Si vous aimez Chrissy Teigen et que vous la suivez sur Instagram, Twitter ou Snapchat, vous savez sans doute que la mannequin et star des médias sociaux a un penchant marqué pour la bouteille. En témoignent la fois où, ayant un peu trop levé le coude à la soirée des Grammys 2017, son mari John Legend a dû l’aider à retirer ses bijoux, celle où elle a préparé son fameux ragoût de porc sous l’influence d’une généreuse quantité de tequila et cette autre où, quelques minutes avant de lancer la première balle lors d’un match de baseball des Dodgers en 2014, elle a tweeté «Je suis vraiment saoule!» à ses 9,8 millions d’abonnés. Après avoir volé la vedette dans les publicités pour le rhum Captain Morgan, elle devenait porte-parole de la vodka Smirnoff en 2017. Bonne vivante par excellence, Chrissy a toujours clamé haut et fort son amour de l’alcool avec la candeur attachante qu’on lui connaît bien.

Puis, l’été dernier, au retour d’une retraite de ressourcement à Bali, elle a décidé de prendre une pause. Son mode de vie, comme elle l’a expliqué en entrevue avec Cosmopolitan, était devenu un terrain glissant vers la surconsommation. Elle avouait alors que les interminables évènements mondains, soupers au resto et autres cérémonies de remise de prix qui durent des heures n’étaient tolérables que si elle s’enfilait un verre avant de quitter la maison. Et si Teigen était passée maîtresse dans l’art de projeter une image de fille cool et décontractée, les lendemains devenaient, de son propre aveu, de plus en plus difficiles et embarrassants. «Je buvais trop, point à la ligne» a-t-elle admis avec sincérité.

Les femmes, de nos jours, boivent plus que jamais. Selon une étude publiée en 2017 par le Journal of the American Medical Association, le nombre d’Américaines ayant une consommation d’alcool à risque (plus de quatre verres par jour, une fois par semaine ou plus) aurait augmenté de 58 % entre 2002 et 2013; le nombre de femmes souffrant de troubles reliés à la dépendance et à l’abus d’alcool a, pour sa part, bondi de 84 %. Les statistiques sont tout aussi inquiétantes au Cana- da, où les adolescentes et les jeunes femmes ont vu leur consommation d’alcool augmenter de manière significative. Alors qu’elle atteignait autrefois son paroxysme durant les premières années d’université, la consommation d’alcool des femmes perdure aujourd’hui à l’âge adulte. Le «sexe, drogue et rock ‘n’roll» de leur jeunesse est devenu «yoga, vin et la toute dernière recette de Marilou». Mais cette nouvelle tendance à parler de vin comme d’un outil de bien-être – une façon de se détendre, de se récompenser – est aussi ironique que problématique quand on pense au nombre grandissant de femmes pour qui «prendre du temps pour soi» signifie voir le fond d’une bouteille de sauvignon blanc. 

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  Photographe: Stocksy

Bienvenue aux dames!

Il y a cinquante ans, on se réjouissait que les femmes prennent enfin place au bar auprès des hommes. Après des décennies d’inégalité, où boire était mal vu pour une femme (tout comme jurer ou avoir des opinions), le fait de prendre part à cette culture de l’alcool était un symbole d’émancipation. À la même époque, les grandes distille- ries ont flairé la bonne affaire en voyant apparaître un tout nouveau marché, jusque-là inexploité. L’industrie de l’alcool a pris un virage «rose» plus marqué au milieu des années 1990, avec l’émergence de boissons sucrées, de vodkas aromatisées et de vins étiquetés avec des images des stilettos ou de rouge à lèvres. Depuis, les boissons dites féminines, comme les cidres, les bières fruitées, les coolers et, bien entendu, le rosé, connaissent un succès retentissant,
et qui n’est pas près de s’essouffler.

«Si vous voulez projeter l’image du succès et de la sophistication, vous connaissez vos vins; si vous êtes tendance, vous connaissez vos vodkas; si vous êtes jeune et branchée, vous connaissez vos cocktails, explique Ann Dowsett Johnston, auteure de Drink: The Intimate Relationship Between Women and Alcohol. Il suffit d’aller faire un tour dans le rayon des cartes d’anniversaire destinées aux femmes, dit-elle, pour remarquer le nombre incroyable de souhaits qui mentionnent le vin ou la vodka. Ou de constater la recrudescence des mots-clics du genre #vindredi, #daydrinking ou #roseallday sur les réseaux sociaux. Si, pendant longtemps, les clubs de lecture étaient prétextes à s’enivrer entre amies après avoir discuté littérature cinq minutes, cette tendance à intégrer l’alcool à toutes les activités s’est aujourd’hui immiscée dans une panoplie de sphères: le spa, le salon de coiffure et même… le studio de yoga! Sans parler de tous ces brunchs, showers de bébé et après-midi pompettes entre mamans, à regarder jouer les petits.

«Maman a besoin d’un verre de vin…»

La maternité et la consommation d’alcool ont désormais leur propre sous-culture, où l’état d’ivresse a revêtu des airs glamour chez nombre de mamans «cool», vantant ouvertement leur amour du «mommy juice». (À preuve: il existe véritablement un vin appelé MommyJuice!) La chroniqueuse montréalaise Kathryn Jezer-Morton, dans son essai titré I’m a Woman With a Drink, Not a Mommy Having ‘Mommy Time’, souligne que de nombreuses mères utilisent leur consommation d’alcool comme mode de communication sur les réseaux sociaux. «C’est un code, dit-elle, une façon pour elles d’exprimer leur désarroi tout en ayant l’air drôle et cool. Personne ne veut aller en ligne pour écrire “Je suis épuisée, seule et déprimée”.»

Il s’agirait là, selon Dowsett Johnston, d’un facteur crucial à considérer quand on examine les habitudes de consommation d’alcool chez les femmes: en plus d’être un lubrifiant social hautement instagrammable, l’alcool est l’une des plus simples et rapides formes d’automédication. De nos jours, davantage de femmes que d’hommes souffrent de dépression et d’anxiété. Si nous avons presque atteint l’égalité dans les habitudes de consommation d’alcool, ce n’est pas le cas dans toutes les sphères du quotidien. Dans une famille hétérotypique où les deux partenaires travaillent à temps plein, les femmes sont encore responsables de la vaste majorité des tâches ménagères et reliées à l’éducation des enfants. La pression de soutenir leur partenaire et le jugement des autres quant à la conciliation travail-famille pèsent également plus fort sur leurs épaules. Quand vient le temps de se verser un verre, ce ne sont donc pas les raisons qui manquent. Malheureusement, les femmes sont aussi plus sensibles aux potentiels effets nocifs de la surconsommation – non seulement ses conséquences psychologiques (voir ci-haut: anxiété, dépression) mais également physiques; leur niveau d’enzymes déshydrogénase étant plus bas que celui des hommes, leur capacité à métaboliser l’alcool s’en trouve réduite. La solution, affirme Dowsett Johnston, n’est pas l’abstinence, mais plutôt la prise de conscience qu’en ce qui a trait à la consommation d’alcool, la société tend à toujours voir le verre à moitié plein et à ne dépeindre que les bons côtés de la chose. «Personne ne montre le mascara dégoulinant et les maux de tête des lendemains de veille», dit-elle.

Teigen, pour sa part, a déclaré ne pas savoir si sa sobriété temporaire se transformera en habitude à long terme, mais après avoir sauté quelques 5 à 7, elle dit s’être sentie «merveilleusement bien». Une bonne raison de se commander un Virgin Caesar au prochain apéro!