Quand Nicolas m’a demandée en mariage, nous ne nous connaissions que depuis deux ou trois semaines. Nous n’étions pas en couple, et nous ne nous étions jamais embrassés. Pour dire la vérité, en fait, je le trouvais moche.

Par ailleurs, sa demande n’avait rien de conventionnel: il ne l’a pas faite dans les règles de l’art, un genou à terre, en m’offrant une bague… Ça s’est plutôt passé de façon détachée et naturelle. Alors que nous fumions une cigarette à la sortie d’un restaurant parisien, il a simplement déclaré: «On devrait se marier.» Sans réfléchir, j’ai répondu:

«Oui. Mais… il me semble que tu ne voulais pas te marier, toi?

– C’est vrai. Mais on devrait quand même.

– OK.»

Je venais de dire oui à un homme dont je n’étais pas amoureuse, mais avec qui, sans trop savoir pourquoi, je voulais tout de même passer le reste de ma vie. Mon instinct avait parlé. Où allait-il me mener?

Nous sommes rentrés dans le restaurant pour annoncer la nouvelle aux amis qui nous accompagnaient. Évidemment, sur le coup, personne n’a cru à notre décision d’unir nos vies. Mais, pour nous, c’était très clair: depuis le premier jour, l’entité que Nicolas et moi formions, sans être vraiment un couple, représentait une évidence. Nous nous sentions comme deux pièces de casse-tête qui s’imbriquent parfaitement.

Nicolas est musicien, je suis comédienne. Il est québécois, je suis française. Nous nous sommes rencontrés en France, lors d’un festival; lui et son groupe y entamaient leur première tournée hors du Québec. Lorsque je les ai vus sur scène pour la première fois, je suis instantanément tombée sous le charme. Aucun d’eux ne me plaisait physiquement – surtout pas Nicolas! Mais j’étais attirée de façon irrépressible par ce que le groupe entier dégageait. Dès que je les ai entendus jouer, j’ai été subjuguée par la simplicité, le bonheur et la légèreté qui émanaient d’eux. Complètement soufflée par leur synergie et leur énergie. Nous sommes tous très vite devenus amis, mais ce sentiment s’avérait encore plus puissant avec Nicolas.

«Nous n’étions pas amoureux – et alors?»

Cela dit, je n’étais pas naïve. Je savais que dans toute amitié gars-fille, l’un ou l’autre finit toujours par avoir des attentes. Nicolas en avait-il déjà? Peut-être, mais il ne me les montrait pas. Les moments que nous passions ensemble se suffisaient à eux-mêmes. Souvent, nous n’avions pas besoin de parler. Juste de me trouver avec lui me donnait l’impression d’être à ma place. Et ce sentiment me remplissait de bien-être. C’est pourquoi, étrangement, il m’a semblé tout naturel de me fiancer avec lui. Les gens se marient parce qu’ils veulent passer leur vie ensemble? Eh bien, nous avions aussi un projet commun, une belle aventure que ni lui ni moi n’envisagions avec quelqu’un d’autre. Nous n’étions pas amoureux – et alors? Le sentiment amoureux nous semblait tout à fait secondaire. Et les gens qui nous entouraient et nous connaissaient bien n’étaient d’ailleurs pas vraiment surpris de la tournure des événements: après tout, ni Nicolas ni moi n’avions jamais été réellement attachés aux conventions!

Nicolas est retourné au Québec quelques jours après nos fiançailles et, très rapidement, il s’est mis à me manquer. Après trois mois d’éloignement, à lui parler tous les jours durant des heures au téléphone, j’ai décidé d’aller lui rendre visite. Malheureusement, j’avais mal calculé mon coup, car mon voyage tombait en même temps qu’un concert qu’il devait donner à Moncton. Mon baptême canadien a donc coïncidé avec mon baptême de tournée, en compagnie des gars de son groupe, sur 2000 kilomètres parcourus en trois jours! Mais ça ne m’a pas dérangée, au contraire. Après tout, je ne m’attendais absolument pas à vivre une semaine en amoureux, puisque j’essayais toujours de me convaincre que notre relation, bien que fusionnelle, demeurerait platonique. Quant à Nicolas, il continuait à penser comme moi. Ou, du moins, il tenait lui aussi à ce que nous soyons l’un dans la vie de l’autre, peu importe l’étiquette accolée à notre relation.

«À cet instant, j’ai senti une décharge de désir sans précédent me parcourir de haut en bas, et j’ai été incapable de l’ignorer.»

À peine revenue en France, je planifiais déjà revenir au Québec. Cette fois-ci, il m’a fallu patienter deux mois avant de le revoir. L’attente a été pénible et, à vrai dire, c’est précisément durant cette période que tout a basculé. Mon corps est finalement sorti de sa léthargie et, pour la première fois, Nicolas m’a manqué physiquement. Lorsque je l’ai enfin retrouvé à l’aéroport, nous nous sommes serrés dans les bras très longtemps. À cet instant, j’ai senti une décharge de désir sans précédent me parcourir de haut en bas, et j’ai été incapable de l’ignorer. Si bien que nous avons dû y faire face, en parler, et envisager enfin d’ajouter une dimension sexuelle à notre relation.

Après tout ce temps, Nicolas avait une crainte énorme à l’idée qu’on couche ensemble: et s’il n’était pas à la hauteur? À notre grand soulagement, sa peur a été de courte durée, et nos premiers ébats ont été une véritable révélation. Je n’avais jamais ressenti ces sensations. Tellement que j’ai eu l’impression de n’avoir jamais vraiment fait l’amour avant. Était-il toujours question qu’on se marie? Oui, plus que jamais.

La cérémonie, simple et intime, a eu lieu au mois de juin. Je me suis aussitôt installée au Québec. Mais l’acclimatation a été difficile, et les choses se sont rapidement détériorées entre Nicolas et moi. La vie de couple, au jour le jour, s’est révélée beaucoup plus compliquée que je l’imaginais. Je ne parvenais pas à m’adapter à la vie au Québec, ce qui jouait sur mon humeur. Et nous n’arrivions pas à communiquer de façon efficace ni à partager les tâches équitablement, ce qui générait des frustrations de part et d’autre. Surtout, je commençais franchement à regretter d’avoir quitté mon pays. J’ai bientôt sombré dans une dépression et j’ai alors décidé de retourner vivre seule en France, histoire de prendre un peu d’air et d’y voir plus clair.

La séparation a été éprouvante. Bien que nous nous parlions tous les jours et nous retrouvions tous les deux mois, le reste du temps, j’avais la douloureuse impression d’être devenue veuve. À la suite d’une profonde introspection et d’une thérapie, je suis parvenue à regagner une certaine stabilité émotionnelle ainsi qu’une plus grande confiance en moi. Et en nous. Après deux ans d’amour à distance, j’ai réalisé que, malgré les défis inhérents à notre relation plutôt marginale, j’avais bel et bien besoin d’être auprès de Nicolas.

J’ai pris le parti de nous donner une seconde chance. Cette fois, je savais enfin ce que je voulais et j’avais la certitude que mon bonheur se situait à Montréal, auprès de Nicolas. Aujourd’hui, je comprends que ce qui nous a permis de sauver notre couple, c’est de nous être d’abord connus en tant qu’amis, et non en tant qu’amants. Parce qu’au-delà des différends, la réelle complicité que nous avons toujours partagée n’a jamais pu être ébranlée.

Désormais installée de façon définitive à Montréal avec mon mari, je suis heureuse et fière d’avoir suivi mon instinct, envers et contre tout. Dans le fond, nous avons toujours su, Nicolas et moi, que nous avions trouvé notre partenaire de vie. Et s’il nous a fallu être très patients avant d’atteindre notre équilibre amoureux, je ne regretterai jamais de lui avoir dit oui.