous dissocier, car nous étions toujours ensemble. Qui étais-je avant elle? Je ne m’en souviens plus vraiment. J’avais 19 ans quand elle est entrée dans ma vie et, dès lors, tout a enfin eu un sens: j’étais devenue importante pour quelqu’un.

J’habitais à Paris, à l’époque, et j’errais, un soir, sur les quais de la Seine, avec une profonde envie de me jeter à l’eau pour arrêter d’avoir mal. Au lieu de ça, je suis entrée dans une animalerie et j’ai aperçu cette affreuse petite boule de poils dans la cage en haut à gauche. La vendeuse m’a demandé si je voulais la prendre dans mes bras, et à l’instant précis où j’ai dit oui, j’ai su que nous ne nous séparerions plus jamais, elle et moi. Quand j’ai senti son petit corps tout chaud contre moi, je l’ai serrée comme je me serais agrippée à une bouée de sauvetage et je ne l’ai lâchée que lorsqu’elle s’est endormie pour toujours sur la table du vétérinaire, 13 ans plus tard.

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Bien qu’elle ait constamment été là pour moi – telle une
 veste de flottaison pour m’empêcher de sombrer ou une 
petite ancre pour m’éviter de dériver -, je n’ai, de mon côté, 
pas toujours été une amie exemplaire. Au début, je n’avais
 pas le mode d’emploi: il m’arrivait de perdre patience, je la 
laissais trop souvent seule, je ne lui donnais pas le cadre 
dont elle aurait eu besoin… mais elle ne m’en a jamais voulu. Elle était l’incarnation même de la bienveillance, du pardon et de l’amour inconditionnel. Parfois, pour que j’arrête de pleurer, elle m’offrait sa balle préférée, sa précieuse, gagnée au péril de sa vie contre un molosse lors d’une balade au parc à chiens. C’était le genre de sacrifice qu’elle était prête à faire pour moi: un trésor inestimable contre un simple sourire et des chatouilles dans le cou. Si ça, ce n’est pas réconfortant, je me demande bien ce qui peut l’être. Depuis son départ, je n’aime plus la neige, car elle n’y sautille plus. Je ne suis jamais retournée au parc La Fontaine, où elle aimait aller à la pêche aux roches dans l’étang. Les souvenirs font mal, car ils ne sont pas suffisants.

J’aurais voulu avoir plus de temps pour mieux lui rendre son amitié. Apprendre à valoir l’amour qu’elle me portait. Devenir, pour vrai, la personne merveilleuse que j’étais à ses yeux.

Elle m’a gardée en vie et m’a donné la force de devenir meilleure. Je l’avais nommée Lucie, comme le chat dans un de mes romans préférés. Lui donner le même nom qu’un félin, quel affront! Mais elle ne m’en a jamais voulu, de ça non plus.

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