C’était l’Action de grâces, et Victor, neuf ans, pensait déjà aux Fêtes… Comme chaque année, je me suis souvenue des Noël de mon enfance, avec les 45 cousins dans la propriété des grands-parents, les tablées immenses, les veillées joyeuses… C’était le seul moment de l’année où ma famille guindée se muait en tribu chaleureuse. J’aurais tant voulu que mon fils connaisse cette ambiance! Pourtant, j’avais tout fait pour échapper à ce clan étouffant et rigide, pour construire quelque chose d’authentique. M’étais-je tant bagarrée pour finalement passer le 25 décembre en tête-à-tête avec mon fils au pied du sapin, comme un petit couple? Impossible. Ça ne pouvait plus continuer comme ça. Cette année, il nous fallait absolument un Noël généreux, grandeur nature, comme je les aime.

Je savais que ça n’allait pas être facile. Pendant le mois de décembre, ma boutique de vêtements ne désemplissait pas; elle accaparait tout mon temps et toute ma tête! En plus, depuis cinq ans, Patrick, le nouvel homme de ma vie, se demandait chaque fin d’année s’il allait rester avec nous ou visiter ses parents. Sans parler d’Ari, le père de Victor, qui était imprévisible et changeait d’avis tous les deux jours. Aujourd’hui, on s’entend bien, lui et moi. J’estime que c’est une victoire, car on revient de loin. Ari et moi, on a eu une relation très rock’n’roll. Il est peintre et photographe. Quand je l’ai rencontré, à 22 ans, j’ai tout de suite été subjuguée par son charisme, son esprit épris de liberté. Pendant cinq ans, notre relation a été plus que houleuse. Il disait m’aimer, mais c’était un noctambule incorrigible, accro à la nuit et aux femmes. Je ne sais combien de fois on a rompu et repris. Un jour, alors que j’avais refusé de lui parler pendant des semaines, il m’a suppliée de lui faire un enfant. J’ai craqué, mais… rien n’a changé. Plus mon ventre s’arrondissait, plus il sortait, buvait, me trompait. Après la naissance de Victor, j’ai compris qu’Ari était incapable de se fixer.
 

J’ai alors pris la décision de déménager loin, seule avec mon bébé de quelques mois. C’était radical, mais c’était la seule solution que j’avais trouvée pour me soustraire à l’emprise de cet amour insupportable. J’ai donc vécu dans une autre ville pendant cinq ans. C’est là que j’ai rencontré Patrick, l’anti-Ari: un géant de deux mètres, un homme fort, responsable. Entre Victor et lui, ç’a été le coup de foudre. Ça a fait un bien fou à mon fils d’avoir un homme à la maison. Aujourd’hui, il fait parfaitement la différence entre Ari, son père biologique, l’homme rigolo avec qui il a passé quelques vacances, et Patrick, qui l’élève depuis quatre ans, qui vient le chercher à l’école, qui le gronde quand il le faut… et qui est toujours là pour lui. Lorsqu’il parle de son papa à ses amis, c’est à Patrick que Victor pense.

Tout a été relativement simple jusqu’à ce que mon fils ait cinq ans. Ari et Patrick ne s’étaient presque jamais croisés. Puis, nous sommes revenus nous installer dans ma ville natale, et j’ai tout fait pour que cette distance demeure. J’ai même été tentée d’éloigner Ari, de l’évincer de ma vie de famille en lui imposant un droit de visite d’une fin de semaine sur deux. Je savais qu’il serait incapable de se plier à ce cadre rigide, malgré les efforts de Sylvie, sa compagne depuis quatre ans, qui adore Victor. J’estimais que c’était de mon devoir de protéger mon fils des déceptions que son père allait inévitablement lui occasionner.

Puis, il n’y a pas si longtemps, Victor m’a donné son avis: il a remis son père à sa place, sans se fâcher. Une fois de plus, Ari avait «oublié» de venir le chercher… Lorsqu’il a téléphoné pour s’excuser, j’ai entendu Victor lui répondre: «Tu sais, papa, on va arrêter de faire des plans. Si on se voit, c’est bien. Sinon, ce n’est que partie remise.» J’ai réalisé que l’inconstance d’Ari vis-à-vis de son fils me heurtait terriblement parce qu’elle me rappelait son attitude envers moi. Victor, lui, avec la capacité d’adaptation extraordinaire qu’ont les enfants, savait prendre la vie comme elle venait. J’ai arrêté de vouloir tout contrôler. Ce qui importait, c’était qu’Ari aime son fils, à sa manière. Il n’y avait aucune raison de les priver de ce lien. Des gens qui nous aiment, on n’en a jamais trop!

Cette leçon a fait son chemin. C’est même là que j’ai trouvé le ressort pour offrir à mon fils un vrai Noël en famille. Ari déteste faire des plans, mais Sylvie, sa compagne, a un grand sens de l’organisation et de la famille. Elle m’a secondée, ravie de lancer les invitations. Comme ça, j’étais assurée de sa présence et, du coup, de celle d’Ari. Maya, la soeur de mon ex, a répondu avec enthousiasme: elle a confirmé qu’elle viendrait à notre réveillon avec sa fille, Anna, que j’avais connue petite et que j’allais retrouver ado. Victor était tout content à l’idée de revoir sa cousine. Nous serions six!

Tout excitée, j’ai commencé à composer le menu et à organiser la décoration dès la mi-novembre. J’étais obsédée par mon réveillon, à un point tel que Patrick s’est gentiment moqué de mes «intrigues pour un Noël recomposé». «Il ne te manque plus qu’un pauvre à table, handicapé de préférence», a-t-il lancé. C’est là que j’ai craqué. Ça faisait des années que je cherchais à rester cool, à ne pas lui forcer la main pour qu’il passe les Fêtes avec nous. Je pensais que c’était atroce de l’obliger à choisir entre sa famille et nous. Là, subitement, je me suis retournée, comme une tigresse: «Tu sais qui va manquer à notre table? Toi! Je vais passer Noël avec mon ex, sa compagne, sa soeur et sa nièce. À quoi ça sert de former une famille recomposée si tu n’es pas avec Victor et moi pour les Fêtes?» Il m’a regardée, l’air de penser que j’étais folle. «Pourquoi tu ne l’as pas dit plus tôt? Tu as toujours affirmé que tu n’en avais rien à cirer, de Noël. Je croyais qu’avoir les deux « pères » de ton fils à table te mettrait mal à l’aise. Et comme tu m’as à peine proposé de rester…» Ça alors! Toute à mes grands projets, je n’avais pas songé à lui demander ce qu’il avait envie de faire ni à lui dire ce que moi, je désirais vraiment. «Je m’en fiche d’avoir un père, ou deux, ou même trois, en comptant le père Noël! Ce que je veux, ce sont des gens heureux autour d’une table!»

Nous serons donc une petite dizaine le 25. Ce sera très traditionnel. Noël, c’est l’occasion de se prêter au jeu, un jeu généreux où tout le monde gagne. Après des années à considérer le père de mon fils comme un élément nuisible, j’en suis venue à me persuader que, pour le bien-être des enfants d’une famille recomposée comme la nôtre, il vaut mieux ajouter des gens à leur petit monde qu’en retrancher. Le 25 décembre sera aussi l’occasion de me prouver que j’ai réussi à échapper au piège des conventions que me proposait ma famille guindée. J’ai construit quelque chose de moins classique, certes, mais ce que j’ai, c’est beau, fort, et, finalement… très fidèle à l’esprit de Noël!

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