Mars 2013. Mon chum et moi nous trouvons dans le bureau de la psychologue chargée d’évaluer ma fille de 12 ans pour savoir si elle souffre d’un trouble du déficit de l’attention (TDA). Ce n’est pas la première fois que Patrick et moi consultons un professionnel pour un de nos enfants. Quelques années auparavant, mon fils, alors âgé de huit ans, avait lui aussi passé des tests visant à déterminer s’il avait un TDA, et la réponse avait été affirmative.

La psychologue nous pose le même genre de questions que pour David: «Fanny a-t-elle du mal à organiser ses travaux à l’école? Se laisse-t-elle facilement distraire? Perd-elle souvent ses affaires?» C’est moi qui réponds: «Oui, en effet, elle se laisse facilement distraire, et bien sûr qu’elle perd ses affaires… Mais elle tient certainement tout ça de sa mère!» J’achève ma phrase avec un petit rire nerveux.

J’avais été quelque peu réticente à aller consulter une psy pour ma fille, car j’avais beaucoup de mal à concevoir qu’elle puisse elle aussi souffrir d’un trouble du déficit de l’attention. Alors que notre fils est turbulent, toujours en recherche d’attention, vif et impulsif, notre fille est douce, discrète et rêveuse. Impossible qu’ils soient affectés par le même syndrome!

«Ça ne coûte rien d’aller voir», m’avait finalement dit Patrick. «Les médicaments et la thérapie ont été si bénéfiques pour David que ce serait dommage que Fanny ne soit pas diagnostiquée elle aussi s’il y a lieu.»

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J’avais abdiqué, mais j’étais restée sceptique. Loin de moi l’idée de minimiser les difficultés de ma fille à l’école, mais j’étais certaine qu’il n’y avait rien à faire. Fanny ne souffrait pas d’un TDA: elle tenait simplement de moi. Elle n’était pas très douée pour les études, un point c’est tout.

Soudain, dans le bureau de cette psy, je me suis sentie excessivement triste. Si Fanny était comme moi, sa vie n’allait pas être facile. Depuis que j’étais toute petite, j’avais toujours eu l’impression d’être inférieure aux autres, et voilà que ma fille allait peut-être vivre avec ce sentiment à son tour.

La suite…

Adolescente, je pensais que je n’arriverais jamais à devenir adulte. Je voyais mes amies réussir ce qu’elles entreprenaient, avoir de bons résultats scolaires, pratiquer des activités assidûment. Moi, je ne terminais jamais rien. Je perdais toujours très vite l’intérêt pour ce que j’entamais, que ce soit mes cours à l’école, le ballet, le piano, l’improvisation… Je pouvais passer des heures à relire une phrase sans qu’elle ne m’entre dans la tête, ou même sans arriver à la comprendre, parfois. Je ne savais pas m’organiser, j’étais distraite, tête en l’air, impulsive… Des défauts qui n’allaient pas de pair avec la réussite scolaire. Je m’étais rendue à l’évidence: je n’étais pas intelligente. Je n’étais bonne à rien.

J’ai donc arrêté mes études après le secondaire, puis je suis passée d’un métier à l’autre sans jamais me fixer, en nourrissant un sentiment latent d’incompétence.

La seule chose pour laquelle mon intérêt ne semblait jamais vouloir faiblir, c’était ma relation avec Patrick. Nous nous complétions: lui était terre à terre et solide; moi, un peu fofolle et évaporée. Notre bonheur commun nous avait donné envie d’avoir un enfant, et je suis tombée enceinte.

L’arrivée de David n’a pas été facile. Avec un bébé, j’étais incapable de m’organiser, incapable de savoir dans quel ordre faire les choses, incapable de finir une tâche… Incapable de tout. Je me sentais incompétente. Submergée. Nulle.

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Anéantie par la fatigue, je suis allée consulter un médecin, qui a conclu à une dépression postpartum. Les 10 séances de thérapie cognitive qu’il m’a prescrites ne m’ont pas aidée. Encore quelque chose que je n’avais pas réussi! Je me suis remise tant bien que mal en me secouant. Ça ne me servait à rien de m’apitoyer sur mon sort, il fallait que je continue!

Toute cette belle motivation n’a pas survécu à l’arrivée de mon deuxième enfant. Quelques mois après la naissance de Fanny, je suis retombée en dépression. Cette fois, j’ai abouti à l’urgence psychiatrique. J’ai pleuré pendant une heure dans le bureau du psychiatre, qui m’a prescrit des antidépresseurs. À mon retour à la maison, les pilules n’ont rien arrangé. J’étais dans un cercle vicieux: je m’inquiétais d’être une mauvaise mère et une mauvaise blonde, je faisais de l’insomnie, je me sentais médiocre…

La suite…

J’ai fait des années de thérapie. Ça m’a aidée dans plein d’aspects de ma vie, sans pour autant répondre à mes questions: pourquoi est-ce que je n’arrivais pas à faire comme les gens normaux, à occuper un emploi stable, à faire le ménage, à aller au parc avec les enfants? Tout avait l’air tellement simple pour les autres et tellement insurmontable pour moi. Pourquoi étais-je si nulle?

Ce sont toutes ces questions qui me sont revenues en tête dans le bureau de la psychologue de ma fille. Sa question m’a extirpée de mes réflexions:

«Savez-vous que le TDA est héréditaire?
– Non…
– Savez-vous que vous en avez un? Il faudrait que vous vous fassiez évaluer, bien sûr, mais j’en suis pas mal certaine.»

Abasourdie de voir la conversation s’orienter vers moi, j’ai répondu du tac au tac, un peu sèchement: «On est là pour ma fille. Si je souffre vraiment d’un trouble du déficit de l’attention, ça fait 45 ans que je vis avec, alors je vais continuer comme ça, merci.

– Vous n’avez pas idée à quel point un traitement pourrait changer votre vie.» Les mots de la psy ont continué de résonner dans ma tête sur le chemin du retour. Et si c’était vrai? Et si, durant toute ma vie, j’avais moi aussi souffert d’un trouble du déficit de l’attention sans le savoir?

Si c’était le cas, ça voulait d’abord dire que mes enfants en souffraient à cause de moi. Et que j’allais certainement me diriger vers une batterie de tests, d’autres thérapies, d’autres médicaments… En avais-je la force? Pourquoi les médecins n’avaient-ils jamais rien détecté?

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Dans la voiture, j’ai éclaté en sanglots. Patrick est resté silencieux, mais comme toujours, sa présence m’a fait du bien. J’ai décidé à ce moment-là que j’allais garder courage pour lui et pour mes enfants. Je devais leur montrer qu’ils pouvaient aller chercher de l’aide. Et pour le leur prouver, je devais d’abord le faire moi-même.

Quelques semaines plus tard, une évaluation a révélé que je souffrais en effet d’un TDAH (trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité). Ce syndrome était la cause indirecte du sentiment d’incompétence qui m’avait toujours habitée. D’une certaine façon, j’étais soulagée. J’avais enfin une explication à mon mal-être…

La suite…

Bien sûr, un diagnostic n’est pas un coup de baguette magique. Il y a maintenant un an que je suis traitée, et ma médication nécessite encore des rectifications. Alors, je m’arme de patience en attendant que mon psychiatre trouve le bon dosage. En parallèle, je consulte un ergothérapeute qui m’apprend à m’organiser et à reconnaître l’impact de mon trouble sur ma vie, afin que je cesse de me battre contre ce que je ne peux pas changer. Les progrès que je fais sont inestimables.

Je sais que le TDAH ne se soigne pas complètement et que je ne serai jamais «normale». Mais la psychologue de ma fille ne m’avait pas menti: aujourd’hui, j’apprends peu à peu à m’aimer comme je suis et à mettre en place des mécanismes pour que ma condition affecte le moins possible ma vie et celle de mes proches. Je peux aussi maintenant aiguiller mes enfants vers des solutions qui pourraient leur faciliter les choses. Contrairement à moi, ils ont eu la chance d’être diagnostiqués tôt, alors je tiens à leur donner accès à toutes les ressources nécessaires pour qu’ils ne vivent pas ce que j’ai vécu. Je leur offre tout mon soutien, et ils me le rendent bien! Ensemble, on apprend aussi qu’on est peut-être différents des autres, mais pas bêtes pour autant. Et ça, ça change une vie.

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