Dans le bus qui me ramenait à la maison, j’ai eu un haut-le-coeur. Pas à cause de la conduite du chauffeur, mais en raison de mes propres excès. Quand j’ai baissé les yeux et que j’ai vu à mes pieds ce gros sac rempli à ras bord de vêtements, j’ai éprouvé un sentiment de dégoût. Une fois encore, j’avais cédé à ma frénésie de consommation. J’avais acheté, trop vite, trop de choses dont je n’avais pas vraiment besoin.

De nouveau, je m’étais laissé tenter par la jolie vitrine d’une boutique qui se trouvait sur mon chemin et j’avais foncé tête baissée sur un short. J’en avais déjà plusieurs, mais celui-ci m’avait décidément tapé dans l’oeil. Il ne coûtait que 20$ et, comme j’étais incapable de choisir entre le jaune, le vert et le bleu, j’ai pris les trois. Comme ça, sans réfléchir. En descendant du bus, je regrettais déjà mon achat.

Une fois rendue à la maison, j’ai décidé d’affronter le contenu de ma garde-robe. La penderie débordait littéralement, remplie de centaines de morceaux achetés à la va-vite. Je n’avais même pas de place pour ranger mes nouveaux achats! C’était consternant. Et c’est à ce moment-là que m’est venue l’idée d’un défi pour arrêter cette consommation débridée. Ma décision était prise: à partir d’aujourd’hui, le 3 août 2012, je n’achèterais plus un seul vêtement, et ce, durant un an. Ça voulait donc dire que je ne remettrais plus les pieds dans un magasin avant le 4 août… de l’année suivante. Pendant cette année d’abstinence, je pourrais enfin jauger mes besoins réels. Et, vu ma situation financière délicate, ça ne pourrait pas me faire de mal de dépenser moins.

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 J’ai commencé par élaguer un peu mon fameux placard. J’ai retiré et classé les habits que je ne mettais jamais – en fait, la majeure partie de mon linge -, j’ai appelé mes copines pour qu’elles passent se servir, et j’ai donné le reste au Village des Valeurs. Ça faisait beaucoup de vide dans ma penderie, mais il me restait quand même l’essentiel pour pouvoir traverser les quatre saisons. Ensuite, j’ai moi-même défini les règles de mon défi. Je me suis interdit de m’acheter quoi que ce soit (même des petites culottes!) et d’accepter des cadeaux pour être capable de mesurer mes véritables besoins. En revanche, j’ai décidé de m’autoriser l’achat de cosmétiques et d’accessoires pour égayer mes tenues. Mais aucune occasion – même un party ou un gala – ne devait me faire céder à la tentation d’acheter une nouvelle robe.

J’ai toujours essayé de maîtriser les évènements plutôt que de les subir. Je déteste perdre le contrôle de ma vie, agir de façon irraisonnée, avoir des regrets. Par exemple, quand je mange trop durant un repas, je m’impose 10 minutes de course à pied le lendemain. Par ailleurs, je suis allergique à cette mode des produits jetables, à ces objets qu’il faut renouveler sans cesse et dont la consommation effrénée tue notre écosystème à petit feu.

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Chez moi, tous les meubles sont vintage et ma télé date d’avant les écrans plats. J’aime les choses qui durent et qui respectent l’environnement. À l’époque de mon défi, le magasinage de vêtements était donc mon seul «dérapage» par rapport à mes principes. Je me revois encore entrer dans les boutiques et fouiller fiévreusement dans les bacs de linge. Dans ces moments-là, j’étais fébrile. Je ne regardais pas si le vêtement était bien coupé ou bien fini. Il s’agissait d’achats impulsifs, qui se répétaient quasiment chaque semaine. Bref, il fallait que cette mauvaise habitude s’arrête… et que mes actes soient enfin conformes à mes opinions.

J’étais impatiente d’annoncer ma grande décision à David, mon chum, qui se plaint régulièrement de ne pas avoir assez de place pour ses affaires. Quand il est arrivé à la maison, ce jour-là, il a haussé un sourcil, le regard en coin, et m’a lancé: «Toi? Arrêter d’acheter du linge? Oui, bien sûr… On s’en reparlera dans un mois!» Son air dubitatif m’a encore plus motivée. David ne me croyait pas? Il allait voir de quel bois je me chauffe.

Mes premières semaines d’abstinence ont été plutôt faciles à vivre. C’est au début de l’automne que les choses se sont corsées. Chaque matin, je scrutais mon placard en me demandant quel chandail j’allais devoir mettre… J’en avais déjà ras le bol de les avoir autant portés!

Pendant toute la durée de mon défi, j’ai usé mes camisoles à la corde, troué tous mes bas, et mes soutiens-gorges sont devenus de véritables loques. J’ai recousu, rapiécé, rafistolé mes vêtements un à un, moi qui avais plutôt l’habitude de les jeter dès qu’ils étaient un tantinet abîmés. J’ai aussi suivi un autre trajet entre le bureau et la maison, histoire d’éviter les rues où se trouvent mes boutiques préférées. Le parcours était plus long mais plus sage, pour me permettre de résister aux tentations.

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Au bout du sixième mois, on m’a parlé d’une styliste qui réalisait des «palettes de couleurs». J’étais curieuse de savoir ce qu’elle dirait de ma façon de m’habiller. Quand je suis allée la voir, cette spécialiste m’a indiqué les teintes qui mettent en valeur mon teint et celles à éviter, puis elle m’a remis le nuancier des couleurs qui me conviennent le mieux. Ses judicieux conseils m’ont donné de nouvelles idées pour agencer les vêtements que j’avais déjà. J’ai aussi trouvé des astuces pour égayer mes tenues. Par exemple, lors d’un gala ultrachic, j’ai ressorti ma petite robe noire un brin défraîchie… en décidant de miser sur ma coiffure. Je me suis fait une tresse indisciplinée, fixée par un large ruban rose. Et je n’ai eu que des compliments!

 

Puis, le grand jour est arrivé: ce fameux 4 août 2013, j’y pensais depuis un an! Comment allais-je réagir? Allais-je me précipiter rue Sainte- Catherine pour dévaliser les magasins du centre-ville? Dépenser en une heure, dans un état d’euphorie, ce que j’avais économisé durant toute une année? Eh bien non, rien de cela ne s’est produit. Lorsque je me suis retrouvée devant les rayons des boutiques de vêtements, avec la lumière criarde des néons et la musique assourdissante en toile de fond, j’ai été complètement décontenancée. Je ne savais plus par où commencer, comment fouiller dans tout ce bazar… Et je suis repartie au bout de cinq minutes avec, pour seul achat, un soutien-gorge blanc. Parce qu’il y avait vraiment urgence en matière de lingerie.

Quelques jours plus tard, j’ai poussé l’audace jusqu’à m’offrir une virée à New York, où je déniche habituellement de petites merveilles dans mes magasins fétiches. Mais là encore, même devant ces escarpins rouges de toute beauté, je n’ai pas eu la décharge d’adrénaline que j’aurais éprouvée avant mon défi. Comme si cette année d’abstinence d’achat de vêtements m’avait fait perdre mes réflexes de consommatrice frénétique. J’étais enfin désintoxiquée, sevrée de mes anciennes compulsions.

Ça fait maintenant presque un an que j’ai accompli mon défi et, même si j’ai un peu retrouvé le goût de magasiner, j’achète indéniablement mieux et de manière plus responsable qu’auparavant. Je prends le temps de réfléchir et d’examiner la finition et la coupe des vêtements avant de sortir ma carte de crédit. Je me fais aussi un point d’honneur d’encourager les créateurs québécois plutôt que les grandes chaînes internationales. C’est ma façon à moi de contribuer à l’économie de mon pays et à la préservation de l’environnement. Enfin, je consulte systématiquement ma palette de couleurs pour être certaine que la tenue que je convoite m’ira bien. Parce que je veux porter ces vêtements-là pendant les 30 prochaines années!

Ce petit combat contre moi-même m’a prouvé que je pouvais, si je le voulais, reprendre le contrôle de ma vie. Du coup, j’ai très envie de relever un nouveau défi. Mais j’hésite entre trois options: arrêter de manger des aliments transformés, couper mon wifi pendant un mois ou ne plus boire une goutte d’alcool. Je me laisse encore du temps pour réfléchir. Parce que je sais que le jour où j’aurai pris ma décision, rien ne pourra me faire flancher.

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