Je suis tombée en amour au moment où je m’y attendais le moins. J’avais 41 ans, j’étais mariée à Vincent depuis de longues années. Ensemble, nous avions deux jeunes adolescents, Adamo et Anna, et mon époux était déjà père d’un fils de 20 ans, Laurent. Après 14 ans de vie commune, nous roulions notre bosse sans nous poser de questions. Nous «savions» que nous allions passer notre vie ensemble, sans trop de bouleversements — du moins nous l’espérions. Nos enfants allaient suivre leur route, et nous allions vieillir dans un climat de confiance et de stabilité. On dit que la passion survit rarement au temps et à la routine familiale. Le constat s’imposait: nous n’avions pas une vie sexuelle ou amoureuse à faire mentir les statistiques.

J’aurais peut-être dû me battre dès les premiers signes marquant l’enracinement des habitudes entre Vincent et moi. Il m’est difficile de comprendre, aujourd’hui, comment j’ai pu accepter une telle platitude sans broncher, moi qui suis de nature si fougueuse. Mais, en y pensant bien, j’aurais probablement fini par ruer dans les brancards… j’en étais toute proche. N’eût été de Carl, un nouvel ami de Laurent, mon beau-fils, qui est venu bouleversée mon existence…

«Je savais déjà que l’excitation que je ressentais à l’idée qu’il passe la soirée à la maison était «mal» — et trop intense pour que je puisse l’ignorer.»

Dès la minute où Carl est entré dans la maison, j’ai chaviré. À la façon dont il a posé les yeux sur moi, j’ai pensé: «Ce n’est pas comme ça qu’un garçon de 20 ans regarde la mère — ou la belle-mère — de son ami!» Il avait un petit air de défi, presque d’arrogance, mêlé à une douceur infinie. Ce jour-là, les deux garçons voulaient aller au cinéma de fin d’après-midi, avant d’aller manger et de se rendre à une fête. Je leur ai servi un verre de rouge, ils se sont accoudés au comptoir de la cuisine, et on a discuté. Vincent était en voyage d’affaires. Les ados étaient chez des amis. Je n’ai pas insisté pour les garder à souper, mais j’étais heureuse quand Carl a annoncé qu’il ne voulait plus aller au cinéma. Ni à la fête. Je savais déjà que l’excitation que je ressentais à l’idée qu’il passe la soirée à la maison était «mal» — et trop intense pour que je puisse l’ignorer.

Si intense, à vrai dire, qu’après quelques semaines à vivre mon désir dans le secret, j’ai avoué à Vincent ce que je ressentais pour Carl. En colère et peiné, il a eu besoin de prendre du recul et s’est pris un appartement. Le fait que Vincent et moi n’avions presque plus de moments d’intimité m’avait mentalement préparée à cette séparation. J’ai donc vécu l’annonce de son départ comme un baume, bien plus que comme un drame. Il croyait que j’allais m’écrouler en le voyant quitter la maison, alors qu’en fait, je ne songeais qu’à Carl.

À partir de là, les choses se sont passées très vite. Je ne saurais dire qui, de Carl ou de moi, a fait les premiers pas. C’était un week-end où Adamo et Anna étaient avec leur papa. Laurent et Carl étaient à la maison; ils se préparaient à partir en week-end avec une bande d’amis. À quelques minutes du départ, Carl a annoncé qu’il ne se sentait pas bien. Je lui ai offert de rester à la maison. Laurent est parti sans lui. Aussitôt la porte refermée, on s’est embrassés passionnément, sans dire un mot. On a passé le week-end au lit. À discuter, à boire, à manger, à rire, à se caresser, à faire l’amour… Avec Carl, faire l’amour devenait un moment où plus rien n’existait autour de nous, et où chaque geste posé était ressenti. C’était à la fois une découverte et une communion, loin des banales chorégraphies mécanisées que je dansais depuis des lunes avec Vincent!

Je ne savais pas quoi faire de cette euphorie, mais une chose était claire dans mon esprit: il était hors de question que je vive une relation cachée. J’ai rapidement annoncé à Carl que je souhaitais vivre notre histoire au grand jour. Il semblait prêt. Nous avons commencé par en parler à Laurent.

Nous l’avons fait ensemble, et ce fut peut-être une erreur. Le sentiment de trahison dans ses yeux était pénible à supporter. Il est entré dans une rage terrible, a ramassé ses affaires et a lancé qu’il ne voulait plus jamais voir Carl, avant de claquer la porte. Ce n’était que le début de la colère, du rejet et du jugement dont nous allions être victimes.

« »Mais comment tu fais pour baiser avec une femme qui pourrait être ta mère? » lui a un jour demandé un de ses copains.»

La mère de Carl a tout fait pour le dissuader, prédisant à son fils un avenir sans joie, sans famille, sans enfants, sans découvertes… un avenir où il serait condamné à s’occuper «d’une vieille femme». Ma famille et mes proches sont restés silencieux, une autre façon de faire mal. À 11 ans, Anna trouvait Carl fantastique, alors qu’Adamo, de quatre ans son aîné, avait pris le parti de son père. En colère, il ne tentait ni ne permettait aucun rapprochement avec mon nouvel amoureux. Les amis de Carl ne comprenaient pas et se sentaient obligés de prendre parti pour Carl ou Laurent. «Mais comment tu fais pour baiser avec une femme qui pourrait être ta mère?» lui a un jour demandé un de ses copains. En public, plus souvent qu’autrement, on nous présumait mère et fils.

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Malgré les jugements et l’isolement, je me suis quand même choisie. Pour l’unique fois de mon existence d’adulte, devant ma mère, mon père, mon époux, mes ados, mon beau-fils, mes copines et leurs maris, devant tout ce beau monde censé m’aimer et m’accepter telle que je suis, j’ai dit: «C’est assez, peu m’importe ce que vous pensez!» Et j’ai lâché prise. Avec Carl, j’ai vécu deux années intenses, faites de sensations fortes et d’amour libre. Pendant deux ans, j’ai rajeuni. Ce que j’ai perdu en amitié, je l’ai gagné en rires, en découvertes et en surprises. Éventuellement, Carl et moi avons rencontré de nouvelles personnes qui, elles, acceptaient notre amour. Carl m’a appris à voir chaque journée comme un cadeau, un morceau de vie unique qu’on façonne à sa guise. «Il faut vivre maintenant», répétait-il sagement.

«Notre séparation m’a bouleversée, mais je ne croyais pas en l’éternité des choses, de toute façon.»

Carl et moi avons rompu à l’aube de ses 25 ans. Il rêvait de faire une maîtrise en économie… en Angleterre. Jamais je n’aurais imposé à mes ados de devoir s’éloigner de leur père. Ni de leur mère, d’ailleurs. Notre séparation m’a bouleversée, mais je ne croyais pas en l’éternité des choses, de toute façon.

Quoi qu’il en soit, cette relation hors du commun m’a complètement transformée. Je suis une meilleure mère, une meilleure femme et une meilleure amie simplement parce que je me suis donné la permission d’être celle que je suis vraiment. Mon beau-fils, avec le temps, nous a pardonné le mal que notre amour lui a causé. Ma relation avec Vincent s’est assainie, et nos expériences respectives ont insufflé du respect et de l’ouverture à nos échanges. J’ai compris que, lorsqu’on prend une décision qui bouscule les règles établies, les gens ressentent beaucoup d’insécurité. Il faut alors se montrer confiant et patient envers ceux qu’on aime. Parce qu’au final, cet amour ne m’a pas rendue égocentrique; il m’a rendue libre.