Cette année, je suis en deuxième année de médecine à l’Université Laval, à Québec. J’ai 31 ans et, si tout va bien, je serai médecin de famille à 36 ans. Si on m’avait dit ça il y a 10 ans, je ne l’aurais jamais cru!

Je me rappelle avoir caressé, enfant, le rêve de devenir vétérinaire ou médecin. J’ai abandonné cette idée quand j’ai su que pour exercer ces professions, il fallait d’abord faire des études poussées. J’avais beau me maintenir dans la moyenne à l’école, je ne me trouvais pas assez intelligente pour envisager de passer des années à l’université. En réalité, je n’avais aucune confiance en moi et je ne me croyais pas capable d’être une bonne élève.

Je suis arrivée au cégep sans la moindre idée de ce à quoi je me destinais. En 1998, après avoir terminé trois sessions en sciences humaines, j’ai abandonné l’école. Je n’avais aucune motivation pour étudier et je jugeais le diplôme collégial (DEC) inutile. J’ai préféré intégrer le marché du travail, le temps de découvrir quel métier j’avais envie de pratiquer.

Je suis devenue vendeuse de cosmétiques dans des grands magasins et des pharmacies. Je n’aimais pas ça, mais j’étais certaine que c’était «en attendant». En attendant quoi? C’était bien ça, le problème! Je ne savais pas quoi faire «quand j’allais être grande», même si j’avais presque 20 ans. C’est à cette époque que mon intérêt pour le domaine de la santé s’est manifesté. Chaque fois que je tombais sur des articles qui traitaient de médecine ou de biologie, ils m’interpellaient, et je les lisais avec grand intérêt. Je me suis aussi mise à dévorer des magazines spécialisés et à regarder des documentaires sur le sujet. C’était une sorte de hobby, car j’ignorais encore que je voulais en faire une profession.

 

J’ai vendu des cosmétiques pendant deux ans, avant d’être embauchée en 2000 comme agente de bord dans une compagnie aérienne. J’aimais bien cette job. Pourtant, encore une fois, je savais que c’était provisoire. À la suite des événements du 11 septembre 2001, la compagnie qui m’employait a fait faillite. Afin d’avoir droit à l’assurance-emploi, je devais assister à des rencontres d’orientation, pendant lesquelles on m’a dit que je pouvais m’inscrire à certaines formations tout en continuant de recevoir mes prestations. J’ai choisi le secrétariat juridique et, en février 2003, après neuf mois d’études, j’ai obtenu mon diplôme.

Dès ma première semaine de travail dans un grand cabinet d’avocats à Montréal, j’ai su qu’il s’agissait pour moi, encore une fois, d’un boulot «en attendant». Il était clair que je n’étais pas à ma place. De plus, certaines de mes collègues avaient l’air vraiment blasées. Elles exerçaient ce métier depuis 30 ans et n’avaient jamais rien fait pour changer de voie. En les côtoyant, j’ai réalisé que je ne voulais pas devenir comme elles et haïr mon emploi toute ma vie. Je devais trouver une profession qui me convenait. C’est dans ce but que je me suis réinscrite au cégep, à des cours du soir: je désirais compléter le DEC en sciences humaines que j’avais abandonné cinq ans plus tôt. Pour moi, c’était une sorte de test. Si je réussissais à avoir de bonnes notes, ça signifierait que j’étais prête à entreprendre des études universitaires dans le domaine qui me passionnait: la santé ou la biologie. Pour tout dire, j’envisageais la médecine, mais je n’osais pas croire que ce rêve était réalisable. Je doutais encore de mes capacités.

J’étais donc secrétaire juridique le jour et étudiante le soir. Mes notes étaient excellentes, contrairement à celles que j’avais obtenues en 1997-1998. Ça m’a énormément encouragée, et j’ai ainsi acquis la confiance qui me manquait. J’ai même commencé à parler de mon rêve d’être médecin à quelques amis. «Voyons! Ça n’a pas de bon sens! À ton âge, tu ne pourras jamais faire toutes ces études!» m’a-t-on répondu à l’unisson.

Mes proches avaient-ils raison de ne pas y croire? Probablement. J’ai néanmoins décidé de poursuivre mon objectif… et de le garder dorénavant secret. Je suis allée consulter un agent d’aide pédagogique pour changer de programme, car les sciences humaines ne me convenaient pas. «Vers quoi aimerais-tu te diriger?» m’a-t-il demandé. «Je pense à la médecine», ai-je répondu. Après avoir regardé mon dossier, il m’a affirmé que je ne pouvais pas m’inscrire aux cours de sciences pures nécessaires aux études en médecine, car je n’avais pas suivi le cours de physique de 5e secondaire. «Finis tes sciences humaines et choisis-toi une spécialité dans ce domaine. Tu as déjà 25 ans, oublie la médecine», a-t-il conclu.

À la suite de cette rencontre, j’ai passé une très mauvaise soirée. J’étais déprimée. Dès le lendemain matin, j’ai quand même entrepris des démarches pour m’inscrire au cours de physique qui me manquait. La médecine m’intéressait vraiment. «S’il faut que je retourne au secondaire, je vais le faire», me suis-je dit. Et j’ai terminé le cours peu après! Une fois cette étape réussie, mon rêve s’est bien ancré dans ma tête, même s’il restait secret. Je disais à mon entourage que je voulais devenir orthophoniste pour expliquer mon retour à l’école. Pendant les quatre années qui ont suivi, je travaillais le jour et j’étudiais le soir. J’ai d’abord terminé les cours collégiaux préalables pour être admise au DEC en sciences pures, puis j’ai obtenu ce fameux DEC. C’était difficile, mais je ne me suis jamais découragée et j’ai franchi les étapes l’une après l’autre.

En janvier 2008, mon diplôme collégial en sciences pures enfin en poche, j’ai entamé un baccalauréat en biologie à l’Université Laval, à Québec. C’était la meilleure stratégie avant de postuler pour entrer en médecine. L’idée, en m’inscrivant au bac, était d’accumuler le plus de crédits universitaires possible, tout en ayant les meilleures notes possible. Ainsi, ma candidature serait évaluée par la Faculté de médecine selon mes résultats universitaires plutôt que d’après mes résultats collégiaux. Ça valait beaucoup mieux pour moi, car durant mes premières sessions au cégep, j’avais eu quelques zéros pour cause d’abandon. En outre, j’avais choisi l’Université Laval, à Québec, parce que le programme de médecine y est moins contingenté qu’ailleurs.

J’ai donc tout quitté: Montréal, ma famille, mon travail. J’ai aussi laissé derrière moi mon amoureux, avec qui je sortais depuis trois ans. Il ne voulait pas me suivre à Québec, et je refusais de m’investir dans une relation à distance. J’avais peur que ça nuise à mes études. Mettre un terme à cette histoire a été très difficile, mais il n’était pas question que j’abandonne mon but.

En janvier 2009, j’ai cessé de garder mon projet secret. J’ai annoncé que je présentais ma demande d’admission à la Faculté de médecine. À mon grand bonheur, tout le monde s’est mis à m’encourager. J’en avais grand besoin! Le processus de sélection – lettre de motivation, examens, entrevues – était ardu et a duré trois mois. C’était tellement stressant qu’il fallait que je puisse en parler à mes proches!

Le 15 mai 2009 à minuit, j’ai appris que j’étais acceptée. Je n’en ai pas dormi de la nuit. Enfin, après un cheminement sinueux d’une décennie, j’allais étudier dans le domaine que j’avais choisi. Il était temps! J’avais 30 ans.

Ma première année de médecine m’a confirmé que j’avais fait le bon choix. Je me sentais complètement à ma place. J’adorais les cours, je voulais toujours en savoir plus, j’étais comme un poisson dans l’eau. Et j’avais de super bons résultats. Maintenant que j’en suis à ma deuxième année, je comprends que le défi n’est plus d’ordre scolaire, mais personnel pour moi. Toutes mes amies se marient, ont des enfants, achètent des maisons… et j’ai du mal à ne pas les envier. Ce qui me console, c’est de savoir que ces projets, que je chéris aussi, sont simplement remis à plus tard en ce qui me concerne. J’ai aussi la chance d’avoir un amoureux très compréhensif. Il sait que mes études passent avant les enfants et la vie de famille, et il est patient.

Quand je regarde mon parcours, j’ai encore du mal à y croire. Je prends conscience que chaque effort, aussi minuscule qu’il ait pu être, a compté dans l’atteinte de mon objectif. J’en conclus aussi qu’il n’est jamais trop tard pour réaliser ses rêves…

 

Vous vivez une histoire particulière et aimeriez la partager avec nos lectrices? Un journaliste recueillera votre témoignage. Écrivez à Kenza Bennis, ELLE QUÉBEC, 2001, rue University, bureau 900, Montréal (Québec) H3A 2A6. Courriel: [email protected].

 

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