J’ai rencontré Mylène à Banff, en Colombie-Britannique, en 1999. J’étais alors chef dans un restaurant. J’habitais en colocation avec deux filles qui avaient pour amie une Québécoise travaillant dans une station de ski. Un soir, cette amie est venue à un party qu’on avait organisé chez nous… et elle n’est plus jamais repartie. Entre Mylène et moi, ç’a été le coup de foudre. Je suis rentré chez moi, en Australie, un an plus tard, et mon amoureuse est rapidement venue me rejoindre pour découvrir Adélaïde, ma ville natale. Le jour de son arrivée, il faisait 44 °C. La canicule! Elle qui était habituée aux hivers canadiens, elle a eu tout un choc…

Au cours des mois qui ont suivi, nous n’avons jamais douté de notre couple. Mais nous n’envisagions pas de demeurer en Australie. Mon pays est un de ceux où il est le plus difficile d’immigrer: si on ne se marie pas, impossible d’obtenir un visa. À ce moment-là, Mylène avait 22 ans, et moi, 27. Nous n’étions tout simplement pas prêts à nous dire «oui, je le veux». Au bout de six mois, nous avons donc décidé de déménager ensemble au Québec, même si je ne parlais pas un mot de français! Non, attendez, ce n’est pas vrai. Je connaissais deux mots: «bonjour» et… «nuage». Utile, n’est-ce pas?

Malgré les protestations de ma famille et de mes amis, qui croyaient que je faisais une folie, j’ai vendu mes meubles et liquidé tous mes avoirs. J’ai quitté mon pays avec un sac sur le dos, une planche à neige sous le bras et tout mon amour pour une femme dans le coeur. Au revoir Adélaïde, bonjour Longueuil!

 

Dans notre appartement sur la Rive-Sud, je me suis retrouvé entouré uniquement de francophones: les amis de Mylène, ses parents… Pendant deux ans, il a fallu que je mette l’anglais de côté afin de mieux apprendre à parler en français, à penser en français, à écrire en français. C’était très exigeant. De plus, comme je ne voulais surtout pas donner à ma conjointe l’impression que je restais avec elle uniquement pour obtenir un visa, je me suis débrouillé tout seul pour remplir ma demande d’immigration, entre deux cours de langue intensifs. Deux ans plus tard, je recevais enfin une réponse favorable!

Pour ce qui est du boulot, ça n’a pas été plus simple. Je ne connaissais personne avec qui j’aurais pu entrer en contact dans des grands restaurants. En plus, moi qui étais spécialisé en cuisine méditerranéenne, un style encore peu prisé à l’époque, j’ai dû faire mes preuves avant d’être accepté. Mais la patience paye, et j’ai fini par être embauché en tant que chef chez un particulier.

Il m’a fallu quatre ans pour briser la barrière de la langue et mieux m’intégrer à cette société qui doit composer avec un long, un très long hiver. Mais petit à petit, j’ai commencé à me sentir chez moi ici. Puis, en 2007, j’ai appris une nouvelle qui m’a rendu fou de joie: Mylène était enceinte.

Pendant la grossesse, ma conjointe, qui occupe un poste important et qui adore son travail, m’a demandé si je serais d’accord pour que, chacun à notre tour, nous nous occupions du bébé à temps plein. Comme mon contrat se terminait quelques mois après l’accouchement, le timing était parfait.

En mai 2008, Mylène et moi avons vécu le plus merveilleux évènement de notre existence: la naissance de notre fils, Noah. Quel bonheur! Voir son enfant venir au monde, le prendre pour la première fois dans ses bras, c’est le sentiment le plus magique qui soit. Il n’y a rien de comparable!

Quand ç’a été mon tour de rester à la maison, j’ai vécu des moments à la fois amusants et ardus. Quelle angoisse j’ai pu ressentir les premières fois que Noah a été malade ou qu’il n’a pas fait ses nuits! Il faut dire que je n’avais encore jamais pris soin d’un bébé. J’ai donc appris. Beaucoup. Pendant cinq mois, j’ai lu des histoires à mon fils, j’ai cuisiné pour lui, j’ai joué avec lui, je me suis promené au parc avec lui… J’ai tout fait avec lui. J’ai même été là quand il a fait ses tout premiers pas! Combien d’hommes peuvent en dire autant?

Voir mon fils grandir et apprendre à mieux le connaître ont multiplié mon admiration pour la gent féminine. La cuisine, le bain, les couches, les courses, c’est tellement de boulot! Je lève mon chapeau à toutes les femmes qui restent au foyer à temps plein pour élever leurs enfants. Vous méritez tout mon respect, Mesdames!

C’est sûr qu’il y a eu des jours où mon travail me manquait. Mais je n’avais pas le temps de m’ennuyer. Il y a eu les premières dents, la première fièvre, les premières coliques… J’ai dû imaginer des techniques pour calmer les douleurs du bébé et lui assurer un maximum de confort en tout temps. Malgré mes craintes, je ne me suis jamais senti seul. C’était un travail d’équipe. Mylène m’épaulait à distance au cours de la journée et prenait le relais le soir. Sa mère nous a aussi apporté beaucoup de soutien.

Le plus difficile, c’était de sortir avec le petit. Un père n’a pas le même lien qu’une mère avec son enfant. Lorsque le bébé pleure, il ne comprend pas forcément pourquoi. Au supermarché, quand les larmes de Noah commençaient à couler, j’étais à la fois gêné et mal à l’aise, car je ne savais pas toujours quel message il voulait m’envoyer. Avait-il faim? Avait-il soif? Et s’il avait sommeil ou mal quelque part? Après quelques mois, j’ai appris à décoder son langage et, lors de nos périples à l’épicerie, il passait désormais le plus clair de son temps… à roupiller! Bien des gens semblaient trouver ça mignon de me voir tout seul avec lui. Parfois, on me jetait un regard surpris. «Un homme avec un bébé, au beau milieu de la journée? Bizarre…» semblait-on se dire. Pourtant, depuis que mon congé est fini, je vois de plus en plus d’hommes seuls dans la rue avec leurs enfants. Les temps changent vite!

Pendant cinq mois, j’ai redécouvert le monde à travers les yeux de mon fils. Je me suis rendu compte que je voulais réellement contribuer au bien-être de la planète au moyen de ma profession. J’ai alors décidé de réaliser un vieux rêve de jeunesse et, une fois que Noah a commencé à fréquenter la garderie, je me suis lancé en affaires. J’ai maintenant ma propre compagnie de traiteur. J’utilise exclusivement des produits naturels, sans une once de substance chimique. Je prépare ma nourriture en faisant attention à la terre, aux animaux et à l’être humain. Ce sont les valeurs que je veux inculquer à mon garçon.

Je peux l’affirmer sans gêne: j’ai été le premier père au foyer de mon groupe d’amis. Je peux donc donner des conseils à mes copains qui prennent la même décision et leur dire à quel point c’est une expérience formidable. Je crois que chaque homme devrait prendre soin de son enfant à temps plein une fois dans sa vie, s’il en a la chance. Ne serait-ce que pour comprendre à quel point l’Histoire a été cruelle avec les femmes: pendant si longtemps, elles ont accompli toutes ces tâches seules, sans aucune aide…

Je l’avoue, je suis un homme comblé par la vie. Il y a un an, Mylène et moi avons acheté une maison en banlieue, avec un jardin dans lequel Noah peut jouer et être dans la nature. Le bonheur…

Depuis qu’il est arrivé au monde, dans mon monde, mon garçon est ma raison d’être. Je suis si fier quand je le regarde, fier de ce qu’il est et fier de l’homme que je suis devenu grâce à lui.

Je t’aime, mon p’tit bonhomme.

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