La première fois que j’ai rencontré Christian, c’était lors d’une fête que donnait mon amie Guylaine. J’étais encore mariée à l’époque. Je n’avais donc pas tellement prêté attention à Christian, mais je l’avais trouvé charmant. Je me souviens que nous avions échangé quelques mots à propos de la musique qui jouait, une pièce que j’adorais.

Trois ans plus tard, je divorçais. À la même période, Christian était allé visiter Guylaine et il m’avait vue… sur une photo collée sur son frigo. Il lui avait dit à quel point il me trouvait jolie et il avait pris de mes nouvelles. Quand il a su que je venais de divorcer et que j’appréhendais le temps des Fêtes qui approchait, il a eu l’idée de m’inviter au party de Noël de son bureau. «Après tout, ça ne peut pas te faire de tort!» s’est exclamée Guylaine, qui a spontanément proposé de jouer les entremetteuses. Le soir même, tout était arrangé. Christian passerait me chercher à mon travail le vendredi suivant. Je me souvenais à peine de lui, mais je trouvais la situation cocasse. Une blind date… pourquoi pas?

Le jour convenu, je m’apprêtais à quitter mon bureau quand la réceptionniste est venue me dire qu’une limousine m’attendait devant la porte. J’ai cru que c’était une blague. Mais non… À l’intérieur du véhicule, Christian m’attendait, tout sourire, une coupe de champagne à la main. Les hautparleurs de la voiture diffusaient la pièce musicale que j’aimais tant. J’étais sidérée. J’avais rencontré cet homme une seule fois, et il s’était souvenu que j’adorais ce morceau! J’allais bientôt constater qu’il avait une mémoire phénoménale…

Après cette soirée, nous avons continué de nous voir régulièrement. Christian était amoureux fou de moi. J’étais grisée, comblée d’amour. Cet hiver-là, j’ai acheté un petit cottage en banlieue, avec piscine et garage. Le temps que je prenne possession des lieux, Christian avait perdu son boulot. Il n’en fallait pas plus pour éveiller mon côté Mère Teresa. Je l’ai laissé venir s’installer chez moi. Je me souviens d’avoir alors ressenti un malaise, mais je n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. En fait, j’aurais dû écouter mon intuition.

À partir du moment où nous avons habité ensemble, notre relation s’est dégradée. C’était un été de canicule, mais il ne supportait pas que je me promène en maillot de bain quand des amis étaient à la maison – de toute façon, il n’aimait pas mes amis et ne se gênait pas pour me le dire. Il surveillait mes allées et venues, me téléphonait constamment au bureau, voulait toujours savoir ce que je faisais, où j’étais et avec qui. J’avais alors un cellulaire personnel, et un autre pour le travail. Quand il ne réussissait pas à me joindre au premier numéro, il composait l’autre. Et si ça ne fonctionnait toujours pas, il laissait des messages à la réceptionniste.

Peu à peu, il s’est mis à me faire du chantage. Je lui avais parlé d’une amie qui trompait son mari depuis longtemps. Et d’une autre qui avait des problèmes psychiatriques. Je lui avais aussi révélé des secrets de famille. Il se souvenait de tout, dans les moindres détails. Quand je menaçais de le quitter, il me disait qu’il allait révéler des choses à mes amies, à ma famille, à mes patrons. Je me sentais prise en otage. Je ne pensais même pas à me protéger; c’était la sécurité des autres qui m’importait.

Un jour, n’en pouvant plus des querelles, je suis allée me réfugier chez Guylaine. J’y suis restée plusieurs semaines, dans un appartement où il faisait une chaleur insupportable… alors que j’avais une maison avec jardin et piscine! Mon séjour a duré jusqu’à ce que mon amie me dise: «Élise, ça n’a aucun sens: reprends possession de ta maison!» Elle et son mari m’ont accompagnée pendant que je réintégrais mes quartiers. Le mari de Guylaine a parlé à Christian en l’enjoignant de changer d’attitude, sans quoi il viendrait lui-même l’expulser. Christian était repentant. Il a promis de faire des efforts, et il a tenu parole pendant quelques semaines. Il me gâtait, il était tendre et attentionné. Puis, tout a recommencé de plus belle. Les crises. Les disputes. La haute surveillance.

Un soir, j’avais organisé une petite fête. À 23 h, il a mis tout le monde à la porte et m’a fait une scène parce qu’il n’aimait pas la robe que je portais. Il la trouvait trop sexy. À tel point qu’il l’a déchirée dans un mouvement de colère. Ç’a été la goutte qui a fait déborder le vase. Je lui ai dit: «C’est assez. Fais tes valises.»Le lendemain, il partait vivre chez un de ses amis. J’ai cru que c’en était fini de cette relation. Mais Christian, lui, n’en avait pas fini avec moi. Il m’appelait sans arrêt. Il voulait renouer. Il regrettait tout. Quand je ne répondais pas au téléphone, il me laissait des messages odieux. Il disait qu’il allait détruire ma vie et me traitait de tous les noms. Instinctivement, je sauvegardais ces messages; j’archivais tout. Au bureau, je ne pouvais plus cacher ce que je vivais. Non seulement Christian faisait sonner mes cellulaires à répétition, mais il appelait aussi mes patrons.

Un soir que j’étais à la maison, il est entré par la porte-fenêtre de la cuisine, comme si de rien n’était, pour ensuite essayer de s’emparer de mon cellulaire et de mon agenda. J’ai crié comme une folle, au risque d’alerter tous les voisins. Il a eu peur et s’est finalement enfui les mains vides.

Pourquoi ne l’ai-je pas dès lors dénoncé à la police? Je n’allais pas bien. J’étais tétanisée par l’anxiété. Et je prenais les mauvaises décisions pour de mauvaises raisons. J’avais honte, j’avais peur qu’il s’en prenne à ma famille ou à mes amis. Je craignais que le remède ne soit pire que le mal. Je doutais de tout, et surtout de moi.

Un jour que j’étais avec Guylaine, mon cellulaire s’est mis à sonner sans arrêt. Guylaine a d’ailleurs compté les appels: 68 en moins de deux heures. Elle était renversée. C’est elle qui m’a convaincue de porter plainte à la police. Et vite!

Je me suis présentée au poste de mon quartier, où j’ai rencontré une policière. Je lui ai fait écouter les messages que j’avais archivés sur mes boîtes vocales. Pour elle, il n’y avait aucun doute: il s’agissait de harcèlement criminel. J’ai donc rédigé ma déposition. Trois feuilles recto verso. On m’a donné un numéro de dossier, mis en contact avec un avocat, et annoncé que Christian serait joint dans les 24 heures. Il serait alors prévenu qu’il ne devait tenter d’entrer en contact avec moi sous aucun prétexte. Je n’aurais jamais cru que ça irait aussi vite!

Quelques semaines avant sa comparution en cour, Christian m’a envoyé une lettre dans laquelle il m’écrivait qu’il pensait à moi, qu’il avait changé, qu’il travaillait sur lui-même. J’ai paniqué. Sans tarder, je me suis rendue chez mon avocat, qui m’a dit que cette lettre représentait un bris de condition. La police a de nouveau contacté Christian. Et son procès a enfin eu lieu. Heureusement, je n’étais pas tenue d’y assister.

C’était il y a quatre ans. Depuis, je ne l’ai plus revu… sauf une fois. Je sortais d’un cinéma alors qu’il y entrait. Son regard a croisé le mien. Ai-je eu peur? Oui, mais c’était une peur saine. J’ai aussitôt raconté toute l’histoire à celui qui m’accompagnait. Puis, le soir venu, j’ai alerté tous mes proches, dont un ami policier. Résultat: mon réseau de protection s’est mis en place. Plus jamais je n’allais rester seule avec mes angoisses.

Depuis ma première rencontre avec Christian, j’ai énormément travaillé sur mon estime personnelle. Avec le recul, j’ai un peu mieux compris ce qui s’était passé. Ce qui nous plaît d’abord chez ce genre de gars-là, c’est toute l’attention dont il nous entoure. À tel point qu’on finit par croire qu’on est vraiment les plus belles et les plus merveilleuses du monde. Mais ce qu’on prend pour des signes d’amour fou, ce sont précisément les signes avant-coureurs d’une possessivité maladive. Aujourd’hui, si une amie me dit que son nouveau chum la voit dans sa soupe, qu’il est dingue d’elle, je lui réponds: «Attention. Méfie-toi.»

Propos recueillis par Marie-Claude Fortin