Un jour, j’ai vu un drame romantique dont une réplique m’a beaucoup marquée. L’héroïne voulait rompre avec un gars parfait, mais à chaque mot qu’elle prononçait, on sentait qu’elle était envahie par la honte. Elle bredouillait, les yeux pleins de larmes: «Tu es un homme extraordinaire, mais tu n’es pas MON homme extraordinaire.» C’est à peu près ce que j’ai bafouillé il y a deux mois, quand j’ai expliqué à Olivier que je le quittais.

Ma meilleure amie, Anne, a toujours eu coutume de dire: «On ne tombe pas amoureux de quelqu’un parce qu’il le mérite!» Et pourtant, quand je lui ai annoncé ma rupture, elle a écarquillé les yeux, comme si elle ne me reconnaissait plus, et m’a lancé en secouant la tête: «C’est ta vie, tu fais ce que tu veux…» Ma famille et mes amis ont eu la même réaction. Depuis, j’ai l’impression que le monde entier pointe un doigt accusateur vers moi en criant: «Comment as-tu pu délaisser cet homme ex-tra-or-di-naire?» Et, honnêtement, je me le demande parfois aussi.

J’ai rencontré Olivier grâce à un couple d’amis, Vincent et Léa, dont j’ai fait la connaissance il y a une dizaine d’années, lorsque j’ai ouvert ma boutique de fleurs à côté de leur magasin de vêtements. J’ai 34 ans et, au fil des années, Vincent et Léa ont suivi mes déboires amoureux. Pour m’aider à en rire, ils ont même noté dans un cahier des phrases pitoyables que certains de mes ex ont prononcées en me quittant. L’un d’eux m’a tout simplement dit: «Ça ne me tente plus, j’arrête.» Un autre s’est contenté de me déclarer: «J’ai envie d’avoir un enfant, mais pas avec toi.» Évidemment, à force d’essuyer des échecs, j’ai fini par me refermer sur moi-même. Alors, quand Vincent m’a proposé une blind date avec un de ses clients, Olivier, j’ai vraiment hésité. Je ne suis pas une adepte des rencontres arrangées et, en plus, ça ne fonctionne jamais. Mais bon, je me suis laissé… attendrir. Vincent m’a dit qu’Olivier avait l’air d’être quelqu’un de bien. Et surtout, il m’a raconté qu’Olivier m’avait aperçue dans ma boutique et qu’il était resté «pétrifié et fasciné» par ma beauté…

J’en ai parlé à Anne, qui a décidé d’organiser une petite fête chez elle. Elle a invité plein de gens, dont Olivier, pour que je me sente à l’aise. Finalement, ce soir-là, il m’a fallu trois heures avant de pouvoir lui parler. Par la suite, on m’a souvent demandé ce que j’avais ressenti quand on s’est retrouvés face à face – parce que, pour les experts en relations amoureuses (c’est-à-dire tous les gens en couple), cette première impression est primordiale. Or, je n’ai rien ressenti de particulier. Aujourd’hui, je me dis que j’aurais peut-être dû y voir un signe.

Olivier était un très bel homme d’une quarantaine d’années, avocat dans un grand cabinet. Il était calme, assez drôle, sûr de lui. On a discuté longuement, avant d’échanger nos numéros. À la fin de la soirée, Vincent jubilait. Mais comme mon parcours amoureux m’avait rendue plutôt cynique, je lui ai résumé le tout par les mots: «Je vais laisser sa chance au coureur.»

« Je vous le jure: le scénario de cette histoire était parfait – voire tellement cliché que même un éditeur de romans à l’eau de rose n’en aurait pas voulu. »

Tout est allé extrêmement vite, et l’effet «vous venez d’atterrir dans un rêve éveillé» n’a pas tardé. Dès le lendemain matin, Olivier s’est mis en mode «prince charmant»: il m’a apporté un petit-déjeuner (café latté, croissant et jus d’orange) pendant que j’ouvrais ma boutique et est reparti immédiatement pour «ne pas me déranger et me laisser travailler». Ensuite, il m’a fait la cour pendant 10 jours: c’était très vieux jeu, mais… très agréable. Il m’emmenait dîner, me raccompagnait jusqu’à ma porte, me faisait un baisemain et repartait. Je me laissais complètement faire et je n’arrivais pas à croire que des hommes comme ça pouvaient encore exister. Je cherchais une faille, mais il n’y en avait pas. On s’est embrassés pour la première fois sous la pluie en rentrant du cinéma, on a fait l’amour pour la première fois pendant un week-end à New York, il m’a dit pour la première fois qu’il était amoureux de moi le lendemain matin… Je vous le jure: le scénario de cette histoire était parfait – voire tellement cliché que même un éditeur de romans à l’eau de rose n’en aurait pas voulu.

« Il enchaînait les sans fautes: il avait toujours le bon mot, le bon geste, la bonne idée… »

Deux mois après notre rencontre, Olivier m’a demandé de vivre avec lui. Puisque j’étais «la femme de sa vie», il ne voyait pas l’intérêt d’attendre. Et, là encore, je me suis laissé porter par son enthousiasme. Moi, l’indépendante endurcie, j’ai sous-loué mon trois et demi, et je me suis installée chez lui sans réfléchir. Les premiers temps, je me suis roulée dans ce bonheur inattendu comme dans de la ouate, sans me poser la moindre question. J’avais l’impression qu’Olivier était né pour réparer tous mes échecs amoureux. Il enchaînait les sans fautes: il avait toujours le bon mot, le bon geste, la bonne idée… Il était doué pour l’amour: il n’avait peur ni de l’engagement, ni du romantisme, ni des habitudes. Le temps passait, et j’étais comme ivre, couverte de coups de téléphone, de surprises, de projets. Je n’étais jamais rassasiée, comme une affamée à un banquet all you can eat!

C’est sans parler, bien sûr, de mes amis et de ma famille: selon eux, j’étais enfin «vraiment en couple», je «construisais quelque chose». Et ils adoraient Olivier. Parfois, quand je parlais de lui à Anne, elle poussait un profond soupir qui signifiait: «Quelle chance tu as d’avoir trouvé un homme qui est aussi amoureux de toi!» Et moi, j’étais fière comme un paon.

Mais quelque temps après, je me suis rendu compte qu’à force de me laisser gaver d’attentions, j’avais oublié de me poser la seule question importante: est-ce que MOI, j’étais amoureuse d’Olivier? À partir de ce moment-là, j’ai commencé à ouvrir les yeux, ou tout du moins à oser le faire, et mon chum n’a plus réussi qu’à m’exaspérer. Plus il était merveilleux, plus j’avais envie de hurler. En réalité, j’étais en colère contre moi: je me rendais compte que je n’étais pas amoureuse de cet homme et je m’en voulais atrocement de ne pas pouvoir me forcer à l’être.

Je me souviens d’un soir où j’ai débarqué chez Vincent et Léa pour me plaindre. J’avais trouvé un prétexte pathétique: je n’en pouvais plus qu’Olivier m’appelle systématiquement par un nom de fleur. «Mon myosotis», «Ma rose», «Mon coquelicot»… Vincent et Léa, à qui j’avais confié qu’Olivier voulait qu’on ait un bébé avant la fin de l’année, n’en revenaient pas que je m’énerve pour si peu. Quand j’ai vu leur réaction, tout est devenu clair en un instant: si je n’aimais pas Olivier, je n’avais aucune raison de rester plus longtemps avec lui.

Pendant un mois, j’ai été littéralement étouffée par la culpabilité. Je n’arrivais pas à confier à qui que ce soit que je comptais rompre. J’ai quand même réussi à parler de ce que je ressentais à ma mère, qui m’a dit: «Force-toi un peu: tu ne retrouveras jamais un homme comme ça…» Alors, je l’avoue, je me suis réellement forcée pendant quatre autres longues semaines. Elles étaient ponctuées de moments de pure folie, où je me disais que j’allais faire cet enfant, épouser Olivier et m’habituer. Je repensais à mes ex, je me disais qu’un homme aussi génial ne pouvait pas être un mauvais choix et que, tant pis, je me passerais d’amour. Je sais qu’il y a des gens qui peuvent vivre avec quelqu’un sans réellement l’aimer.

J’ai finalement rompu et, depuis, je suis heureuse comme jamais. J’ai brisé le coeur du dernier prince charmant en vie sur cette terre et je ne sais pas si je trouverai l’amour un jour. Mais, ce qui compte, c’est que je suis fidèle à mon coeur!