J’ai fait la connaissance de Richard il y a quatre ans. Après avoir travaillé quelque temps comme intervenante en loisirs dans un centre pour les personnes ayant une déficience intellectuelle ou des troubles de santé mentale, je me suis dirigée vers le domaine des communications, dans lequel j’œuvre encore aujourd’hui. Cependant, j’avais toujours ce besoin d’aider, de donner de mon temps. J’ai donc commencé à m’impliquer bénévolement auprès de divers organismes, notamment le PCEIM (Parrainage civique de l’Est de l’Île de Montréal), dont la mission est de favoriser l’intégration et la participation sociale des personnes vivant avec une problématique de santé mentale, entre autres par le biais d’un programme de jumelage. C’est grâce à ce dernier que j’ai fait la connaissance de Richard, après avoir soumis ma candidature pour devenir marraine, et que j’ai commencé à lui faire une place dans ma vie. Au moment de notre rencontre, Richard était sur la liste d’attente pour un parrainage depuis près de 5 ans. Il avait 59 ans et moi, 26.

Il m’a raconté avoir eu un grave accident de patins à roulettes quand il était enfant. Souffrant d’un traumatisme crânien et d’une fracture à la hanche, il est resté hospitalisé durant deux ans. L’accident a affecté son développement cognitif, et les experts estiment que Richard aurait entre 7 et 16 ans d’âge mental. Il aime chanter et danser, être entouré de gens, aller au bingo, jouer au bowling, manger au restaurant et regarder Les feux de l’amour. Son mantra? «La vie n’est pas toujours facile, mais elle est belle pareil.»

Notre première activité a eu lieu au bingo, en compagnie d’une intervenante. Richard était très nerveux; il a de graves problèmes d’élocution, et c’est parfois difficile pour lui de se faire comprendre. Mais le stress est vite tombé, et nous nous sommes rapidement liés d’une profonde amitié.

Depuis notre rencontre, nous nous voyons environ deux fois par mois. Nous choisissons une activité qui nous plaît, nous nous réunissons, chacun paie sa part, et nous passons du bon temps. Au fil des années, Richard a fait la connaissance de mes parents (qu’il appelle désormais papa et maman!) et de plusieurs de mes amis. Pour son 60e anniversaire, je lui ai organisé la première surprise-party de sa vie. C’était une soirée mémorable, et sa fête est aujourd’hui une tradition pour mon entourage (qui est aussi le sien). Je rêvais de créer un cercle social autour de lui, un groupe qui l’accepte tel qu’il est et dont il est l’étoile. Je voulais aussi offrir à mes proches la possibilité d’apprendre à découvrir cet humain exceptionnel, et de constater que les différences ne sont des obstacles que si on les perçoit comme tels.

Quand je présente quelqu’un de nouveau à Richard, je ne fais rien de particulier; pas de mises en garde, pas d’interférence. Tout le monde est soi-même, se découvre à son rythme et s’apprivoise de manière organique. Richard est anxieux, et rencontrer de nouvelles personnes le stresse beaucoup, mais il est également charismatique et facile à côtoyer. Il adore les gens, sait s’amuser et peut se mettre à chanter et à danser en public à tout moment. Certains de mes proches étaient mal à l’aise en sa présence au début, mais ils ont rapidement appris à le connaître, à embrasser son unicité et… à chanter avec lui! Nouer une amitié avec quelqu’un d’aussi spécial que Richard, ça rend plus humain. L’intégrer à ma vie m’a aidée à prendre les choses comme elles viennent, à lâcher prise sur ce que je ne peux pas contrôler et à apprécier les bonheurs simples. Richard est un être lumineux, aimant et totalement authentique. De plusieurs façons, il a inspiré et transformé les gens qui l’entourent, moi la première!

Notre relation est unique, certes, mais elle est surtout naturelle et sincère. Il fait partie de moi, de ma famille; je le considère vraiment comme mon filleul. Veiller sur Richard, pour moi, est devenu une seconde nature.

L’été dernier, il a appris qu’il était atteint d’un cancer du poumon. Son médecin a dit qu’il lui restait de trois à six mois à vivre. Depuis, il a subi plusieurs traitements, dont on attend toujours les résultats. Je n’ai pas accès à ses renseignements médicaux, mais je lui demande souvent des nouvelles. Il comprend qu’il est malade, sans toutefois saisir totalement ce qui lui arrive. Je vois bien qu’il est fatigué, mais il est trop content de me voir pour le laisser paraître.

Parmi mes plus mémorables souvenirs avec Richard, il y a cette journée où nous faisions un pique-nique avec mes parents. Mon père a mis la chanson C’est beau la vie, de Jean Ferrat, et Richard s’est mis à chanter. Spontanément, on a commencé à chanter avec lui, tous ensemble, et on s’est mis à pleurer. C’était un moment si précieux, tellement touchant et authentique que je suis encore bouleversée quand j’y pense. C’est vraiment ça, le plus grand cadeau de Richard: en sa présence, on ressent une émotion vive mais douce. C’est un être pur, simple et complètement libre. Il m’a souvent dit que, s’il avait pu, il serait devenu chanteur. Je suis certaine qu’il aurait été l’un des grands.

Quand j’ai rencontré Richard, j’étais loin de me douter de l’importance qu’il aurait dans ma vie. Je ne pensais pas qu’en lui ouvrant mon cœur, je recevrais autant en retour. Je n’avais jamais imaginé l’accompagner à la fin de sa vie. Je ne sais pas du tout à quoi m’attendre, mais je me sens prête à traverser cette épreuve avec lui. Pour lui. Parce qu’il me fait aveuglément confiance.

Et s’il y a une chose que je sais faire, c’est bien de veiller sur Richard.